Le 28 mai 1974, une bombe explose sur la Piazza della Loggia à Brescia, en Italie, en pleine manifestation syndicale. Huit personnes sont tuées, plus d’une centaine blessées. L’attentat est attribué au groupe néofasciste Ordine Nuovo (« nouvel ordre »). En 2017, la Cour de cassation italienne a confirmé la condamnation à perpétuité de deux de ses responsables.
En avril dernier, le tribunal des mineurs de Brescia (nord de l'Italie) a condamné Marco Toffaloni à 30 ans de réclusion criminelle pour sa participation à l’attentat. La bombe ayant explosé cinq jours avant son 17e anniversaire, il était effectivement mineur au moment des faits.
Le tribunal estime qu'il est prouvé que Marc Toffaloni a placé l’engin explosif dans une poubelle, avec un complice. Le jugement n’est toutefois pas encore définitif, car son avocat a fait appel. La présomption d’innocence reste donc de mise.
L’affaire Toffaloni a fait couler beaucoup d’encre en Suisse, et la Radiotelevisione svizzera (RSI) lui a consacré deux longues enquêtes. Et pour cause: le suspect vit en Suisse depuis le début des années 1980. Il y a épousé une Suissesse, a pris son nom et obtenu la nationalité helvétique.
Aujourd'hui divorcé, il vit sous le nom de Franco Maria Müller dans le canton des Grisons.
En 1989, à la demande des autorités italiennes, la police perquisitionne son domicile dans le canton de Schaffhouse et y découvre du matériel de propagande. Marco Toffaloni, dont les sympathies fascistes remontent à l’époque du lycée, est alors soupçonné d’appartenir à un groupuscule néonazi et d’être impliqué dans plusieurs incendies criminels et attaques. Mais en 1995, un tribunal italien l’acquitte.
Son nom revient sur le radar de la justice italienne à partir de 2010. Un témoin affirme que la direction d’Ordine Nuovo a choisi Marco Toffaloni pour exécuter des attentats. Le même témoin rapporte que Toffaloni aurait confié, lors d’un échange dans les années 1980, qu’il était présent le fameux jour de l'attentat sur la Piazza della Loggia. Le ministère public pour les mineurs de Brescia ouvre une enquête en avril 2023. Deux ans plus tard, Marco Toffaloni est condamné, mais il ne s’est pas présenté au procès.
De nombreuses questions restent sans réponse. Marco Toffaloni s’est-il installé en Suisse pour fuir une éventuelle procédure judiciaire en Italie? Rome a officiellement demandé une entraide judiciaire, mais la Suisse a répondu l’an dernier qu’elle ne peut extrader aucun de ses ressortissants sans leur consentement. En revanche, l’Italie peut demander que la Suisse fasse exécuter la peine sur son territoire.
Mais là encore, l’issue semble compromise: selon le droit suisse, les faits remontant à 1974 sont prescrits. Marco Toffaloni pourrait donc échapper à toute poursuite.
Mais un revirement s'annonce, car l'Office fédéral de la justice (OFJ) réévalue la situation suite à une remarque du conseiller aux Etats socialiste et avocat Carlo Sommaruga. Interrogé, il écrit que les actes terroristes sont imprescriptibles selon le Code pénal si la peine n'était pas encore prononcée au 1er janvier 1983, selon le droit alors en vigueur. Cette imprescriptibilité s'applique donc plus que probablement au cas de l'attentat de Brescia de 1974.
Si Rome en fait la demande, la Suisse pourrait donc être amenée à faire exécuter la peine. Un tribunal cantonal devra d'abord trancher sur deux points: la non-prescription de l’infraction et la validité de la demande au regard du droit suisse. L’OFJ rappelle ne pas être compétent pour effectuer une analyse juridique définitive: cette tâche revient aux tribunaux.
Selon les enquêtes de la RSI, Marco Toffaloni n’a jamais réussi à s’intégrer professionnellement en Suisse. Il a vécu pendant des années grâce à l’aide sociale, changeant fréquemment d’adresse et de numéro de téléphone. Des proches affirment qu’il souffre de paranoïa et vit dans la peur d’être retrouvé.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder