Nous étions beaucoup à en avoir marre de ne plus avoir la possibilité d'aller se «faire un ciné». Ça y est, nous y sommes. Depuis ce lundi 19 avril, les cinémas peuvent à nouveau nous accueillir, au même titre que les théâtres, salles de concert et autres lieux culturels.
La bonne nouvelle, c'est que si jamais, par le plus pur des hasards, une envie folle nous prend d'aller voir un film sur grand écran, nous pouvons la satisfaire. La mauvaise (en tout cas pour les cinémas), c'est que nous ne sommes pas devenus du jour au lendemain des cinéphiles modèles.
Les cinémas n'ont pas attendu le Covid pour être désertés. Cela fait des décennies que l'on entend parler de baisse de fréquentation des salles obscures. Un seul chiffre très parlant: des années septante aux années 2010, le nombre de salles et de sièges a été divisé par deux. Le manque de temps et le désintérêt du public sont des raisons souvent avancées. Depuis, l'essor de la vidéo à la demande n'a rien arrangé.
Et voilà qu'est arrivé le Covid. Le virus, avec les restrictions qui lui sont liées, a agi comme un redoutable accélérateur de notre paresse de casaniers. «Ça fait un siècle que je ne suis plus allé au ciné»: la phrase du siècle, précisément. Et notre siècle pourrait être appelé le siècle Netflix. Avec la crise du Covid, le géant américain a doublé son nombre d'abonnés. Et d'autres plateformes, telles que Disney+, cartonnent. Les cinémas vont-ils vraiment être pris d'assaut? Attendons de voir.
Quelque chose de plus profond a cours. C'est l'activité sociale, au sein de la cité, qui est en crise de manière générale. L'avalanche de sollicitations extérieures n'y est sans doute pas étrangère: il est devenu plus difficile de se motiver pour se rendre à une conférence publique, un café philo ou une représentation théâtrale depuis qu'on nous en propose de toutes parts, tous les jours. Et, en tant qu'organisateur, il est moins aisé de se démarquer et de convaincre le public.
Surtout, face à un monde complexe et diversifié, et avec les possibilités offertes par le numérique, le chez soi apparaît comme un refuge, le salon comme un cocon, le lit comme un abri; les pantoufles comme un art de vivre, compatible avec les soirées films comme avec le télétravail. Tout compte fait, la situation du Covid était prévisible, tant elle ressemble au monde d'avant sur ce plan-là, en plus affirmé.
«No culture, no future»: le slogan prisé sur Facebook démontre que c'est lorsqu'on perd une chose qu'on en saisit la mesure. En même temps, si l'on songe à une autre thématique cruciale, on peut aussi avoir à l'esprit que, plus de six ans après, «Je suis Charlie» n'a rien changé au final à l'indifférence générale envers la fragilité de la liberté d'expression.
Pour éviter d'être passifs face à notre passivité, il faudra que le retour annoncé de nos fessiers sur les fauteuils rouges soit une vraie conviction et une vraie pratique sur la durée, plutôt qu'un phénomène de mode confiné à quelques semaines. Ce serait bien la dernière chose dont la culture a besoin.