Comment, à l'Union syndicale suisse (USS), avez-vous réagi à la décision de Donald Trump de taxer à 39% les importations suisses aux Etats-Unis?
Pierre-Yves Maillard: Comme tout le monde, nous avons réagi sans comprendre la logique derrière cette décision et avec inquiétude quant aux conséquences pour les emplois industriels en Suisse.
Que mettez-vous en place à l’USS pour répondre à cette inquiétude?
Bien avant l’annonce du 1er août, les partenaires sociaux de l’industrie, le syndicat Unia et l’organisation patronale Swissmem se sont mis d’accord pour demander ensemble une prolongation à deux ans du chômage partiel, ce qui nécessite une modification de la loi, donc une décision du Parlement. J’ai repris cette proposition et l’ai déposée à la Commission santé-social du Conseil des Etats, qui lui a donné suite. Nous espérons une décision définitive du Parlement à la session d’automne. La crise dans le secteur automobile allemand et ses répercussions sur les sous-traitants suisses se prolonge maintenant avec la crise des tarifs douaniers.
Le chef du Département fédéral de l’économie, Guy Parmelin, est-il d’accord avec cette mesure?
Il ne l’était pas au printemps, mais je m’attends à ce que le Conseil fédéral change d’avis sur ce point, du moins je l’espère.
Les 24 mois de chômage technique, dit aussi chômage partiel, entreraient-ils en vigueur maintenant?
Les sociétés qui auront atteint les 18 mois à la fin de l’année 2025 pourraient voir la mesure être prolongée de six mois. Mais les entreprises qui entreront en chômage technique dans les prochaines semaines auront deux ans devant elles.
En dehors de la période Covid, est-ce que c’est la première fois dans votre expérience parlementaire et syndicale que vous êtes confronté à une telle crise?
Non. En janvier 2015, la fin du taux plancher du franc suisse a eu de fortes répercussions sur toute l’industrie suisse, puisque le franc s’est renchéri de 16% environ en un jour, la Bourse suisse perdant plus de 8%.
Comment avez-vous fait à l’époque face au renchérissement des exportations dû au franc fort?
A l’époque, le mécanisme du chômage technique avait fonctionné. Des patrons isolément avaient pris des décisions avec lesquelles nous n’étions pas d’accord, comme certaines hausses de temps de travail. Toujours est-il que la Suisse, à l’époque, alors qu’on pouvait vraiment craindre le pire, avait réussi à surmonter cette crise. C’est pourquoi, à l’USS, nous souhaitons réagir à la décision des droits de douane américains sans trop noircir le tableau.
A quels moyens par exemple?
Un soutien aux petites et moyennes entreprises qui exportent aux USA et qui ont besoin de conseils juridiques et techniques pour comprendre comment éviter ces taxes arbitraires, par exemple. On peut aussi citer la diminution du coût de l’énergie électrique, qui pèse lourd dans la production industrielle. Fin 2024, le Parlement a trouvé en urgence un accord sur ce point qui a contribué au sauvetage des fonderies de Gerlafingen et de Swiss Steel à Emmenbrücke. C’est bien pour cela qu’il importe de garder le contrôle sur le secteur de l’électricité.
Partant du principe que le souci des chefs d’entreprise est d’éviter autant que faire se peut les licenciements, baisser les salaires pourrait-il être une solution?
Non, nous n’avons aucunement l’intention de négocier des salaires à la baisse. Parce que les salaires, sur le coût final du produit, dans l’industrie, ne pèsent que 30% à 40%. Autrement dit, en raisonnant par l’absurde, même le travail complètement gratis ne compenserait souvent même pas la taxe à 39%. Non, la baisse des salaires est une idée sans issue. Elle serait, par ailleurs, contre-productive
Pourquoi?
Parce que la compétence du personnel dans les domaines de la mécanique, de la machine-outil et de l’horlogerie est une ressource rare. Les emplois dans ces secteurs sont de plus en plus qualifiés. Alors que se pose parfois déjà un problème d’attractivité de ces emplois auprès des jeunes, réduire les salaires enverrait un très mauvais message. Dans la situation actuelle, il faut plutôt donner de la confiance.
A tout prendre, préfériez-vous des licenciements à des baisses de salaires?
Nous refusons d’entrer dans de telles alternatives. Quand une entreprise est en danger et qu’elle est contrainte de prendre des décisions difficiles, les syndicats négocient et regardent ce qu’il est possible de faire. Mais notre raisonnement n’est jamais de dire «plutôt des licenciements que des baisses de salaire».
Cela veut dire qu’elles font de bons produits et qu’il faut tout faire pour garder la formation et l’emploi qui permettent la qualité et l’innovation. C’est sur ces atouts-là qu’il faut en permanence travailler. Et puis, peut-être que dans un mois, les taxes à l’exportation vers les Etats-Unis auront été réduites ou supprimées. Il faut encourager le Conseil fédéral à poursuivre les discussions avec les Américains.
L’USS est-elle autant attentive au devenir de la pharma en Suisse qu’elle ne l’est pour le secteur des machines et de l’horlogerie?
Pour nous ce sont les emplois et les salariés qui comptent. Nous ne faisons pas de hiérarchie entre les branches. Ce qui compte, c’est de défendre un savoir-faire industriel et de bons revenus pour des dizaines de milliers de salariés.
Etant donné, cela dit, le côté imprévisible des Etats-Unis, n’est-il pas temps, non pas de se jeter dans les bras de l’Europe, mais d’accueillir sereinement les Bilatérales III avec l’Union européenne, sur lesquelles le peuple aura certainement le dernier mot?
Nous soutenons le grand accord sur la libre circulation et l’accès au marché intérieur européen sorti de ce nouveau round de négociations entre la Suisse et l’UE, pourvu qu’on le complète avec les 14 mesures que le Conseil fédéral a présentées pour mieux protéger les salaires. Mais il faut que le Parlement ne détricote pas les mesures de protection des salaires.
Autrement dit, une perte de contrôle de cette ressource. Pour nous, ce serait une catastrophe. Cet accord sur l’électricité n’est d’ailleurs pas lié juridiquement aux autres selon le Conseil fédéral.
Comptez-vous sur le traumatisme des droits de douane américains pour obtenir satisfaction?
Nous verrons si les organisations patronales soutiennent les 14 mesures de protection des salaires dans leur ensemble, comme le demande le Conseil fédéral. Cela montrerait qu’elles sont à la hauteur de la gravité de la situation.