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Droits de douane de Trump: 17 tonnes de Tête de moine bloquées

Florian Spielhofer dans sa fromagerie le 12 août 2025 à Saint-Imier.
Florian Spielhofer dans sa fromagerie le 12 août 2025 à Saint-Imier.image: watson

Ce Romand est coincé avec 17 tonnes de fromage à cause de Trump

Florian Spielhofer dirige une fromagerie familiale à Saint-Imier, dans le Jura bernois. Ce producteur et affineur de la marque Tête de moine se retrouve avec un lot de près de 20 tonnes du célèbre fromage qui devait être exporté aux Etats-Unis et qui reste bloqué pour l'instant. Rencontre et témoignage.
14.08.2025, 05:3314.08.2025, 09:00
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La petite fromagerie fondée en 1982 à Cormoret par le père, Joseph Spielhofer, est devenue une entreprise d'une centaine de collaborateurs répartis sur deux sites, l’un à Sonvilier, l’autre à Saint-Imier, dans le vallon du même nom, au cœur du Jura bernois. Là, sous le versant nord du Chasseral, dans le décor ondulé des prairies, les manufactures et les vaches ont toujours fait bon ménage. Mais, depuis le 7 août et les 39% de droits de douane imposés par Donald Trump aux exportations suisses vers les Etats-Unis, la carte postale chatoyante menace de jaunir.

Florian Spielhofer en est un peu retourné. Lui qui a repris l’affaire familiale avec son frère Cédric, s’inquiète tout particulièrement du sort d’une production de 17 tonnes de tête de moine, le fromage AOP à pâte mi-dure fabriqué et affiné sur le site de Saint-Imier, celui de Sonvilier étant dédié au gruyère, également AOP.

«Jusqu’à 50% de surcoût»

Ces 17 tonnes de tête de moine pourraient lui rester sur les bras. Elles devaient prendre ces jours-ci le chemin des Etats-Unis.

«D'autres commandes en provenance des Etats-Unis étaient attendues d'ici la fin de l'année, mais elles restent pour l'instant en stand-by»
Florian Spielhofer

L’importateur prenant d'ordinaire en charge cette marchandise craint de ne pouvoir l'écouler sur le marché américain en raison des 39% de taxes douanières qu’il faudrait immanquablement reporter sur le prix de vente – «jusqu’à 50% de surcoût si l’on tient compte du change franc suisse-dollar», précise notre hôte jurassien bernois.

Cette situation est inédite dans la carrière du fromager de 40 ans.

«On espère tous ici que les droits de douane sur l’alimentaire seront levés le plus tôt possible»
Florian Spielhofer

Après tout, «l’or et la pharma échappent pour l'heure aux taxes de Donald Trump», fait-il observer.

Le prix de vente d’un kilo de tête de moine pouvant atteindre 50 dollars aux Etats-Unis, le calcul est vite fait: 17 tonnes rapportent potentiellement 850 000 dollars en fin de chaîne.

Le marché américain: un rêve à 350 millions

Célèbre pour sa «girolle», cet instrument de découpe détaillant des «rosettes» évoquant la forme du champignon, la tête de moine est le fromage par excellence de ce coin de Jura et de Jura bernois. Associé à l’abbaye de Bellelay qui avait autrefois ses moines, d’où son nom et sa forme typique évoquant la tonsure autant que la chéchia, seules six fromageries le fabriquent en obéissant à un strict cahier des charges. La famille Spielhofer à raison de 500 tonnes par an, dont 60% sont destinées à l’exportation. La totalité produite dans la région s’élève à 3100 tonnes.

Responsable de la fabrication et de la vente, Florian, l’aîné des deux frères, raconte:

«Nous avons commencé à développer le marché américain il y a environ cinq ans. Cela équivaut à peu près à 4% des exportations de tête de moine. Les principaux marchés extérieurs pour ce fromage sont l’Allemagne, 46%, suivie de la France, 28%, l’Espagne faisant 5%.»
Florian Spielhofer

L’idée était, et reste, idéalement, d’augmenter la part américaine. «Le marché allemand et ses 80 millions de consommateurs se tassent. Or, les Etats-Unis, c’est 350 millions de consommateurs. La marge de progression est théoriquement beaucoup plus grande», avance Florian Spielhofer, des étoiles dans les yeux, moins scintillantes depuis l’annonce de ces maudits 39%.

