Après près de 18 mois de travaux, la Commission d'enquête parlementaire (CEP) dédiée à la débâcle de Credit Suisse et son rachat forcé par UBS, a rendu son rapport. Verdict: les sphères dirigeantes de la grande banque n'ont pas fait le travail qu'on attendait d'elles. Les autorités ont globalement bien réagi, mais parfois trop lentement. La communication du conseiller fédéral en charge des Finances, Ueli Maurer, est pointée du doigt en 2022.
Que va-t-il se passer désormais? La CEP a émis une vingtaine de recommandations et la balle est dans le camp du Conseil fédéral. Daniel Kaufmann, professeur en macro-économie appliquée à l'Université de Neuchâtel et corédacteur du Swiss journal of economics and statistics, donne son avis. Il a aussi travaillé comme économiste à la Banque nationale suisse (BNS).
Que pensez-vous des conclusions du rapport de la CEP?
Je suis globalement assez d'accord. Les solutions proposées me semblent complètes. Je trouve notamment bien qu'un accent ait été mis sur la qualité des fonds propres et d'en augmenter les exigences. Quant aux liquidités, il est important ici de clarifier le rôle de la banque centrale: la Banque nationale suisse (BNS) pourra demander à UBS, la nouvelle «super-banque», de se voir présenter des titres de haute qualité pour recevoir des crédits.
Les instruments de la Finma devraient aussi être renforcés, avec des procédures d'«enforcement» plus poussées et la possibilité d'infliger des amendes. Qu'en pensez-vous?
Tout dépend de qui va payer ces amendes. Si ce sont des cadres spécifiques du management qui doivent les régler, cela peut avoir un impact dissuasif. Mais si ce sont les banques qui s'en chargent, cet effet disparaît car les amendes vont être intégrées à leurs frais et la sanction sera absorbée collectivement. Quant à la partie «enforcement», je ne sais pas exactement comment cela va se mettre en place.
Il y a plusieurs années, la Finma avait proposé à Credit Suisse d'engager du personnel dans certains domaines en crise et la banque avait rejeté ces propositions.
On évoque aussi la fin de la politique des bonus...
Je ne vois ici pas de lien direct avec la faillite de Credit Suisse. Comme beaucoup de monde, j'y suis opposé. Mais les montants n'ont pas fait peser une grande différence face au problème fondamental de confiance en l'institution.
Est-ce plutôt une question de symbole?
Oui, c'est ça: si le travail n'est pas bon, aucune raison de recevoir des bonus. Mais c'est, au final, la décision des actionnaires.
C'est un problème beaucoup plus large que celui des bonus.
Ueli Maurer a été pointé du doigt pour ses manquements dans la communication. Qu'en pensez-vous?
Difficile pour moi en tant qu'économiste de juger de sa communication politique avec le reste du Conseil fédéral. Mais concernant Credit Suisse, cela n'aurait probablement pas changé grand-chose. La banque aurait-elle pu être sauvée s'il avait mieux communiqué à l'automne 2022? Je ne le crois pas. Il y a un autre élément qu'il ne faut pas non plus ignorer:
Des informations qui fuitent, même si elles ne sont pas confirmées officiellement, peuvent facilement pousser des tiers ou des entreprises à vendre leurs actions, limiter leurs dépôts, voire à retirer leur argent. Cela peut aussi dissuader d'autres autres banques de prêter des crédits à court terme. Je peux donc comprendre que la communication soit difficile dans un tel environnement.
La balle est désormais dans le camp du Conseil fédéral. Que va-t-il se passer?
La situation est assez incertaine à partir de maintenant. Une partie des propositions faites par le Conseil fédéral passeront devant le Parlement et une partie sera soumise aux tensions politiques habituelles qui sous-tendent les Chambres. Il s'agira à nouveau de trouver ou de créer des majorités, avec la présence importante de lobbyistes.
Depuis 2008, UBS s'est «rangée» en se consacrant principalement à la gestion de fortune. Avec le rachat de Credit Suisse et la CEP qui recommande de serrer la vis autour des institutions, c'est la fin des investissements à risque menés par la Suisse depuis les années 1970?
