Dans une autre vie, Paul Lukas Good représentait des dealers de drogue en tant qu'avocat. Mais depuis quelques années, il laisse les affaires juridiques à son frère. Il s'est consacré à un autre projet: la question de savoir comment la société doit gérer le cannabis, la marijuana et le haschisch.
Son association Swiss Cannabis Research mène actuellement la plus grande étude de Suisse sur la consommation récréative de cannabis. L'objectif de cette étude basée dans le canton de Zurich est de fournir des bases scientifiques pour les décisions politiques relatives à la gestion du cannabis.
Il sait de quoi il parle: son bureau se trouve dans le quartier fêtard de la Langstrasse à Zurich. Le marché noir y est en plein essor, le commerce illégal génère des milliards de bénéfices pour le crime organisé, avec lesquels il infiltre l'économie et l'Etat.
En avril 2024, par exemple, des enquêteurs ont saisi une livraison de 25 tonnes de cannabis au Maroc. La marchandise était déclarée comme étant des pastèques. Et la Suisse était l'un des pays de destination.
Les trafics de drogue sont organisés par des gangs comme la mafia Mocro, d'origine marocaine, qui s'est récemment étendue des Pays-Bas à l'Allemagne. Celle-ci est également active en Suisse depuis longtemps. Selon Patrick Jean, porte-parole de l'Office fédéral de la police Fedpol, «environ la moitié des explosions de distributeurs automatiques de billets en Suisse au cours des années 2022 et 2023 était liée la mafia Mocro».
En 2020, Europol a estimé que, rien que dans l'UE, les organisations criminelles réalisaient des profits de 30 milliards d'euros sur le marché de la drogue. La part des produits du cannabis dans ces bénéfices serait d'environ 11,6 milliards d'euros.
Le projet pilote de Lukas Good comprend trois Swiss Cannabis Center ainsi qu'une dizaine de pharmacies dans le canton de Zurich. L'une d'entre elles est un petit magasin à proximité de la gare centrale de Zurich. Celui-ci représente l'avenir du commerce du cannabis tel que l'expert le conçoit: bien trié, réglementé et contrôlé. Du cannabis de production suisse certifiée plutôt que de sources douteuses au Maroc.
Les participants à l'étude peuvent se procurer des produits à base de cannabis dans ce magasin. En premier lieu, des fleurs et des extraits avec des taux de THC différents, tous issus de la production biologique locale, avec une déclaration de produit et des mises en garde. Des chocolats au cannabis et d'autres friandises sont également disponibles pour les plus gourmands.
Mais le petit magasin reste une exception, une vision d'avenir. La réalité est toujours actuellement dominée par le marché noir. Selon une étude de l'université de Genève de 2022, celui-ci réalise un chiffre d'affaires d'environ 580 millions de francs par an. Si l'on tient compte des coûts de la police, de la justice et de la santé, cela représente même un milliard. L'étude conclut qu'environ 39,9 tonnes de marijuana et 16,7 tonnes de haschisch sont consommées chaque année en Suisse, ce qui correspond à «un peu plus de 750 000 joints par jour».
Plus d'un tiers de la population a déjà essayé le cannabis au moins une fois dans sa vie, selon l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). En 2020, 7,6% de la population âgée de 15 à 64 ans ont consommé du cannabis.
Quel avenir le cannabis aura-t-il en Suisse? Différents acteurs de la Confédération, des cantons et des villes cherchent actuellement des réponses à cette question. Le Parlement fédéral est en train de rédiger un rapport et plusieurs essais pilotes sont en cours dans toute la Suisse, parmi ceux-ci celui de Lukas Good à Zurich.
Le fait est, dit notre expert, qu'«il y a une demande stable pour le cannabis. Et s'il y a une demande, quelqu'un va s'occuper de fournir l'offre correspondante». Si ce n'est pas l'Etat ou l'économie légale qui s'en charge, l'économie illégale – les organisations criminelles, les petits et les grands dealers – prend le relais, soutient-il.
L'Etat perd ainsi beaucoup d'argent parce que l'économie illégale ne paie pas d'impôts. Lukas Good fait référence au Canada, qui perçoit 1,5 milliard de dollars d'impôts par an grâce à la vente légale de cannabis.
