«Le Conseil fédéral s'est montré faible face à Donald Trump»
C'était sa semaine. Vendredi dernier, le conseiller fédéral Guy Parmelin est revenu de Washington avec un joli cadeau: l'assurance de voir les droits de douane taxés à la Suisse par les Etats-Unis retomber de 39% à 15%. L'accord de principe décidé avec le représentant au commerce américain, Jamieson Greer, doit être formellement signé ces prochains jours.
Pour de nombreuses entreprises suisses, qui ont dû renoncer à exporter aux Etats-Unis ces derniers mois, c'est un sacré réconfort. Mais que se passera-t-il si Trump change à nouveau d'avis? Sont-elles condamnées à faire «l'accordéon» entre production, stockage et vente durant le reste du mandat de Donald Trump? On en discute avec Sergio Rossi, professeur d'économie à l'université de Fribourg.
Produire, stocker, puis vendre lorsque les conditions sont bonnes — est-ce là le futur des entreprises suisses jusqu'à la fin du mandat de Trump?
Je ne le pense pas. Certaines entreprises ont profité d'envoyer leur matériel en masse pour le vendre à leurs clients américains qui l'ont ensuite, eux, stocké.
La production est un processus qui prend du temps, car il faut attendre l'arrivée de biens qui viennent de l'étranger, lancer la production en Suisse et exporter les produits. Certaines entreprises peuvent baisser leur marge bénéficiaire, d'autres pas. La plupart préféreront baisser leur volume de production, quitte à demander des aides publiques pour réduire les horaires de travail (RHT) des employés.
On a aussi un renchérissement du franc qui transforme ces 15% en quasiment 30% d'augmentation, pour certaines entreprises et produits.
N'est-ce pas le moment alors d'écouler ses stocks, avant que Trump change d'avis et nous (re)taxe à 60%?
Il est inutile d'exporter nos produits vers les entreprises américaines si celles-ci ne les achètent pas, car ils sont trop chers, et ce ne sont pas les stocks en attente qui vont changer ça. Et puis, certains produits ne peuvent tout simplement pas rester stockés sans périmer.
Ceux qui ont été envoyés avant l'application des 39% sont en bonne partie écoulés. C'est maintenant que leur prix va prendre l'ascenseur et que les consommateurs américains sont touchés. Ce n'est pas pour rien que Trump change d'avis maintenant et annonce la fin des droits de douane sur le café ou la viande.
Prenez le chocolat, envoyé en grande quantité après les annonces du 1er août. La baisse des ordres et des commandes a provoqué une baisse de la production. On n'a pas fait de stocks sans certitude de pouvoir les écouler. Mais l'avantage des produits alimentaires, c'est que si on trouve d'autres débouchés, il n'y a qu'à changer le packaging pour le redistribuer. Si Lindt ou Cailler ont des produits qu'ils n'arrivent plus à vendre aux Etats-Unis, ils peuvent essayer d'en exporter davantage en Chine ou au Japon, notamment avec des rabais pour les fêtes de Noël. Les entreprises qui peuvent le faire seront tentées de réorienter leurs flux, par exemple en Asie, en Amérique latine voire au Moyen-Orient, si la situation géopolitique le permet.
Les entreprises seront-elles tentées de réorienter leurs activités?
Il y a les entreprises qui disposent déjà d'une stratégie de diversification et les autres. Pour celles-ci, c'est plus compliqué: la fin du mandat de Trump sera là dans trois ans, et une réorientation des exportations prend au moins ce temps-là — il y a les questions administratives, les problèmes de langue, du cadre juridique, etc.
C'est-à-dire avec une diminution de leurs investissements et une baisse de leur niveau de production. Cela veut dire des travailleurs en RHT ou au chômage. Les répercussions de ces choix dépasseront les entreprises concernées, avec des dégâts collatéraux pour d'autres d'entre elles, liées au territoire: le commerce de détail, la restauration, la culture, le tourisme.
Les entreprises suisses sont-elles condamnées au bon vouloir de Donald Trump?
Certaines grandes entreprises auront la possibilité de délocaliser aux Etats-Unis. Le résultat, notamment financier, pourra leur être positif. Mais à quel prix et avec quelles conséquences en Suisse? Des licenciements tout d'abord, mais aussi moins d'impôts récoltés par le canton, donc un affaiblissement de la situation économique et un pouvoir d'achat qui stagne. Les PME qui ne pourront pas délocaliser vont, elles, en souffrir. Celles qui ont des objectifs annuels ou trimestriels se doivent d'être rentables et seront dans l'incertitude. Elles seront obligées de suivre la trajectoire que Donald Trump leur imposera.
Plusieurs grands patrons suisses, justement, sont venus au Bureau ovale faire du gringue à Trump. Mais Guy Parmelin n'a pu rencontrer que son représentant au commerce. C'est assez parlant, non?
Donald Trump est un entrepreneur, un patron. Il a rencontré ses pairs, des multimilliardaires, des gens qu'il juge qui connaissent vraiment leur territoire économique.
Et Guy Parmelin qui vient faire le ménage derrière, cela montre la faiblesse du Conseil fédéral face à Donald Trump.
Cela témoigne aussi qu'en Suisse, les groupes financiers et économiques sont très puissants et dictent certains choix politiques. Certains intérêts privés sont mieux représentés que d'autres, à Berne.