Dans le cas actuel des choses, oui. UBS est en effet devenue beaucoup plus conservatrice, ce qui va réduire les risques dans sa partie rachetée de Credit Suisse. Mais rien ne dit que dans le futur, UBS — ou toute autre banque suisse qui prendrait de l'ampleur — ne se décide à nouveau à jouer avec le feu avec des investissements à risque à l'international. Si les nouveaux outils donnés à la Finma sont efficaces, on peut imaginer que les banques devront faire plus attention dans le futur. Après, le problème n'est pas là: toute banque qui décide de prendre des risques et de jouer le jeu du capitalisme à outrance peut le faire. Elle a le droit.
Dans le futur, faudrait-il laisser une banque qui jouerait ce jeu-là, faire faillite?
En théorie, oui. Mais en pratique, ce n'est pas possible car les banques qui prennent des risques sont celles avec un bilan très important par rapport au PIB. Elles deviennent les fameuses «too big to fail» car d'importance systémiques. Imaginons que la Banque cantonale de Zurich prenne ce tournant: on ne pourrait pas la laisser faire faillite, car cela risquerait d'entraîner une crise financière.
Les autorités politiques ne l'ont pas oublié. Avec Credit Suisse, le rachat d'urgence a été une solution hybride: l'Etat n'a pas eu besoin de la sauver, mais il ne l'a pas laissé faire faillite pour autant.
Laisser une faillite se faire est impossible, mais donner un blanc-seing aux banques aussi. La seule solution est donc de renforcer l'interventionnisme?
Le renforcement des outils à disposition pour diminuer la probabilité d'une crise est la solution, à mon avis. Les fonds propres jouent un rôle important là-dedans. Si une crise survient, les aides en liquidités seront plus importantes. Par exemple, on passe au «public liquidity backstop», un «mécanisme public de garantie des liquidités» qui permet à la BNS d'octroyer des crédits avec une garantie de l'Etat.
La chute de Credit Suisse était-elle destinée à arriver, pour pouvoir mettre en place ces outils?
C'est comme ça dans l'histoire des crises économiques, même si c'est triste. On l'a vu avec la Grande dépression qui a renforcé le pouvoir des banques centrales ou la crise des subprimes en 2008 avec des lois destinées à réguler les banques d'importance systémique.
La grande complexité du secteur rend difficile la mise en place d'outils. Pour tout dire, je ne sais pas combien de personnes ont vraiment compris le «filtre réglementaire» que la Finma a appliqué dans le cas de Credit Suisse.
La CEP parle expressément de «responsabilité des établissements financiers d’importance systémique à l’égard de l’économie suisse et des contribuables». C'est nouveau, ça?
Je pense que le terme est important et j'espère que cela va avoir un impact. C'est un des arguments en faveur d'une super-banque: qu'elle aide l'économie dans son ensemble et ne soit pas là uniquement pour ses intérêts personnels. Je pense notamment aux secteurs de l'exportation qui pourront en dépendre. Une telle banque se devra de faire des bénéfices en faveur des entreprises et de la population, qui peut lui demander des comptes via les autorités politiques.
Elle aura un lien particulier avec la BNS et sera sous surveillance accrue de la Finma. L'important, c'est qu'UBS soit consciente qu'elle porte cette responsabilité et ne veuille pas en tirer avantage.
Un grande entreprise monopolistique liée à l'Etat mais qui fonctionne de manière indépendante... UBS va-t-elle devenir l'équivalent bancaire des CFF ou de la Poste?
Je ne crois pas. La différence, c'est que le domaine d'activité des CFF ou de La Poste est majoritairement présent sur le territoire suisse. La nouvelle UBS sera très puissante comme banque en Suisse, mais avec des ramifications internationales fortes et la concurrence qui va avec. Le risque n'est donc pas le même. Et puis, encore une fois: pour l'instant, UBS a une stratégie peu risquée, mais on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait. Il n'y a aucune garantie que cette super-banque ne recommence à prendre plus de risques à l'international dans dix, ou quinze ans.