Le 9 février 2014, les Suisses votaient apparemment contre leur intérêt. A une très courte majorité (50,3%), ils disaient «oui» à une initiative de l’UDC intitulée «contre l’immigration de masse». Un résultat surprise: à dix jours du scrutin, les sondages n’accordaient que 43% de votes favorables. A l’exception du parti national-conservateur, tous les autres avaient appelé à voter «non» à ce texte qui entendait limiter la libre-circulation des personnes, l’un des piliers de la maison européenne, rejointe par la Suisse à la faveur de son entrée dans l’espace Schengen six ans plus tôt.
On pouvait voir dans le résultat de 2014, la crainte, déjà, de la surpopulation, sous l’effet de l’installation en Suisse de ressortissants toujours plus nombreux de l’Union européenne. A cette occasion, les Suisses faisaient passer l’identité avant la prospérité, dopée à la croissance de la population immigrée qualifiée, synonyme de création de richesses. A l’intérêt matériel, ils préféraient le bien-être immatériel. Il faut dire que les calculs n’étaient pas bons: l’intégration à l’espace Schengen devait se traduire par une augmentation de 8000 habitants par an en Suisse. Ce fut dix fois plus, tant la Confédération helvétique était attractive.
Les Suisses vont-ils à nouveau voter «contre leur intérêt» le 24 novembre en rejetant le projet d’élargissement des autoroutes soutenu par le Conseil fédéral? Les sondages SSR et Tamedia publiés ce mercredi annoncent un résultat très serré. Le projet serait adopté de justesse par 49% contre 48% ou refusé d'un rien (51%-47%).
Si le «non» devait l’emporter, ce serait en quelque sorte la revanche des villes sur les campagnes (quoique celles-ci semblent avoir évolué vers le «non» sur l’objet de l’élargissement des autoroutes au fil des sondages) et de la gauche sur la droite par rapport à 2014, avec des motivations au fond pas si éloignées entre les deux votes distants de dix ans.
Aujourd'hui comme hier, c’est la préservation de l’espace existant qui gagnerait sur la logique du développement économique, la construction de routes favorisant les échanges marchands de tous ordres, selon une vision classique des mobilités. A l’identitaire ethno-territorial succèderait un identitaire écolo-territorial. Ces deux identitaires n'ont-ils aucun lien entre eux? On ne le jurera pas.