Alain Berset a dit «non». Samedi, dans une déclaration, le Suisse s’est fermement opposé à une remise en cause du pouvoir de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dont l’ancien conseiller fédéral est le garant en tant que secrétaire général du Conseil de l’Europe. Au cœur de la bataille: la politique migratoire.
En effet, dans une lettre ouverte publiée jeudi dernier, les dirigeants de neuf Etats, Autriche, Belgique, Danemark, Estonie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pologne et République tchèque, ont jugé «nécessaire d'entamer une discussion sur la manière dont les conventions internationales répondent aux défis auxquels nous faisons face aujourd'hui». Selon ces neuf Etats:
L'appel lancé la semaine dernière l'a été à la suite d'une rencontre à Rome entre la première ministre italienne de droite populiste Giorgia Meloni et son homologue danoise social-démocrate Mette Frederiksen, toutes deux ayant des positions très fermes sur l'immigration.
Les revendications des neuf Etats signataires reçoivent le soutien du conseiller national fribourgeois Nicolas Kolly, dont le parti UDC mène campagne contre ce qu’il appelle les «juges étrangers», auxquels la Suisse serait censément livrée si l’accord-cadre avec l’Union européenne devait entrer en vigueur.
Pique de Nicolas Kolly à son compatriote fribourgeois:
Avocat de profession, il arrive à Nicolas Kolly de traiter de dossiers liés à la migration et à l’asile, ce qui l’a amené à défendre aussi des personnes en situation irrégulière. Pour autant:
Le conseiller national fribourgeois renvoie à plusieurs décisions de la CEDH, qui témoignent selon lui d’une «dérive» de la Cour. Il cite un arrêt du 16 mars 2021 concernant l’expulsion d’un Nigérian père d’enfants suisses. La CEDH a jugé que cette expulsion violait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie familiale), estimant que la Suisse n’avait pas suffisamment tenu compte des liens familiaux. Pour Nicolas Kolly, «cette décision est discutable, car elle limite la capacité de la Suisse à expulser des étrangers condamnés, même en cas d’infractions graves».
L’UDC fribourgeois renvoie ensuite à un arrêt du 9 juillet 2021 valable pour le Danemark mais ayant selon lui des conséquences pour la Suisse. Il s'agit d'un réfugié syrien admis à titre provisoire, à qui les autorités danoises ont imposé un délai d’attente de trois ans avant de pouvoir demander le regroupement familial avec son épouse. La CEDH a jugé que cette mesure violait l’article 8 de la Convention, estimant que la rigidité du délai imposé constituait une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie familiale.
Nicolas Kolly l'affirme:
Face à ce que certains considèrent comme des tentatives de déstabilisation, Alain Berset a défendu bec et ongles la CEDH:
L'ancien ministre suisse de la Santé d'ajouter: «Les institutions qui défendent les droits fondamentaux ne peuvent pas dépendre des cycles politiques. Si c'était le cas, nous risquerions d'éroder la stabilité qu'elles sont chargées d'assurer.»
Sur la même ligne que le secrétaire général du Conseil de l’Europe, l’eurodéputée français Fabienne Keller de Renew Europe (centre), déclare dans Le Monde:
Faut-il parler d’une attaque portée à la Convention européenne des droits de l’homme et à celle qui est tenue de la faire respecter, la CEDH? «Oui et non», répond Philippe De Bruycker, professeur de droit européen à l'Université libre de Bruxelles, joint par watson. «Non, car il s’agit d’une simple lettre qui demande le dialogue. Je n’y vois pas une attaque contre l’Etat de droit», juge-t-il.
Même sur la question du regroupement familial, les pays ne sont pas particulièrement contraints par la CEDH, selon Philippe De Bruycker. Nombreux sont ceux qui durcissent les conditions dudit regroupement. Le professeur de droit européen cite le cas du Danemark, dont le gouvernement social-démocrate est l’un des plus sévères en Europe en la matière. Les Pays-Bas ne sont pas laxistes non plus, assure-t-il:
«Sur le fond, ajoute Philippe De Bruycker, la prise de position des neuf Etats européens m’apparaît exagérée et ses visées sont électoralistes. Encore une fois, on ne peut pas raisonnablement affirmer que les gouvernements sont désarmés face aux délinquants ou criminels étrangers.»