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«Coupeur de doigts»: comment la mafia vend sa drogue en Suisse

Le «coupeur de doigts»: comment la mafia vend sa drogue en Suisse

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En Belgique, le ministre de la Justice a annoncé la lutte contre le «terrorisme de la drogue». (image d'illustration)Image: EPA
Un baron de la drogue belge figurant sur la liste des criminels les plus recherchés par Europol s'était installé à Zurich. Cette affaire le montre clairement: la Suisse est bien plus qu'une cachette pour le crime organisé.
16.10.2022, 07:57
Andreas Maurer et Remo Hess, bruxelles / ch media
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S'il s'agissait d'un criminel ordinaire, on l'appellerait Flor B. Mais il figurait sur la liste des grands criminels les plus recherchés par l'agence de police Europol. C'est pourquoi il fait partie du cercle de ces délinquants dont on peut parler avec leur nom complet.

Flor Bressers, 36 ans, belge, a même étudié son métier. Il est titulaire d'un master en criminologie. Cela lui a permis de faire carrière dans le monde de la délinquance. Il est considéré comme le chef d'une organisation criminelle qui a importé des tonnes de cocaïne d'Amérique du Sud en Europe et l'y a distribuée. Elle aurait aussi livré de grandes quantités en Suisse.

Lorsqu'il a été recherché au niveau international, les enquêteurs l'ont d'abord soupçonné d'être en Afrique du Sud. Mais Bressers s'était installé avec sa femme et son fils à Zurich, dans un endroit très bien situé. Ils vivaient dans un appartement luxueux dans une tour près de la gare de Zurich Hardbrücke. En février, lui et sa femme ont été arrêtés par l'unité spéciale Diamant de la police cantonale.

Schwer bewaffnete Polizeigrenadiere der Einsatzgruppe Diamant der Zuercher Kantonspolizei kommen zu einer Liegenschaft im Bieler Lindenquartier, am Donnerstag 9. September 2010 in Biel. Ein 67-jaehrig ...
Des membres de l'unité spéciale Diamant.Image: KEYSTONE

Le «coupeur de doigts»

Le Tribunal pénal fédéral a approuvé l'extradition de Bresser vers la Belgique. Il ressort de la décision du tribunal que la Suisse était probablement plus qu'une simple cachette pour lui. C'est ici qu'il aurait blanchi, placé et investi l'argent issu du trafic de drogue.

Il aurait en outre disposé d'un réseau d'aides. C'est seulement ainsi qu'il aurait réussi à fuir pendant deux ans et à se créer de nouvelles identités. A côté de la sonnette de son appartement à Zurich, on pouvait lire le nom Falcon.

Bressers était connu internationalement sous un autre surnom: le «coupeur de doigts». Il y a douze ans, il aurait coupé un doigt à un gangster néerlandais avec un sécateur. Faute de preuves, il a toutefois été acquitté.

Il a été définitivement condamné il y a deux ans pour avoir utilisé des méthodes mafieuses similaires pour punir un fleuriste néerlandais qui n'avait pas réussi à faire passer de la drogue à la douane britannique. Bressers a enlevé l'homme et l'a blessé avec un rasoir.

Des kalachnikovs et de l'essence

Récemment, les médias belges ont même spéculé que Bressers pourrait avoir été impliqué dans la tentative d'enlèvement du ministre belge de la Justice Vincent Van Quickenborne. Les préparatifs étaient déjà bien avancés: fin septembre, une voiture suspecte a été saisie à proximité immédiate du domicile de l'homme politique. A l'intérieur, la police a trouvé des kalachnikovs, d'autres armes à feu et de l'essence. Depuis, Quickenborne et sa famille se trouvent dans une «safe house», une cachette inconnue gardée par la police.

Il s'est ensuite passé quelque chose d'étrange: les avocats de Bresser ont publié sur Twitter une prise de position du chef de la drogue dans laquelle il se désolidarisait de cette affaire. Selon eux, il n'est pas possible qu'il soit impliqué dans cette affaire puisqu'il est en prison à Zurich depuis neuf mois.

En effet, Bressers est soumis ici à un régime strict: il est à l'isolement car on craint qu'il puisse organiser son évasion ou faire disparaître des preuves par le biais de contacts avec d'autres détenus.