«Comparons ce qu'un Etat démocratique peut se permettre d'investir dans un appareil policier et les bénéfices que de telles organisations criminelles écument: il est clair que c'est un jeu de plus en plus inégal», explique Lukas Good. Alors que les bénéfices du commerce de la drogue explosent, les budgets des autorités policières et judiciaires restent inchangés. Ou ils rétrécissent carrément, comme c'est le cas actuellement dans le cadre du «paquet d'économies» de la Confédération.
Good est convaincu que l'Etat doit cesser de laisser le commerce du cannabis au crime organisé.
Et cela dans un marché réglementé, avec des fournisseurs titulaires d'une concession, avec des produits qui doivent respecter des normes de qualité. Good parle de cannabis produit par l'agriculture locale, de préférence de qualité biologique.
La situation qu'il décrit est bien différente de celle du marché noir. «Pesticides, cannabinoïdes synthétiques, matières fécales, laque pour les cheveux, autres drogues – ils coupent le cannabis avec tout et n'importe quoi. C'est juste terrifiant», indique Lukas Good.
S'il s'intéresse aussi à la consommation sûre de cannabis, ce ne sont pas les aspects sanitaires qui sont au premier plan de son projet pilote. «Nos étudions les conséquences sociales et économiques, c'est-à-dire l'impact sur la formation, sur le marché du travail, sur l'assurance sociale, sur l'assurance chômage, sur la criminalité». Il ne peut pas anticiper les résultats, il est trop tôt pour cela, dit-il.
L'avocat, qui a lui-même consommé du cannabis, trouve important de souligner que le cannabis n'est pas une drogue d'initiation. Mais il insiste aussi sur le fait qu'aujourd'hui, les dealers vendent toutes sortes de drogues sur le marché noir, ce qui augmente le risque que les consommateurs entrent également en contact avec d'autres drogues. L'accès à la drogue se ferait donc par l'intermédiaire du dealer.
Le deal se ferait aujourd'hui de plus en plus par voie numérique, via des plateformes comme Telegram, la marchandise est ensuite envoyée par la poste. Lukas Good s'insurge:
L'avocat précise que enfants peuvent déjà se procurer les drogues les plus dangereuses sans même devoir se rendre sur le Darknet. Good cite l'exemple du service de livraison «Vitamin-Taube», démantelé entre-temps par les autorités zurichoises. «On y trouvait de tout: de la cocaïne, du crystal meth, de l'héroïne, des médicaments, mais aussi du cannabis».
L'un des principaux arguments de Good est que la culture de plantes de chanvre serait une grande opportunité pour les agriculteurs. «Pour les maraîchers, qui peuvent intégrer le chanvre dans la rotation des cultures. Mais aussi pour les agriculteurs en général. Ils peuvent ainsi compenser les pertes de rendement dues à la baisse de la consommation de viande». Pour son étude, Lukas Good se procure uniquement du chanvre bio suisse, cultivé dans le Seeland bernois, auprès d'un maraîcher.
Cela fonctionne déjà aux Etats-Unis. «De nombreux agriculteurs, et la plupart sont républicains, y ont déjà un bon revenu grâce à la culture du cannabis», explique Good. «Cela pourrait aussi être le cas en Suisse. Je me demande seulement pourquoi l'UDC n'a pas encore reconnu cette opportunité».
Dans son modèle, le cannabis serait cultivé par des paysans suisses et vendu par des magasins spécialisés titulaires d'une concession et surveillés par les autorités sanitaires. Le marché noir serait néanmoins encore fort, du moins au début, et les vendeurs légaux devraient s'imposer face à lui, c'est-à-dire convaincre la clientèle de s'approvisionner chez eux.
«Mais il faudra peut-être fixer des prix minimums», dit Good, qui ne veut expressément pas entendre parler d'une commercialisation: «Ce serait irresponsable, car le cannabis n'est pas non plus inoffensif.» Surtout pas pour les jeunes.
L'étude genevoise de 2022 est arrivée à la conclusion suivante: dans un marché fortement réglementé – c'est-à-dire celui qu'imagine Lukas Good – le chiffre d'affaires du cannabis passerait d'un milliard aujourd'hui à 275 millions. Cela serait dû à la disparition des énormes profits du crime organisé, ainsi que la diminution des dépenses de justice, de police et d'application de la loi. Les recettes fiscales passeraient à 44 millions par an.
Good résume la situation en une phrase: «Tout plaide pour faire maintenant un premier pas hors de cette prohibition».
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci