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Négociation Suisse-UE: voici le plan secret du Conseil fédéral

Exclusif: Le plan secret du Conseil fédéral pour négocier avec l'UE

Le 8 novembre, le Conseil fédéral relancera le débat concernant les futures relations de la Suisse avec l'Union européenne. Notre enquête montre où Bruxelles fait des concessions à Berne et où cela coince encore.
02.11.2023, 05:0002.11.2023, 11:15
Stefan Bühler et Remo Hess, bruxelles / ch media
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C'était le grand tabou de la campagne électorale. Quid des futures relations de la Suisse avec l'Union européenne (UE)? Pendant des mois, on n'a pratiquement rien entendu sur ce dossier capital. Mais aujourd'hui, un peu moins de deux semaines après les élections, le sujet revient sur le tapis. Comme le confirment des sources à Berne et auprès de l'UE, le Conseil fédéral entamera le 8 novembre une discussion sur la marche à suivre.

Des différends restent à régler avec l'Union européenne

Selon nos informations, les entretiens exploratoires avec l'UE sont en grande partie terminés au niveau technique. Des «zones grises» ont été définies pour les questions litigieuses entre Berne et Bruxelles en vue des futures négociations. Il s'agit des éléments relatifs à la résolution des litiges, à la libre circulation des personnes et aux nouveaux accords que la Confédération souhaite intégrer au paquet. Nous y reviendrons.

Dans un premier temps, le Conseil fédéral évaluera le résultat de ces entretiens exploratoires et informera très probablement l'UE qu'il est désormais prêt à élaborer un mandat de négociation. Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis devrait présenter le texte du mandat d'ici décembre, afin qu'il puisse être mis en consultation auprès des commissions de politique extérieure et des cantons début 2024. Le Conseil fédéral devrait adopter le mandat dans la deuxième moitié du mois de février, afin que les négociations proprement dites puissent commencer au mois de mars.

Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis.
Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis.Image: keystone

A Bruxelles, la Commission européenne va adapter son mandat actuel et le compléter avec les nouveaux traités visés. Selon les spécialistes, cela devrait se faire au niveau du puissant comité des ambassadeurs de l'UE à Bruxelles, sans consulter les 27 parlements nationaux afin d'éviter de prendre du retard.

Il n'est toutefois pas garanti que tout se déroule sans accroc: la colère suscitée par l'interdiction de réexporter des armes vers l'Ukraine a nuancé la sympathie de certains Etats membres envers la Suisse. De même, certains Etats défavorisés ne comprennent pas pourquoi on déroulerait le tapis rouge pour la riche Suisse en lui faisant des concessions dont les membres de l'UE eux-mêmes sont privés.

Un document top-secret

Les résultats des entretiens exploratoires sont consignés dans un document appelé «Joint Document». Le cercle des personnes qui, à Berne et à Bruxelles, ont accès à ce document top secret est très restreint, et fait l'objet d'une surveillance minutieuse. La crainte est grande que des détails ne s'échappent et que les négociations ne soient ainsi torpillées dès le départ.

Si l'on demande aux personnes impliquées ce que les discussions exploratoires, qui ont duré plus d'un an, ont concrètement apporté, on entend qu'il y a désormais «beaucoup plus de clarté». En ce qui concerne les aides d'Etat – communément appelées subventions –, il est devenu clair que le droit européen autorise toutes sortes d'exceptions. Un modèle suisse de mise en œuvre est sur la table. Le fait que la Conférence des gouvernements cantonaux (CDC) ait fait savoir à l'unanimité, en mars, qu'elle soutenait de nouvelles négociations, a certainement aidé.

De nombreux malentendus ont apparemment aussi pu être dissipés en ce qui concerne la directive sur la citoyenneté de l'Union (DCE). Elle ne s'appliquerait à la Suisse, qui n'est pas membre de l'UE, que dans un cadre limité. La crainte d'une immigration impactant le système social suisse semble largement écartée. Les conflits éventuels de la DCE avec l'initiative sur le renvoi acceptée en Suisse auraient été discutés. Le problème semble pouvoir être résolu.

Bruxelles fixe une ligne rouge

Il y a en revanche peu de marge de manœuvre en ce qui concerne la reprise dynamique du droit et le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE): dans ce domaine, l'UE s'en tient toujours au modèle proposé par l'ancien chef de la Commission Jean-Claude Juncker. Ce système prévoit un tribunal arbitral en amont, qui doit toujours faire appel à la CJUE lorsque le droit européen du marché intérieur est concerné.

Pour Bruxelles, il s'agit d'une ligne rouge qui ne peut pas être franchie, afin de maintenir la cohésion interne de l'UE. En effet, l'autorité de la CJCE a également été contestée par des Etats membres au cours des dernières années. Cette fois, Bruxelles ne peut manifestement pas se permettre de faire des exceptions pour la Suisse.

Il est en revanche question d'une concession de la part de l'UE en ce qui concerne les accords que la Suisse veut intégrer dans le nouveau paquet. Ainsi, selon les spécialistes, l'accord sur la santé se limite aux questions de lutte contre les pandémies; il s'agit d'un simple accord de coordination. La «libre circulation des patients» introduite par l'UE, selon laquelle les patients peuvent se faire soigner dans toute l'UE, n'est plus d'actualité.

