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Cette enseignante devient «folle» face à l'administration suisse

Cette enseignante devient «folle» face à l'administration suisse

Une Ukrainienne installée dans le canton de Vaud, qui a enseigné l'anglais durant 40 ans, désespère de voir son diplôme reconnu en Suisse. Surtout que, dans le même temps, elle est autorisée à enseigner le français et la musique.
13.10.2024, 18:56
Julian Spörri / ch media
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Bien que la Suisse fasse face à une pénurie d'enseignants depuis des années, ceux qui détiennent un diplôme étranger doivent franchir de nombreux obstacles avant d’obtenir la reconnaissance de leurs qualifications. Christina (nom connu de la rédaction), enseignante depuis près de 40 ans, fait partie de ces personnes. Cette Ukrainienne, désormais également citoyenne britannique et suisse, attendait depuis 16 mois la reconnaissance de son diplôme d’enseignante. La quinquagénaire a longtemps désespéré de voir sa demande stagner. En août, elle nous confiait:

«La bureaucratie me rend folle»

Tout s'est soudain accéléré

Cinq jours après la publication d'un article CH Media (dont watson fait partie) cet été, la situation a évolué. La Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), l’organe compétent, a informé Christina que la décision serait rendue sous quatre semaines. La réponse est désormais connue: la CDIP a jugé que ses qualifications étaient insuffisantes pour enseigner l'anglais au secondaire en Suisse.

Christina a obtenu un diplôme de professeur de musique en Ukraine en 1991, puis le «Qualified Teacher Status» au Royaume-Uni en 2008, ce qui lui a permis d’y exercer sans restriction. Elle a ensuite enseigné en Angleterre, au Kazakhstan, et depuis 2012 dans des écoles anglophones en Suisse romande.

Dans sa justification, la CDIP précise qu’elle n’est pas liée par la décision du Royaume-Uni d'accepter la formation ukrainienne sans restriction dans une matière spécifique. Il n’y a pas de preuve d’une formation en anglais. Par ailleurs, le certificat TEFL, qu'elle possède pour l'enseignement de l'anglais, n'est pas considéré comme une formation universitaire. La CDIP insiste sur la nécessité d’éviter toute discrimination envers les enseignants ayant une formation suisse.

Des emplois temporaires malgré l'absence de diplôme reconnu

Le diplôme de Christina est en revanche reconnu pour l'enseignement de la musique, à condition qu'elle puisse prouver un niveau C2 dans une langue nationale d'ici l’été prochain. Vivant en Suisse romande, elle devra donc maîtriser le français de manière quasi maternelle. Si sa demande pour enseigner l'anglais avait été acceptée, elle n'aurait eu besoin que d’un niveau B2 en français, une exception étant prévue pour les langues étrangères. Elle possède déjà un certificat de niveau B2.

Ironie de l'histoire, depuis deux ans, Christina enseigne justement le français à des migrants et à des élèves en difficulté dans le cadre de contrats temporaires dans le canton de Vaud. La pénurie d'enseignants permet en effet ce type d’engagements. En Suisse, ils sont nombreux à enseigner sans diplôme reconnu, qu'ils viennent de l'étranger, qu'ils soient en formation ou qu’ils enseignent au secondaire avec un diplôme d’école primaire. Une chose est sûre: ce sont les écoles qui décident qui elles veulent engager, et dans certains endroits, la pénurie est criante.

Pour Christina, ce sursis prendra fin au plus tard l’été prochain, car dans le canton de Vaud, personne ne peut obtenir un poste temporaire pendant plus de trois ans sans diplôme reconnu. D'ici là, elle devra donc obtenir le certificat C2 en français si elle souhaite continuer à enseigner.

Atteindre un niveau de langue équivalent à celui d’un locuteur natif à son âge est difficile, admet-elle. Néanmoins, elle souhaite persévérer et ne veut pas gaspiller son énergie dans un recours contre la décision.

«Je n’ai plus la force de me battre contre le système, mais je suis convaincue que beaucoup de choses ne fonctionnent pas. Pourquoi mes 20 ans d’expérience en enseignement de l’anglais sont-ils ignorés, et préfère-t-on me faire enseigner la musique, que je n’ai plus pratiquée depuis des années?»

Ce cas soulève trois questions essentielles.

Pourquoi l’expérience ne compte-t-elle pas ?

La CDIP applique rigoureusement les directives en matière de reconnaissance des enseignants étrangers. Ce n’est pas l’expérience professionnelle qui compte, mais la comparabilité de la formation avec celle dispensée en Suisse.

«Du côté des directeurs d'école, nous attachons une grande importance à une formation solide. La seule expérience professionnelle ne peut pas compenser ça», souligne Thomas Minder, président de l'Association suisse des directeurs d’établissements scolaires. En ce qui concerne les règles de la CDIP, c'est comme partout où l'on établit des règles: elles ne couvrent pas tous les cas particuliers. Il en résulte des décisions peu compréhensibles dans certains cas, admet Thomas Minder.

«C'est regrettable, mais cela ne pourra probablement jamais être éliminé si nous ne voulons pas ouvrir la porte à l'arbitraire»

Pourquoi les enseignants étrangers se heurtent-ils à un mur?

Ce n'est pas la première fois que des critiques émergent concernant la lenteur du processus de reconnaissance des diplômes, souligne Alain Pichard, député PVL bernois et enseignant à la retraite, connu pour son engagement. Selon lui, les procédures sont si complexes que chaque dossier prend du temps à être traité. «Le système finit par s’effondrer sous la charge», ajoute-t-il. Cependant, dans certains cantons, des programmes de formation accélérée permettent aux enseignants étrangers d’acquérir les connaissances de base en quelques mois seulement.

«Les procédures d'examen sont tellement compliquées que chaque cas individuel prend du temps. Si, comme actuellement, il y a beaucoup de cas, le système s'effondre»

En d'autres termes, «c'est le serpent qui se mord la queue». Il est d'ailleurs convaincu qu'il est possible d'accélérer la procédure sans modifier les normes. En effet, dans de nombreux endroits, les choses avancent rapidement, même pour les personnes venant d'autres pays. Certains cantons misent sur des cours de formation rapide qui permettent d'acquérir en quelques mois les connaissances de base les plus élémentaires.

Toutefois, Alain Pichard attribue les difficultés des enseignants étrangers à plusieurs facteurs: un certain snobisme visant à protéger la qualité de la formation locale, l'augmentation de l’offre dans les hautes écoles pédagogiques, et enfin une gestion locale des écoles en raison de la pénurie d’enseignants, qui crée une «salade de règlements» inévitable.

Faut-il abaisser les normes?

L’obtention d’un niveau C2 dans une langue nationale suisse constitue un obstacle majeur pour de nombreux enseignants diplômés à l’étranger. Il est donc nécessaire de mieux les soutenir dans leur apprentissage linguistique, estime Thomas Minder. Toutefois, il est fermement opposé à un assouplissement des exigences, même pour des matières comme la musique ou les mathématiques. Alain Pichard partage cet avis. D'ailleurs, «avec un quart des élèves qui ne savent plus bien lire ni écrire, il est crucial que les enseignants soient à l’aise dans la langue nationale.»

Traduit et adapté par Noëline Flippe

La Foire du Valais a rassemblé plus de 150 mulets
Video: watson
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