Les taux d'intérêt ont fortement reculé ces derniers temps: pour les emprunts d'Etat suisses à dix ans, ils sont tombés à seulement 0,2%. Cette tendance s'accompagne d'une baisse des taux d'intérêt sur les hypothèques. Tous n’en profitent pas, mais, en moyenne, propriétaires et locataires bénéficient d’un certain allègement. A l’inverse, l’épargne redevient moins attractive.
Cette baisse devrait continuer, si bien que les marchés financiers parient sur un retour à des taux directeurs négatifs. Selon leurs prévisions, Martin Schlegel, président de la Banque nationale suisse (BNS), devra fixer cette année encore un taux directeur négatif de 0,25%.
Ce pari peut être observé dans les taux d'intérêt des obligations d'Etat à deux ans, comme l'explique l'économiste Alexander Koch de la Banque Raiffeisen. Ces taux sont déjà tombés en négatif à la mi-avril, la dernière fois à moins de 0,16%. Pour ces emprunts, la Suisse a donc aujourd'hui déjà de nouveau des taux négatifs.
Pour simplifier, les taux d'intérêt des obligations d'Etat à deux ans montrent les taux directeurs sur lesquels les investisseurs comptent pour les deux prochaines années.
Un exemple: Imaginons qu'un boom économique commence demain: l’inflation en Suisse grimperait aussitôt, incitant la Banque nationale suisse à relever ses taux directeurs pour la contenir. Cette hausse se répercuterait aussi sur les intérêts, les emprunts d'Etat ou les hypothèques. Si les investisseurs voient venir un tel boom, ils ne vont pas accorder des prêts à bas prix pour se retrouver perdants le lendemain. Ils exigent donc dès aujourd'hui des intérêts plus élevés, ce qui fait grimper les taux d'intérêt sur les emprunts d'Etat à deux ans.
La Suisse n'est malheureusement pas à la veille d'un boom. C'est plutôt le contraire: une longue phase d'inflation faible, voire négative, et donc des taux directeurs bas de la BNS. Ce sont surtout les derniers chiffres de l'inflation qui indiquent le début d'une telle phase.
En avril, la Suisse n'a pas connu d'inflation. Le niveau des prix n'était pas plus élevé que l’année passée. Et cette inflation zéro n'a été obtenue que parce que les loyers ont fortement augmenté. Et si ceux-ci ont augmenté, c'est surtout parce que la Suisse a connu une crise de la construction au cours des cinq dernières années et qu'elle a construit trop peu de logements. Si l'on fait abstraction des loyers, tous les autres prix ont baissé en moyenne de 0,7%. Tout est donc devenu moins cher. Le problème de la Suisse n'est pas qu'elle a trop d'inflation, mais qu'elle n'en a pas assez.
Les investisseurs ont réagi à la perspective d’une inflation trop faible, convaincus que le président de la Banque nationale suisse, Martin Schlegel, prendra des mesures pour y remédier. Reste une incertitude majeure: lesquelles ? Selon Koch, économiste chez Raiffeisen, les taux d'intérêt sur les emprunts d'Etat à deux ans montrent qu'ils parient à peu près sur le scénario suivant: une baisse du taux d'intérêt à 0% en juin, puis à moins 0,25% en septembre.
Schlegel resterait à ce taux négatif pendant un certain temps, puis reviendrait à 0% ou légèrement au-dessus en l'espace de deux ans. En moyenne, on obtiendrait donc un taux directeur d'environ moins 0,16% sur les deux ans, comme le taux actuel des obligations d'Etat à deux ans.
La Suisse revient ainsi aux taux d'intérêt négatifs impopulaires que la BNS avait instaurés en 2014 pour freiner la surévaluation du franc, avant de les abandonner en 2022 dans le contexte inflationniste lié au Covid. Concrètement, des taux d'intérêt négatifs sur les obligations d'Etat signifient que l’investisseur qui prête son argent à l'Etat doit lui payer un intérêt pour ce privilège. C'est le monde à l'envers.
De nouvelles données sur le marché du travail plaident également en faveur d'une inflation faible et de taux d'intérêt bas, voire négatifs. Le boom économique semble être derrière nous, selon le Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’école polytechnique fédérale de Zurich (EPF). Sa dernière enquête menée auprès de quelques milliers d'entreprises a révélé que l'euphorie des deux années post-Covid 2022 et 2023 est bel et bien terminée.
La part des entreprises qui envisagent de supprimer des emplois a fortement augmenté. Pas autant que lors de la crise du Covid-19 ou de la crise financière de 2008, mais seulement comme lors d'années médiocres. Cela étant, les tendances à l’origine du ralentissement sur le marché du travail n’ont sans doute pas encore pleinement déployé leurs effets.
Le plus grand risque est la politique douanière chaotique de Donald Trump. Schlegel a récemment fait remarquer que les perspectives de croissance pour l’économie suisse avaient été revues à la baisse par rapport à ce qui avait été prévu il y a quelques semaines, en raison de la politique commerciale américaine. Dans une interview au Financial Times à propos de Trump, l'économiste vedette Kenneth Rogoff n'a pas mâché ses mots:
Traduit de l'allemand par Anne Castella