L'UE veut libéraliser le marché des transports

Dans le dossier de l'énergie, l'UE continue à faire pression pour une libéralisation du marché de l'électricité, y compris pour les particuliers. Mais elle accorde à la Suisse un «droit à l'approvisionnement de base» qui offre une plus grande stabilité des prix aux petites entreprises et aux particuliers, et qui correspond en grande partie aux conditions actuelles. Les détails doivent encore être négociés.

En ce qui concerne l'accord sur les transports terrestres, l'UE continue de demander la libéralisation du transport international de voyageurs. Il s'agit de prestataires étrangers comme Flixtrain, qui souhaitent proposer des liaisons vers la Suisse. Les entreprises de transports publics suisses et les syndicats sont sceptiques.

En vue de la discussion sur la politique européenne au sein du Conseil fédéral, une discussion entre la secrétaire d'Etat Helen Budliger Artieda et le directeur de l'Office fédéral des transports (OFT) Peter Füglistaler avec les chemins de fer et les syndicats est donc prévue ce vendredi.

Le point qui fâche: les salaires

Reste le sujet le plus controversé: la protection des salaires et l'aménagement futur de mesures d'accompagnement à la libre circulation des personnes. Il faut ici distinguer deux niveaux: celui de la politique extérieure vis-à-vis de l'UE et celui de la politique intérieure, où les employeurs et les syndicats négocient, sous la houlette de la secrétaire d'Etat Budliger Artieda, des mesures de compensation pour une éventuelle concession à l'UE. C'est sur ce plan-là que ça coince.

Le ministre de l'Economie, Guy Parmelin.
Guy Parmelin.Image: keystone

C'est pourquoi le ministre de l'Economie Guy Parmelin veut intervenir dès ce jeudi. Il invite les partenaires sociaux et les cantons à un sommet sur la protection des salaires. Avant la grande discussion concernant l'UE au Conseil fédéral, il veut manifestement clarifier la situation de départ – une mission exigeante.

Au niveau de la politique extérieure, les résultats des sondages se basent sur le protocole additionnel de l'accord-cadre qui a échoué en 2021. L'UE n'insiste pas sur les contrôles étatiques des salaires et du travail: les partenaires sociaux peuvent continuer à remplir cette tâche, dans la mesure où elle existe déjà.

Les cautions que les entreprises doivent déposer si elles veulent travailler en Suisse restent également en discussion; la forme de cet instrument n'est toutefois pas encore claire. L'UE continue de faire pression pour que le délai d'annonce préalable pour les entreprises se détachant des travailleurs soit réduit de huit à quatre jours.

En revanche, l'offre faite par Bruxelles d'une «clause de non-régression» est nouvelle. Celle-ci doit garantir le maintien du niveau de protection salariale en Suisse, indépendamment de l'évolution juridique dans l'UE. Cette proposition a été faite par les syndicats lors d'une rencontre avec le commissaire européen responsable de la Suisse, Maros Sefcovic.

«Nous nous réjouissons de la concession de Bruxelles, car cette clause est une condition préalable à l'ouverture de négociations»
Un syndicaliste suisse

Cependant, de nouveaux problèmes sont apparus, comme la question des frais. Selon le droit européen, les employés sont toujours soumis aux règles de leur pays d'origine dans ce domaine. Il en sera de même en Suisse à l'avenir. Un monteur sanitaire polonais ne recevrait donc en Suisse que l'équivalent des frais payés dans son pays où les salaires sont nettement plus bas.

Bruxelles ne pourra pas toujours faire des exceptions

Pour les syndicats, c'est une porte ouverte au dumping salarial. Pour les mandats impliquant plusieurs collaborateurs, il s'agit facilement de plusieurs milliers de francs par semaine. Et comme la réglementation des frais est également contestée entre les Etats de l'UE, Bruxelles ne pourra pas accorder d'exception à la Confédération.

Pour cette raison et à cause de concessions telles que le raccourcissement du délai d'inscription, les syndicats, sous la direction de la secrétaire d'Etat Budliger Artieda, négocient des compensations avec les employeurs. Il existe certes un rapport à l'attention du Conseil fédéral avec une douzaine de propositions, mais les syndicats et les employeurs ne sont pas d'accord sur la mesure dans laquelle celles-ci doivent être mises en œuvre.

Du côté des syndicats, on estime que les employeurs n'agissent pas suffisamment. Ceux-ci rétorquent que les syndicats demandent plus qu'une simple compensation des concessions faites à l'UE – ils veulent une extension. Par exemple en facilitant l'application obligatoire des conventions collectives de travail. Pour l'instant, les employeurs ne sont pas disposés à donner leur accord.

Les positions semblent inamovibles. Il y aura donc beaucoup à discuter lors du sommet sur la protection des salaires lancé par le conseiller fédéral Guy Parmelin. Cependant, il semble que le Conseil fédéral devra finir par trancher.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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