En Europe de l’Ouest, cela fait un bail que la cause LGBT n’est plus liée à la sexualité stricto sensu. Les relations entre personnes de même sexe ne font plus l’objet d’aucun interdit ni d’aucune poursuite d’Etat. Le «mariage pour tous» est institué partout pour ainsi dire, l’Italie reconnaissant pour sa part les «unions civiles» entre personnes de même sexe. L’homophobie demeure, mais l’Etat protège les homosexuels et lesbiennes. C’est un acquis majeur.
Alors, pourquoi avoir maintenu les «pride» et autres «marches des fiertés», quand des plateformes comme Netflix ou Amazon contribuent par leurs séries à la banalisation du fait homosexuel, davantage, peut-être, que des défilés marqués par une certaine excentricité pouvant à présent paraître à certains comme surjouée ou inutile? La question est légitime.
On peut répondre à cette question en disant que, pour les personnes homosexuelles et transgenres, quel que soit leur âge, ces marches sont la preuve en chair et en os de leur existence et qu’il n’y a pas lieu d’avoir honte d’être ce que l’on est. Et puis, elles sont un soutien aux LGBT des pays où l’homosexualité est réprimée ou politiquement combattue, comme en Hongrie, où une loi ne permet pas aux écoles d’aborder la question homosexuelle. Le gouvernement d’extrême droite de Viktor Orban a interdit la tenue de la pride ce samedi à Budapest, qui bénéficie toutefois du soutien du maire de la ville et de dirigeants européens.
Si la Hongrie fait figure de vilain petit canard, ailleurs, les pride et marches des fiertés sont-elles encore le lieu de l’affirmation sexuelle? Pas vraiment. Celle de Genève, le 7 juin dernier, était notamment dédiée aux difficultés rencontrées par les personnes transgenres dans leur parcours de soins.
Mais, comme souvent, c’est la marche de Paris, ce samedi 28 juin, qui crée la polémique. Ce n’est pas l’extrême droite, mais l’extrême gauche qui est ici en cause. L’affiche de l’organisateur, l’Inter-LGBT, fait scandale, à raison.👇
On y voit un individu, livide, à la renverse, mort ou vif, tenu tel un pantin par sa cravate. La croix celtique – symbole de l’extrême droite – qu’il porte dans le cou le désigne comme l’homme à abattre. Or, il faudrait être naïf pour voir dans cette croix celtique autre chose qu’un prétexte permettant d'accuser celles et ceux – gays, lesbiennes et personnes transgenres compris – qui ne se reconnaissent pas dans cette ode à l’intersectionnalité triomphante, de suppôts de l’«internationale réactionnaire».
Que viennent faire un pin’s de la Palestine et une femme voilée sur une affiche de la Marche des fiertés, sinon rassurer le comité organisateur sur son appartenance au «bon camp», celui du vivre-ensemble et du soutien aux souffrances des Gazaouis bombardés? Ceux qui n'adhèrent pas au message dans sa globalité se savent d'ores et déjà exclus de la marche de samedi, à l'image du comité LGBT Fiertés citoyennes, qui se présente comme laïque et universaliste.
Comme l’écrit le professeur au Collège de France William Marx dans une tribune parue dans Le Monde en réaction à l'affiche de l'Inter-LGBT:
De la défense des droits, on passe à la désignation du bouc émissaire, ici l’homme blanc complètement largué, bon pour la poubelle. Cet appel symbolique à la violence a valu à l’Inter-LGBT le retrait de la subvention qui devait lui être allouée cette année par la Région parisienne.
Pour William Marx, qui a reçu des messages de soutien suite à sa tribune dans Le Monde mais aussi des insultes homophobes venant du milieu LGBT:
Le professeur au collège de France met des mots justes sur la dérive «homophobe» d’une partie du mouvement LGBT, peut-être minoritaire en nombre, mais si souvent au pouvoir en termes de représentation:
Cette recherche du bouc émissaire, jusqu’ici l’apanage de l’extrême-droite, pensait-on, s’est manifestée mi-juin sur le compte Instagram du média public Tataki appartenant à la RTS. C'était à l’occasion de la grève féministe du 14 juin à Genève. Commentant une photo publiée sur son compte – on y voit une jeune femme, visiblement couverte d’un drapeau aux couleurs la Palestine, porter une pancarte moquant les «white male tears» (les larmes de l'homme blanc) –, Tataki s’est lancé dans une justification hasardeuse de cette expression.
Dans cette publication Instagram, la ficelle décoloniale est un peu grosse: l'«homme blanc», parce qu'il est «dominateur», est porteur de tous les péchés. Or le patriarcat n’est pas moins présent chez l’«homme racisé». Idem pour l'homophobie. Mais parce qu'il est «dominé», l'«homme racisé» est moins coupable que l'«homme blanc». Il se peut même que son machisme et son homophobie, le cas échéant, soient des moyens pour lui de se protéger de l'oppression blanche.
Revenons à nos manifestations parisienne et genevoise. Si la symbolique de l’affiche de l’Inter-LGBT est bien plus violente que celle de la pancarte de la grève féministe, toutes deux pèchent en empruntant au même interdit moral, celui de la désignation d'un bouc émissaire.