La transformation du patron des paysans en candidat au Conseil fédéral se lit sur le visage de Markus Ritter. Jusqu'à présent, le conseiller national avait l'habitude de recevoir les journalistes et les photographes en chemise à edelweiss chez lui, à Altstätten (SG). Désormais, c'est en costume et cravate qu'il pose devant sa ferme.
La cravate, tout un symbole pour les candidats au Conseil fédéral. Mais pas rouge, comme l'a recommandé dans le Tages-Anzeiger le conseiller en relations publiques de Markus Ritter, Lorenz Furrer. Le rouge serait en effet une couleur de gens de gauche. L'adversaire du président de l'USP, Martin Pfister, a lui aussi engagé une experte en stratégie et en communication qui a tout prévu, jusqu'à la cravate. Elle suggère d'opter pour des tons qui s'accordent.
Même si ces conseils ne sont pas toujours suivis à la lettre, il est désormais de notoriété publique que les politiciens font appel à des professionnels dans le cadre de la campagne électorale du Conseil fédéral. Le conseiller de Ritter, Lorenz Furrer, par ailleurs l'un des lobbyistes les plus expérimentés de la Berne fédérale, fait figurer ce mandat sur le site de son agence - à la demande de son client.
Une telle transparence est nouvelle. Sans doute aussi parce que tous ceux qui sont impliqués dans une élection au Conseil fédéral le savent: un soutien professionnel est devenu indispensable pour toute campagne électorale qui se respecte. «On ne peut plus s'en passer», dit Stefan Batzli. «C'est impossible». Batzli est partenaire de l'agence de communication CRK. Il a dirigé en 2023 l'équipe de campagne autour de Beat Jans, alors conseiller d'Etat bâlois et actuel ministre de la Justice.
Car ce qui fait la particularité de la course au gouvernement, ce n'est pas seulement la fonction en jeu, mais aussi le court laps de temps. 19 jours seulement séparent la nomination officielle de la fin de la semaine prochaine de l'élection du 12 mars.
Mais que font concrètement les conseillers en relations publiques des candidats? Comment tirent-ils les ficelles en coulisses pour aider leurs clients à franchir l'étape la plus importante de leur carrière?
Et là, tout devient plus opaque et la discrétion prend le relais. Lorenz Furrer nous invite certes dans son bureau pour un entretien. Mais il n'en dira pas beaucoup plus. Bettina Mutter, vice-présidente de la Société suisse des relations publiques et conseillère de Martin Pfister, s'exprime elle aussi avec une grande réserve et avec des phrases toutes faites sur son travail dans l'ombre:
Sa tâche consiste à se demander: s'est-on fixé les bonnes priorités? Les réponses aux questions délicates sont-elles satisfaisantes? Quand le candidat semble-t-il authentique, qu'est-ce qui relèverait du «discours RP»? Mais aussi: est-ce que l'agenda est trop chargé? La salle de réunion est-elle réservée? Qu'est-ce qu'on règle aujourd'hui et qu'est-ce qui doit être reporté à demain?
Mission principale, donc: l'organisation. «C'est un métier très concret», résume Bettina Mutter.
Objectif: rassembler une majorité des 246 parlementaires. Pour Bettina Mutter, le défi est d'autant plus grand. Car, contrairement à son rival, le conseiller d'Etat zougois Martin Pfister part pratiquement de zéro sous la Coupole.
Pfister propose des entretiens en bilatérales au plus grand nombre possible de parlementaires, explique la spécialiste. Elle et son équipe les préparent en regardant à l'avance quels thèmes et positions sont particulièrement pertinents pour tel ou tel interlocuteur.
Jongler avec de nombreux rendez-vous relève, selon l'experte en stratégie et en communication, «d'une petite prouesse logistique».
Mais il faut aussi faire attention à ce qui semble secondaire. Stefan Batzli, le conseiller de Jans à l'époque, raconte que l'on veillait à ce que le politicien ne soit jamais seul dans la salle des pas perdus. Quelle image cela donnerait-il sinon?
La conseillère de Martin Pfister, Bettina Mutter, est en contact quotidien avec lui. Combien reçoit-elle en échange? Cela restera secret. Idem pour Lorenz Furrer, qui «coache» Markus Ritter. Dans le milieu, on n'aime pas parler de choses trop concrètes. Et surtout pas d'argent.
Stefan Batzli se montre un peu plus ouvert, car son engagement pour Jans remonte à un certain temps déjà. De plus, son client attachait de l'importance à la transparence. Il évoque une mission de «suivi complet». Selon les indications de Jans, il avait été convenu qu'il paierait au maximum 20 000 francs pour ce pack «liberté d'esprit».
«Dès que l'on connaissait l'adversaire avec certitude, il s'agissait d'aiguiser le profil de Jans», explique Batzli. C'est la tâche numéro trois d'un conseiller en relations publiques.
A l'époque, un branding avait été créé pour Beat Jans. Cela s'est par la suite transformé en marque. «On a veillé à adapter chaque message à la "marque Jans"», poursuit Stefan Batzli. Il y avait pourtant un accord entre son camp et celui de son adversaire au sein du parti, Jon Pult: on ne tire pas les uns sur les autres.
Cette règle s'applique également à la campagne actuelle. Dans le bureau de Lorenz Furrer situé juste à côté de la gare de Berne, on retrouve la photo d'un bâtiment, sur lequel sont tagués les mots: «Don't cry. Work». Mais le travail a tout de même ses limites, souligne-t-il. Il évoque «dark PR», des acteurs engagés contre l'adversaire dans le but de l'affaiblir. Un tabou dans la branche.
Une autre règle qui, selon Furrer, s'applique aux candidats au Conseil fédéral: ne pas essayer de changer une personnalité. «Je ne suis pas un producteur de musique qui façonne un boys band avant de l'envoyer sur scène». Au lieu de cela, il préfère parler d'une «métamorphose consciente» - et à laquelle il participe. Et tout commence par la cravate.
Adaptation française: Valentine Zenker