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«Violences policières», une expression dont il faut se méfier

Members of the police during an unauthorized rally in solidarity with the Palestinian people in Bern, Switzerland, 11 October 2025. (KEYSTONE/Peter Klaunzer)
Manifestation pro-palestinienne non autorisée du 11 octobre 2025 à Berne. Image: KEYSTONE
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«Violences policières», une expression dont il faut se méfier

Si tout doit être fait pour réduire au maximum le phénomène du racisme au sein de la police, le recours à l'expression «violences policières» fait le jeu des radicaux en nourrissant le relativisme.
08.12.2025, 16:4908.12.2025, 17:38

Y a-t-il du racisme dans la police? Oui et on ne le découvre pas. Est-une une raison pour minimiser ce phénomène? Non. Surtout s’il existe au sein de l’institution policière une possible corrélation entre racisme et usage disproportionné de la force pouvant mener à la mort d’une personne interpellée.

Corrélation?

C’est cette corrélation que s’est donnée pour mission d’explorer le Temps Présent de jeudi dernier consacré aux messages racistes dans la police lausannoise. Des messages mis en miroir avec les cinq décès de personnes noires survenus ces dix dernières années dans le canton de Vaud lors ou à la suite d’interventions policières. Un «record» national, a rappelé l’émission. Il s’agissait d’examiner aussi l’éventuelle complaisance des enquêtes du ministère public envers les policiers impliqués dans ces décès.

Convaincant? Le questionnement sur cette corrélation est légitime. On peut en effet émettre l’hypothèse que des policiers animés de sentiments racistes feront preuve de moins d’égards ou d’un surcroît de zèle envers une personne non-blanche, surtout si cette dernière est perçue comme «délinquante», cette perception pouvant elle-même procéder d’un biais raciste.

Entre question légitime et procès d'intention

Questionnement légitime, donc, mais risqué. Car on flirte ici avec le procès d’intention et la présomption d’innocence de policiers mis en cause. Certes, ces décès survenus dans des circonstances tragiques interrogent sur les pratiques d’interpellation en vigueur dans la police – le placage ventral avec pression du genou sur la cage thoracique et menottage des bras dans le dos, notamment, peut provoquer un stress cardiaque aux conséquences potentiellement dramatiques.

Peut-on pour autant parler de violences policières? Samedi, deux jours après la diffusion de Temps Présent, la Coordination antiraciste romande (CORA) a manifesté à Lausanne contre les messages racistes dans la police lausannoise, «associés aux violences policières», indiquait le téléjournal de 19h30. Si l’on se place du côté des manifestants, en particulier du côté des personnes noires proches des victimes, l’emploi de cette expression est compréhensible. Il l’est moins du point de vue de l’observateur.

Journalistiquement, faire preuve de prudence

Parler de «violences policières», c’est considérer que la police fait un usage illégitime ou disproportionné de la violence. Or la justice vaudoise, à notre connaissance, n’a pas tranché sur les cinq décès en question. Elle n’a pas dit si oui ou non les forces de l’ordre avaient outrepassé leurs droits. On peut bien sûr considérer que certaines pratiques d’intervention de la police, même légales, s’apparentent à des violences policières. Cela relève de la libre opinion. Journalistiquement, la reprise de ces termes sans autre forme de procès est plus problématique. On risque d'apporter de l’eau au moulin d’une plaie de l’époque: le relativisme.

Venue de... France

Les mots «violences policières» ne sont pas neutres politiquement. Ils ne viennent pas de la droite, on s’en doute. Ils viennent de la gauche, de cette gauche qui considère que les forces de l’ordre, pour protéger l’ordre bourgeois, n’hésitent pas à taper inconsidérément sur les citoyens du bas de l’échelle dès lors qu’ils se révoltent.

Dans la presse mainstream, l’expression «violences policières» est relativement récente. Elle est apparue en France vers la fin des années 2010, avec pour théâtre des manifestations toujours plus violentes opposées à des lois ôtant des avantages sociaux ou introduisant de taxes nouvelles. Les observateurs de bonne foi ont noté que la répression policière a gagné en violence en réponse à la violence accrue d’une partie des manifestants, sur lesquels les traditionnels services d’ordre syndicaux n’ont progressivement plus eu aucune prise.

Point culminant

Le point culminant des violences de part et d’autre fut atteint lors de la crise des gilets jaunes, à partir de novembre 2018, un mouvement infiltré par des groupes d’extrême droite et d’extrême gauche, décidés à provoquer le chaos. L’usage des LBD, d’abord proportionné à la menace, puis a priori, d’où l’accusation de violences policières, sous-entendues disproportionnées ou illégitimes, causa des éborgnements et arracha des mains.

C’est non sans une certaine prudence et comme un peu contraint, que le journal Le Monde, dans un éditorial, fit sienne l’expression «violences policières». Le 11 janvier 2020, il écrivait:

«La manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, jeudi 9 janvier, a été émaillée à nouveau par ce qu’il faut bien appeler, sans s’encombrer de guillemets, des violences policières. Les multiples vidéos montrant des manifestants frappés au sol par des fonctionnaires, ou encore celle où l’on voit un agent tirant à bout portant au LBD – le parquet de Paris a ouvert une enquête sur ce geste extrêmement dangereux – suffiraient à révulser n’importe quel citoyen.»
Editorial du Monde, 11 janvier 2020

L’adoption par le «quotidien de référence» de ces mots connotés à gauche, en remplacement des habituelles «bavures» ou «exactions» policières plus conformes à la description des mauvais agissements de la police, obéissait aussi à un rapport de force au sein du journal, avions-nous appris à l'époque.

A notre tour en Suisse romande

Nous avons à notre tour repris «violences policières», sans guillemets, dans nos journaux, en Suisse romande. Cela se justifie-t-il? A notre sens, non.

  • D’abord, parce que nous n’avons pas particulièrement connaissance de passages à tabac, par la police, dans la rue ou dans les commissariats, de personnes interpellées – si la police n'est pas exempte de comportements fautifs, les violences gratuites sont principalement le fait de voyous. Et parce qu’il nous semble que la répression policière lors de manifestations est en règle générale proportionnelle à la violence rencontrée.
  • Ensuite, parce que cette expression instaure faussement une forme d’équivalence entre la violence exercée par la police et la violence émanant de groupes sociaux radicaux. Comme si la première, en fin de compte, n’était pas plus légitime que la seconde. Or, elle l’est. La police est par définition potentiellement violente en ce qu’elle dispose de l’usage légitime de la violence. Tout l’Etat de droit repose sur cette convention.

Toute légitimité pour demander justice

Et c’est précisément au nom de l’Etat de droit que les familles des personnes noires décédées ces dernières années dans le canton de Vaud, lors ou à la suite d’interventions policières, ont toute légitimité pour demander justice et faire condamner s’il y a lieu des policiers qui auraient manqué à leur devoir, avec ou sans la circonstance aggravante de racisme.

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