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Criminels étrangers: Alain Berset et la CEDH face aux critiques

Alain Berset, secrétaire général du Conseil de l'Europe.
Alain Berset, secrétaire général du Conseil de l'Europe.image: watson

Criminels étrangers: «Berset ne défend pas forcément les intérêts suisses»

Alors que la Cour européenne des droits de l'homme est sous le feu des critiques, l'UDC fribourgeois Nicolas Kolly tacle le patron du Conseil de l'Europe, Alain Berset. L'éclairage de Philippe De Bruycker, professeur de droit européen à l'Université libre de Bruxelles.
26.05.2025, 18:5726.05.2025, 23:06
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Alain Berset a dit «non». Samedi, dans une déclaration, le Suisse s’est fermement opposé à une remise en cause du pouvoir de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dont l’ancien conseiller fédéral est le garant en tant que secrétaire général du Conseil de l’Europe. Au cœur de la bataille: la politique migratoire.

Neuf Etats mécontents

En effet, dans une lettre ouverte publiée jeudi dernier, les dirigeants de neuf Etats, Autriche, Belgique, Danemark, Estonie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pologne et République tchèque, ont jugé «nécessaire d'entamer une discussion sur la manière dont les conventions internationales répondent aux défis auxquels nous faisons face aujourd'hui». Selon ces neuf Etats:

«L’évolution de l’interprétation de la Cour a, dans certains cas, limité notre capacité à prendre des décisions politiques dans nos propres démocraties (…). Nous avons vu, par exemple, des cas d’expulsion de ressortissants étrangers criminels où l’interprétation de la Convention a abouti à la protection des mauvaises personnes et a posé trop de limites à la capacité des Etats à décider qui expulser de leur territoire.»

L'appel lancé la semaine dernière l'a été à la suite d'une rencontre à Rome entre la première ministre italienne de droite populiste Giorgia Meloni et son homologue danoise social-démocrate Mette Frederiksen, toutes deux ayant des positions très fermes sur l'immigration.

Cet élu UDC fribourgeois approuve

Les revendications des neuf Etats signataires reçoivent le soutien du conseiller national fribourgeois Nicolas Kolly, dont le parti UDC mène campagne contre ce qu’il appelle les «juges étrangers», auxquels la Suisse serait censément livrée si l’accord-cadre avec l’Union européenne devait entrer en vigueur.

Pique de Nicolas Kolly à son compatriote fribourgeois:

«Alain Berset est dans son rôle en défendant les prérogatives de la CEDH, mais ce faisant il ne sert pas forcément les intérêts du peuple suisse, par exemple concernant le renvoi des criminels étrangers, accepté en votation populaire»
Nicolas Kolly, cons. nat. UDC Fribourg

«L’effet dissuasif des lois diminue»

Avocat de profession, il arrive à Nicolas Kolly de traiter de dossiers liés à la migration et à l’asile, ce qui l’a amené à défendre aussi des personnes en situation irrégulière. Pour autant:

«Le problème posé par la CEDH, c’est sa jurisprudence, qui protège excessivement à mon sens les criminels étrangers. Résultat: l’effet dissuasif de nos lois, qui prévoit le renvoi des étrangers condamnés pour des faits jugés incompatibles avec leur présence en Suisse, est en baisse. Ce qui n’incite pas au respect de la loi.»
Nicolas Kolly, conseiller national UDC

Le conseiller national fribourgeois renvoie à plusieurs décisions de la CEDH, qui témoignent selon lui d’une «dérive» de la Cour. Il cite un arrêt du 16 mars 2021 concernant l’expulsion d’un Nigérian père d’enfants suisses. La CEDH a jugé que cette expulsion violait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie familiale), estimant que la Suisse n’avait pas suffisamment tenu compte des liens familiaux. Pour Nicolas Kolly, «cette décision est discutable, car elle limite la capacité de la Suisse à expulser des étrangers condamnés, même en cas d’infractions graves».

