On croit rêver. Après l'annonce de la démission de Viola Amherd, Le Centre n'a pas été capable d'aligner les candidats pour défendre son siège au Conseil fédéral. Les désistements se sont succédés: Gerhard Pfister, Isabelle Chassot, Martin Candinas, on en passe. Cette séquence politique était, disons-le, assez navrante.
Voici des années que le parti a entrepris des efforts considérables pour mettre un terme à l'érosion de son électorat. Son président Gerhard Pfister, sacrifiant une partie de son héritage catholique, a pris les choses en main. En décidant d'intégrer le PBD protestant et de transformer le Parti démocrate-chrétien en Le Centre, il a permis de stabiliser ses scores et d'ouvrir ses bras à de nouveaux électeurs urbains déconfessionnalisés.
L'incertitude était grande, le défi réel – et le succès présent, aux élections fédérales de 2023. Tout ça, pour quoi? Pour que le président et la conseillère fédérale centristes se barrent à quelques jours près, sans concertation, laissant derrière eux cet électorat sur le carreau, témoin et étonné d'un manque de leadership flagrant après tous ces efforts fournis.
Le signal envoyé est désolant. Voter pour un parti, c'est vouloir qu'il nous représente au Parlement – qui élit ensuite l'exécutif suprême. On attend donc qu'il fasse preuve d'un tant soit peu de vigueur pour lancer son champion en haut de la pyramide.
On constate par ailleurs l'absence de femme sur le ticket. Une surprise car, contrairement à l'UDC par exemple, Le Centre fourmille de profils féminins dans ses rangs, à l'image d'Isabelle Chassot, Andrea Gmür-Schönenberger ou encore Elisabeth Schneider-Schneiter.
Prenons cette dernière. Comment comprendre, par exemple, qu'elle ne se lance pas? Elle était candidate pour le poste de Viola Amherd, à la succession de Doris Leuthard, en 2018, alors qu'elle disposait de moins d'expérience. A 60 ans dont 14 au Conseil national, le timing semble parfait. Mais l'élue explique favoriser son engagement pour l'économie et la politique extérieure. Et c'est tout.
On peut comprendre que la dureté du job de conseiller fédéral n'est pas attrayante à côté du confort des habitudes parlementaires. L'argument familial a aussi été mis en avant par certains. Certes. Mais le job du comité directeur du Centre, c'est aussi de trouver – ou de convaincre? – le bon profil de se présenter, par respect pour ses électeurs. Parfois caricaturé comme «mou du genou», Le Centre tend le bâton pour se faire battre.
Le PLR doit bien rigoler. Lui qui pensait avoir du souci à se faire pour son deuxième siège, il découvre que le Centre est à peine capable de mettre quelqu'un sur son unique trône. Les stratèges centristes vont-ils garder leurs meilleures cartouches pour attaquer le siège d'Ignazio Cassis? Cela serait surprenant, car il y a assez de poids lourds pour envoyer un duo «tout en haut».
On peut se demander si l'Assemblée fédérale ne serait pas tentée d'élire un candidat sauvage pour «punir» Le Centre d'une certaine arrogance. Facétieux, Roger Nordmann a indiqué sur la RTS, sourire en coin, que si les centristes ne présentaient pas un «choix» (au moins deux candidatures) à l'Assemblée, peut-être voterait-on pour les Vert'libéraux, par exemple la conseillère aux Etats Tiana Angelina Moser. Une boutade qui a valeur d'avertissement: «Get your shit together, Le Centre» («Resaisissez-vous»).
Les imprévus sont déjà légions lorsqu'un parti joue les règles du jeu. Souvenez-vous du frondeur socialiste Daniel Jositsch, candidat sauvage de deux élections, ou des Verts qui ont tenté (sans grand succès) de renverser Ignazio Cassis par Gerhard Andrey.
Le Centre a fait de l'ordre dans son positionnement. Il est temps pour lui désormais de se secouer, reprendre vigueur et de montrer qu'il ne prend pas ses électeurs — et les Suisses — pour des pigeons.