Le business de la poudre blanche est en plein essor

Cette affaire montre comment la violence des cartels de la drogue colombiens est importée en Europe. Au cours des sept dernières années, la production mondiale de cocaïne a plus que doublé, selon le rapport mondial sur les drogues de l'ONU. En Colombie, les affaires marchent particulièrement bien depuis l'accord de paix conclu avec la guérilla communiste des Farc en 2017. Le pays fournit les deux tiers du marché mondial en cocaïne. Mais le Pérou et la Bolivie ont également augmenté leur production.

La principale route commerciale part de l'Amérique du Sud par porte-conteneurs vers Anvers, en Belgique, et Rotterdam, aux Pays-Bas. Des dizaines de milliers de conteneurs arrivent chaque jour dans les deux plus grands ports maritimes d'Europe. Avec de telles quantités, seule une fraction du fret peut être inspectée. Et pourtant, mois après mois, les fonctionnaires découvrent des livraisons de cocaïne: entre des boîtes de bananes, sous des sacs de café ou dans les parois des conteneurs.

In this image released by the Dutch Interior and Justice Ministry on Friday Oct. 12, 2012, showing a customs officer as he cuts into a block of cocaine, displayed Thursday Oct. 11, 2012. More than eig ...
De la cocaïne saisie à Rotterdam.Image: AP Dutch Interior and Justice Ministry

En 2021, plus de 70 tonnes ont été saisies à Rotterdam, pour une valeur de vente de plus de cinq milliards d'euros. A Anvers, près de 36 tonnes ont été saisies au cours du premier semestre de cette année. Et toutes les parties concernées le savent: ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. En réalité, la quantité de drogue importée est bien plus importante.

Whatsapp pour les gangsters

Les autorités ne sont toutefois pas totalement impuissantes face à la mafia de la drogue: un double coup de filet lourd de conséquences a été réalisé en 2020 et 2021. Dans le cadre d'une coopération internationale entre la France, la Belgique, les Pays-Bas et l'autorité policière européenne Europol, les services de messagerie cryptée EncroChat et SkyECC ont été décryptés. Il s'agit d'une sorte de Whatsapp pour les gangsters.

Des millions de messages ont ainsi pu être interceptés, montrant comment les criminels s'échangent des informations sur leurs actes, planifient des attentats et mettent en place des deals. La chef de la police néerlandaise, Janine van den Berg, a déclaré:

«C'est comme si nous étions assis à la table des criminels»
Janine van den Berg

Par la suite, les enquêteurs ont pu effectuer plusieurs descentes. Le démantèlement d'une chambre de torture insonorisée aux Pays-Bas, dans laquelle des gangsters de la drogue voulaient «traiter» leurs concurrents sur un fauteuil de dentiste préparé, a été spectaculaire. Des listes d'enlèvements étaient déjà rédigées, des menottes, des scalpels et des pinces étaient prêts à être utilisés.

La Suisse n'est pas qu'un lieu de repli

L'Office fédéral de la police (Fedpol) a accès aux données SkyECC depuis le début de l'année. Il s'agit de centaines de téraoctets. Les enquêteurs en ont tiré de nouvelles informations, comme l'a annoncé un porte-parole de Fedpol sur demande:

«Pour le crime organisé, la Suisse n'est pas seulement, comme on le pensait souvent jusqu'à présent, un lieu de repli ou de blanchiment d'argent. Au contraire, il y a ici de nombreuses activités qui sont passées inaperçues jusqu'à présent»

C'est remarquable, car cela ne correspond pas à la perception de la société ni aux statistiques de la criminalité qui indiquent des chiffres en baisse. Celles-ci sont trop basses, car elles ne prennent en compte que ce qui est dénoncé.

«Nos partenaires en Belgique et aux Pays-Bas nous disent qu'ils ont longtemps sous-estimé le problème du crime organisé parce qu'au début, il était à peine perceptible publiquement», explique-t-on à Fedpol. Actuellement, l'autorité examine donc si les instruments de détection, d'annonce et de poursuite du crime organisé sont suffisants.

En Belgique, depuis la découverte d'EncroChat et de SkyECC, plus de 1200 personnes ont été arrêtées, des dizaines de tonnes de cocaïne et des arsenaux entiers ont été confisqués. Mais les connaissances acquises grâce aux services de messagerie montrent également que les gangs de la drogue se coordonnent entre eux. La mafia albanaise, les cartels sud-américains, les gangs marocains et la 'Ndrangheta italienne travaillent en partie main dans la main et par-delà les frontières nationales.

