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Quand LGBT et féminisme s'acharnent sur un faux coupable

L'affiche de la marche des fiertés parisienne (g.) et la pancarte «White Male Tears» arborée lors de la grève féministe du 14 juin à Genève et reprise par Tataki.
L'affiche de la marche des fiertés parisienne (g.) et la pancarte «White Male Tears» arborée lors de la grève féministe du 14 juin à Genève et reprise par Tataki.image: montage watson
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Quand LGBT et féminisme s'acharnent sur un faux coupable

Une affiche parisienne d'un côté, une publication Instagram de la RTS de l'autre: un certain militantisme est en train de se fourvoyer dans la désignation d'un unique coupable et bouc émissaire, l'homme blanc.
27.06.2025, 16:4427.06.2025, 20:21
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En Europe de l’Ouest, cela fait un bail que la cause LGBT n’est plus liée à la sexualité stricto sensu. Les relations entre personnes de même sexe ne font plus l’objet d’aucun interdit ni d’aucune poursuite d’Etat. Le «mariage pour tous» est institué partout pour ainsi dire, l’Italie reconnaissant pour sa part les «unions civiles» entre personnes de même sexe. L’homophobie demeure, mais l’Etat protège les homosexuels et lesbiennes. C’est un acquis majeur.

Alors, pourquoi avoir maintenu les «pride» et autres «marches des fiertés», quand des plateformes comme Netflix ou Amazon contribuent par leurs séries à la banalisation du fait homosexuel, davantage, peut-être, que des défilés marqués par une certaine excentricité pouvant à présent paraître à certains comme surjouée ou inutile? La question est légitime.

La nécessaire pride

On peut répondre à cette question en disant que, pour les personnes homosexuelles et transgenres, quel que soit leur âge, ces marches sont la preuve en chair et en os de leur existence et qu’il n’y a pas lieu d’avoir honte d’être ce que l’on est. Et puis, elles sont un soutien aux LGBT des pays où l’homosexualité est réprimée ou politiquement combattue, comme en Hongrie, où une loi ne permet pas aux écoles d’aborder la question homosexuelle. Le gouvernement d’extrême droite de Viktor Orban a interdit la tenue de la pride ce samedi à Budapest, qui bénéficie toutefois du soutien du maire de la ville et de dirigeants européens.

Si la Hongrie fait figure de vilain petit canard, ailleurs, les pride et marches des fiertés sont-elles encore le lieu de l’affirmation sexuelle? Pas vraiment. Celle de Genève, le 7 juin dernier, était notamment dédiée aux difficultés rencontrées par les personnes transgenres dans leur parcours de soins.

Mais, comme souvent, c’est la marche de Paris, ce samedi 28 juin, qui crée la polémique. Ce n’est pas l’extrême droite, mais l’extrême gauche qui est ici en cause. L’affiche de l’organisateur, l’Inter-LGBT, fait scandale, à raison.👇

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On y voit un individu, livide, à la renverse, mort ou vif, tenu tel un pantin par sa cravate. La croix celtique – symbole de l’extrême droite – qu’il porte dans le cou le désigne comme l’homme à abattre. Or, il faudrait être naïf pour voir dans cette croix celtique autre chose qu’un prétexte permettant d'accuser celles et ceux – gays, lesbiennes et personnes transgenres compris – qui ne se reconnaissent pas dans cette ode à l’intersectionnalité triomphante, de suppôts de l’«internationale réactionnaire».

Que viennent faire un pin’s de la Palestine et une femme voilée sur une affiche de la Marche des fiertés, sinon rassurer le comité organisateur sur son appartenance au «bon camp», celui du vivre-ensemble et du soutien aux souffrances des Gazaouis bombardés? Ceux qui n'adhèrent pas au message dans sa globalité se savent d'ores et déjà exclus de la marche de samedi, à l'image du comité LGBT Fiertés citoyennes, qui se présente comme laïque et universaliste.

Comme l’écrit le professeur au Collège de France William Marx dans une tribune parue dans Le Monde en réaction à l'affiche de l'Inter-LGBT:

«La prétendue convergence des luttes entre les LGBT, d’une part, et leurs adversaires religieux, d’autre part, n’est pas seulement une provocation: c’est une duperie. Les minorités religieuses ne seront jamais les nouveaux queers.»
William Marx

«Le nouveau puritanisme de l'ultragauche»

De la défense des droits, on passe à la désignation du bouc émissaire, ici l’homme blanc complètement largué, bon pour la poubelle. Cet appel symbolique à la violence a valu à l’Inter-LGBT le retrait de la subvention qui devait lui être allouée cette année par la Région parisienne.

Pour William Marx, qui a reçu des messages de soutien suite à sa tribune dans Le Monde mais aussi des insultes homophobes venant du milieu LGBT:

«Cette affiche aux revendications hétéroclites oublie l’essence d’une manifestation inventée il y a cinquante-cinq ans: la défense de l’amour et du désir entre deux hommes ou deux femmes. Le charnel et le corps sexuel ont été bannis de l’affiche au profit d’une apologie sans fard de la brutalité. Tel est le nouveau puritanisme d’une ultragauche qui utilise les théories de l’intersectionnalité pour dissoudre la problématique sexuelle et dénoncer sans imagination un seul ennemi naturel et héréditaire: l’ultradroite.»
William Marx

«Le rêve des homophobes réalisé»

Le professeur au collège de France met des mots justes sur la dérive «homophobe» d’une partie du mouvement LGBT, peut-être minoritaire en nombre, mais si souvent au pouvoir en termes de représentation:

«En invisibilisant la question du corps et de l’amour, (cette affiche) réalise objectivement le rêve des homophobes, auxquels elle fait mine de s’opposer, et finit par jouer leur propre jeu. Telle est l’unique et désolante convergence des luttes qu’ont réussie les organisateurs de la marche.»
William Marx

Cette recherche du bouc émissaire, jusqu’ici l’apanage de l’extrême-droite, pensait-on, s’est manifestée mi-juin sur le compte Instagram du média public Tataki appartenant à la RTS. C'était à l’occasion de la grève féministe du 14 juin à Genève. Commentant une photo publiée sur son compte – on y voit une jeune femme, visiblement couverte d’un drapeau aux couleurs la Palestine, porter une pancarte moquant les «white male tears» (les larmes de l'homme blanc) –, Tataki s’est lancé dans une justification hasardeuse de cette expression.

«Si on précise white dans white male tears, c’est parce que l’expression ne vise pas simplement l’autovictimisation masculine, mais une forme particulière d’autovictimisation liée à une position de privilège racial et genré (etc.)»
Tataki sur son compte Instagram
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La publication qui a fait polémique👇

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Dans cette publication Instagram, la ficelle décoloniale est un peu grosse: l'«homme blanc», parce qu'il est «dominateur», est porteur de tous les péchés. Or le patriarcat n’est pas moins présent chez l’«homme racisé». Idem pour l'homophobie. Mais parce qu'il est «dominé», l'«homme racisé» est moins coupable que l'«homme blanc». Il se peut même que son machisme et son homophobie, le cas échéant, soient des moyens pour lui de se protéger de l'oppression blanche.

Revenons à nos manifestations parisienne et genevoise. Si la symbolique de l’affiche de l’Inter-LGBT est bien plus violente que celle de la pancarte de la grève féministe, toutes deux pèchent en empruntant au même interdit moral, celui de la désignation d'un bouc émissaire.

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Video: watson
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