Aides à l'exportation?

Que faire à présent des 17 tonnes dernièrement produites pour les Etats-Unis, un tiers de la production de tête de moine exportée annuellement vers ce pays par la fromagerie imérienne? Il faudrait pouvoir les y écouler malgré tout. Mais comment?

«Nous disposons d’une certaine marge de manœuvre et pouvons augmenter le stock de tête de moine, mais cela ne pourra pas durer indéfiniment, répond le jeune patron. Si toutes les commandes venaient à être annulées, il faudrait envisager une réduction de la production.» A l’heure actuelle, il n’est pas prévu que la faitière, l'interprofession de la tête de moine, accorde un soutien à l’exportation vers les États-Unis, constate à regret notre interlocuteur.

Conditionnement des barquettes de tête de moine destinées aux Etats-Unis.
Conditionnement des barquettes de tête de moine destinées aux Etats-Unis. image: watson

Ce mardi matin 12 août, des employés de la fromagerie conditionnent des rosettes dans des barquettes comprenant neuf compartiments. Cette future livraison de tête de moine est prévue pour les Etats-Unis, comme indiqué sur les étiquettes. Florian Spielhofer confie, soulagé:

«Cette commande-là nous est déjà garantie. Elle sera certes taxée à 39%, mais nous n’aurons pas à prendre en charge le surplus»
Florian Spielhofer

On pourrait penser que tirer un trait sur le marché américain – 4% des exportations, rappelons-le – est économiquement supportable. «Sauf que ces 4% répondent à une étude bien précise, on ne les écoulera pas d’un claquement de doigts vers d’autres marchés, même si nous pensons que la tête de moine a du potentiel ailleurs, à commencer chez nous, en Suisse, où elle n’est pas encore connue partout», affirme le copropriétaire de la fromagerie imérienne.

Manque à gagner

Réduire de 4% le volume fabriqué de tête de moine, cela signifie par ailleurs un manque à gagner pour les producteurs laitiers, les fabricants et les affineurs.

«Le litre de lait destiné à cette marque classée en AOP est valorisé et figure parmi les plus chers au monde»
Florian Spielhofer

Entre le fromage AOP et la brique de lait, il y a toutefois un moyen-terme permettant aux producteurs laitiers de conserver un prix préférentiel. Ce sont, comme dans d’autres fromageries suisses, les spécialités non AOP. Les frères Spielhofer en produisent une trentaine en tout, parmi elles l’Horloger et le Mont-Soleil, des noms fleurant le patrimoine local.

«Dans cette cave, il y a plus de 40 000 meules»

Dans la grande salle des cuves en cuivre où le lait est transformé en fromage, Noah, apprenti de troisième année, s’apprête à remplir les 496 moules réservés à la fabrication de la tête de moine. Les meules encore fraîches et blanches passeront ensuite dans un bain de sel, avant d’être entreposées sur des tablards pour y être affinées pendant 75 jours au minimum. «Dans cette cave, il y a plus de 40 000 meules», indique non sans fierté Florian Spielhofer.

Florian Spielhofer et Noah, apprenti fromager de troisième année, devant les moules des têtes de moine.
Florian Spielhofer et Noah, apprenti fromager de troisième année, devant les moules des têtes de moine.image: watson

Le fromager l’assure:

«Nos employés au bénéfice d’un contrat fixe n’ont pas de souci à se faire pour la sauvegarde de leur place de travail. Seulement, à l’avenir, nous pourrions moins faire appel à des intérimaires»
Florian Spielhofer

On quitte la fromagerie par où on était entré, par la boutique. Voici la «Fleurolle», une demi-meule de tête de moine équipée de sa «girolle en plastique des océans recyclé, des granulats fondus et moulés par une entreprise de Saint-Imier», explique Florian Spielhofer, associé à l’ONG Tide, soucieuse de la protection des milieux maritimes. Si les valeurs du terroir ont une chance de parler à Donald Trump, l’argument écologiste sans doute un peu moins.

Les fromages suisses, la vie ❤️
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Qui est Luidji, le rappeur aux questions existentielles?
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