La capitale belge, Bruxelles, devient de plus en plus une plaque tournante de la cocaïne, où la substance est préparée dans des laboratoires avant d'être distribuée dans toute l'Europe.

Escalade de violence

Ces derniers temps, on constate une escalade de la violence d'une brutalité inédite. Au cours de l'été, Anvers a été le théâtre d'une véritable petite guerre avec des fusillades quasi quotidiennes. Des grenades ont même été lancées, il y a régulièrement des morts et des blessés. Bart De Wever, bourgmestre de la ville flamande, a tiré la sonnette d'alarme et a demandé l'aide de l'Etat fédéral. Le procureur général de Belgique, Ignacio de la Serne, a lancé un avertissement au début de l'année:

«La mafia prend possession du pays»
Ignacio de la Serne

L'agression est de plus en plus souvent dirigée directement contre l'Etat: outre le ministre belge de la Justice, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a également été menacé d'enlèvement. Mi-septembre, la princesse héritière néerlandaise Amalia a dû quitter son foyer d'étudiants pour retourner derrière les murs protecteurs du palais, car des projets d'enlèvement issus du milieu de la drogue existaient contre la jeune femme de 18 ans.

L'assassinat du célèbre journaliste criminel Peter de Vries, abattu en pleine rue à Amsterdam l'année dernière, a également fait les gros titres.

Lutte contre le «narco-terrorisme»

La politique tente de réagir. Aux Pays-Bas, Ridouan Taghi, le baron de la drogue le plus puissant du pays, est jugé sous haute sécurité. En Belgique, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne ne se laisse pas démonter, même après l'enlèvement déjoué, et a annoncé la lutte contre le «terrorisme de la drogue».

Après son entrée en fonction en 2020, il a promis de doter la police de 300 millions d'euros de moyens supplémentaires. Dans les ports, la fréquence des contrôles sera augmentée et les effectifs renforcés. De nouvelles compétences pour les autorités financières devraient permettre de fermer plus rapidement les établissements servant au blanchiment d'argent.

Quickenborne a conclu fin 2021 deux accords judiciaires avec les Emirats arabes unis afin de mettre la main sur les grands barons de la drogue qui se cachent souvent, eux et leur fortune, dans des métropoles arabes comme Dubaï. La tentative d'enlèvement du ministre de la Justice montre que Quickenborne obtient de plus en plus de succès et que les mafieux commencent à devenir nerveux.

Une ligne de coke coûte moins qu'un drink

Néanmoins, le trafic de cocaïne continue de prospérer. Le degré de pureté de la substance commercialisée sur le marché suisse se situe à un niveau élevé. C'est ce que montrent les évaluations des laboratoires médico-légaux de Suisse. Le degré de pureté a augmenté ces dernières années - alors que les prix sont restés stables.

Cela signifie que beaucoup de marchandises arrivent en Europe et que les commerçants doivent donc se contenter de petites marges et de peu de diluant. C'est une bonne chose pour les consommateurs, car le risque d'intoxication diminue. En revanche, plus le dosage est élevé, plus le risque de problèmes cardiaques augmente.

Selon la fondation Addiction Suisse, le prix du marché pour une ligne de coke en Suisse est de 10 à 15 francs - soit moins qu'un cocktail dans certains bars. Dans aucun autre pays d'Europe, on trouve autant de cocaïne dans les eaux usées urbaines que dans notre pays.

Ce qu'on oublie dans la consommation: celle-ci n'est possible que si des gangsters comme Flor Bressers peuvent agir au cœur de la société. Ce sont des hommes qui coupent les doigts avec des sécateurs.

En raison de la dangerosité du baron de la drogue belge, le Tribunal fédéral a récemment approuvé une nouvelle prolongation de son isolement. La plus haute juridiction suggère toutefois qu'avec le temps, il puisse avoir certains contacts avec des codétenus.

On ne sait pas combien de temps il restera en détention provisoire à Zurich. Actuellement, le délai pendant lequel Bressers peut contester la décision d'extradition devant l'instance suivante, le Tribunal fédéral, court. Son avocat renonce à prendre position. La présomption d'innocence s'applique.

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