«Cet arrêt est un problème pour la Suisse»

L’UDC fribourgeois renvoie ensuite à un arrêt du 9 juillet 2021 valable pour le Danemark mais ayant selon lui des conséquences pour la Suisse. Il s'agit d'un réfugié syrien admis à titre provisoire, à qui les autorités danoises ont imposé un délai d’attente de trois ans avant de pouvoir demander le regroupement familial avec son épouse. La CEDH a jugé que cette mesure violait l’article 8 de la Convention, estimant que la rigidité du délai imposé constituait une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie familiale.

Nicolas Kolly l'affirme:

«Cet arrêt est problématique pour la Suisse, car il introduit un droit au regroupement familial, même en cas d’admission provisoire, ce qui pourrait rendre une expulsion ultérieure difficile, voire impossible, du requérant, si ce dernier venait à commettre un crime dans le temps de son admission provisoire.»
Nicolas Kolly, conseiller national UDC

Alain Berset réplique

Face à ce que certains considèrent comme des tentatives de déstabilisation, Alain Berset a défendu bec et ongles la CEDH:

«Maintenir l'indépendance et l'impartialité de la Cour est fondamental. Dans un Etat de droit, la justice ne doit pas être soumise à des pressions politiques»
Alain Berset, secrétaire général du Conseil de l'Europe

L'ancien ministre suisse de la Santé d'ajouter: «Les institutions qui défendent les droits fondamentaux ne peuvent pas dépendre des cycles politiques. Si c'était le cas, nous risquerions d'éroder la stabilité qu'elles sont chargées d'assurer.»

«La Cour ne doit pas servir d'arme, ni contre les gouvernements, ni par eux»
Alain Berset, secrétaire général du Conseil de l'Europe

Sur la même ligne que le secrétaire général du Conseil de l’Europe, l’eurodéputée français Fabienne Keller de Renew Europe (centre), déclare dans Le Monde:

«Comme tout traité, la CEDH peut être sujette à des évolutions. Mais, dans le contexte international que nous connaissons et sous la pression des populistes, s’attaquer ainsi aux fondements de nos libertés fondamentales est dangereux et inacceptable.»

«Une attaque perfide, de nature trumpiste»

Faut-il parler d’une attaque portée à la Convention européenne des droits de l’homme et à celle qui est tenue de la faire respecter, la CEDH? «Oui et non», répond Philippe De Bruycker, professeur de droit européen à l'Université libre de Bruxelles, joint par watson. «Non, car il s’agit d’une simple lettre qui demande le dialogue. Je n’y vois pas une attaque contre l’Etat de droit», juge-t-il.

«Mais, par ailleurs, oui, c’est une attaque perfide, de nature trumpiste, qui n’est accompagnée d’aucun argument. Une attaque trumpiste en ce qu’elle vise à faire croire que les Etats sont dans l’incapacité d’agir face aux criminels étrangers, ce qui est bien sûr faux.»
Philippe De Bruycker, professeur de droit européen

Même sur la question du regroupement familial, les pays ne sont pas particulièrement contraints par la CEDH, selon Philippe De Bruycker. Nombreux sont ceux qui durcissent les conditions dudit regroupement. Le professeur de droit européen cite le cas du Danemark, dont le gouvernement social-démocrate est l’un des plus sévères en Europe en la matière. Les Pays-Bas ne sont pas laxistes non plus, assure-t-il:

«Les Pays-Bas obligent les membres éligibles au regroupement familial à parler le néerlandais et à connaître ses institutions»
Philippe De Bruycker, professeur de droit européen

«Sur le fond, ajoute Philippe De Bruycker, la prise de position des neuf Etats européens m’apparaît exagérée et ses visées sont électoralistes. Encore une fois, on ne peut pas raisonnablement affirmer que les gouvernements sont désarmés face aux délinquants ou criminels étrangers.»

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Video: watson
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