A l’été 2021, le Secrétariat d’Etat à l’armement Armasuisse répondait à notre question sur les garanties contractuelles entourant l’achat des avions de combat F-35:
A l’époque, l’accord pour l'achat des 36 chasseurs américains F-35 était présenté comme ficelé, pour un montant de 6 milliards de francs. Un prix garanti, martelait la ministre de la Défense d’alors, Viola Amherd, et l'armée suisse. En septembre 2020, le peuple avait approuvé l’achat de nouveau avions de combats pour remplacer la flotte vieillissante – sans en connaître le modèle – à une très courte majorité avec 50,1% des voix.
Mais aujourd’hui, les garanties concernant ce prix semblent vaciller. D’après des révélations de la SRF, les Etats-Unis demanderaient jusqu’à 1,5 milliard de francs supplémentaires pour ce deal.
Interpellé au Conseil national ce lundi par le député socialiste Fabian Molina, le nouveau conseiller fédéral chargé de la Défense, Martin Pfister, n’a pas confirmé si les Etats-Unis réclamaient effectivement une rallonge. Sa réponse:
Le Contrôle fédéral des finances (CDF) avait déjà tiré la sonnette d’alarme en mai 2022. Pour lui, les contrats utilisaient des formules vagues telles que «coûts estimés», «meilleure estimation» ou encore «dans la mesure du possible».
Dans la lettre d’offre et d’acceptation signée avec les Etats-Unis, il était bien précisé que les montants indiqués étaient des estimations, et que le prix final correspondrait aux coûts de production du gouvernement américain. Armasuisse avait alors vivement contesté cette interprétation.
A l'heure actuelle, impossible de dire combien les F-35 coûteront réellement à la Suisse. Le gouvernement américain est toujours en pleine négociation avec Lockheed Martin, le constructeur de l'appareil.
Pour la conseillère aux Etats socialiste Franziska Roth, spécialiste des questions de sécurité, la situation est claire:
C’est dans ces tranches de production que les F-35 destinés à la Suisse doivent être construits.
«En ce moment, les Etats-Unis négocient encore les tranches 18 et 19», explique Franziska Roth, conseillée par Peter Hug, spécialiste militaire renommé du Parti socialiste. Tant que ces négociations ne seront pas terminées, la Suisse ne connaîtra pas le coût définitif de ses avions.
Quant aux tranches 20 à 22, elles seront négociées d'ici une ou plusieurs années. Franziska Roth estime que la Suisse devra payer le prix final fixé par le Pentagone.
Selon la presse spécialisée américaine, les négociations entre le constructeur et le gouvernement ont pris récemment de plus en plus de retard. En juillet 2024, le patron de Lockheed Martin déclarait que deux facteurs faisaient grimper les coûts unitaires. Il s'agissait de l’inflation, estimée à 20% depuis 2021, et de la réduction des commandes américaines, entraînant une baisse des économies d’échelle.
Début juin 2025, l'US Air Force annonçait une réduction de moitié de ses commandes de F-35 pour 2026, qui passait ainsi de 48 à 24 appareils. Les raisons invoquées, un prix élevé et un manque de fiabilité de l’appareil. Même Donald Trump, en mai dernier, affirmait ne pas apprécier les avions monomoteurs comme le F-35.
En début de semaine, la Commission de la sécurité du Conseil national s’est réunie pour entendre Martin Pfister. Le Conseil fédéral se penchera sur la question ce mercredi. Selon des sources à Berne, le F-35 sera au cœur des discussions.
Selon les responsables politiques en matière de sécurité, Martin Pfister a plusieurs options:
La gauche a anticipé ce dernier scénario avec deux motions, l’une au Conseil des Etats et lancée par Franziska Roth, l’autre au Conseil national avec Fabian Molina. Les textes exigent que tout dépassement du budget initial fasse l’objet d’un référendum populaire.
Le prix d’achat n’est pas la seule inquiétude. Le CDF avait déjà souligné en 2022 que les coûts d’exploitation risquaient eux aussi d’être sous-estimés, comme ce fut le cas aux Etats-Unis. Les concurrents de Lockheed Martin avaient régulièrement accusé le DDPS d’évaluer le F-35 de manière trop complaisante, notamment en sous-estimant drastiquement le coût de l’heure de vol.
Ce qui frappe les observateurs comme Franziska Roth, c’est que plusieurs figures clés du projet ont quitté le Département de la défense. Le chef de projet pour le F-35, Darko Savic, est parti chez Pilatus Aircraft. Le responsable du programme Air2030, Peter Winter, dirige désormais le bureau d’Armasuisse à Washington. Le chef de l'armée de l'air, Peter Merz, prendra la direction de Skyguide à l’automne. Seul le pilote d’essai en chef, Bernhard Berset, occupe encore son poste, comme nous l’a confirmé Armasuisse.
Traduit de l'allemand et adapté par Joel Espi