Pour la première fois depuis 33 ans, des avions de combat ont atterri sur l'autoroute A1 près de Payerne le 5 juin. Leur course s'est terminée juste avant un pont. Beaucoup avaient encore en tête les images des exercices d'alors, lors desquels les avions militaires passaient à toute vitesse en dessous. A l'époque, on y suspendait des draps rouges et blancs pour permettre aux pilotes de s'orienter. «On rentrait systématiquement la tête avant de les franchir», se souvient un ancien pilote d'avion de combat.
Début juin, les forces aériennes ont converti l'autoroute en piste de décollage et d'atterrissage pour la première fois avec des F/A-18. Mais pour les spectateurs présents à Payerne ce jour-là, une question est restée sans réponse:
Le doute est apparu, car le F/A-18 a des empennages (réd: parties à l'arrière pour stabiliser) légèrement plus hauts que tous les appareils avec lesquels ce type d'exercice avait été mené jusqu'à présent.
Le F/A-18 Hornet mesure 4,66 mètres de haut. En revanche, les empennages latéraux du F-5 Tiger n'atteignent que 4,06 mètres de hauteur. Celles du Mirage III retiré du service, 4,5 mètres et celles du Hawker Hunter Mk. 58 4,01 mètres. Les anciens avions de type Venom et Vampire mesuraient quant à eux moins de deux mètres de haut.
Quelle est alors la hauteur maximale pour que les avions puissent emprunter les autoroutes? Les ouvrages sur les routes nationales doivent respecter certaines dimensions minimales, en vertu d'un règlement de construction de l'Office fédéral des routes (Ofrou). Le règlement stipule que le gabarit pour les autoroutes doit être au minimum à 4,6 mètres. Et la loi sur la circulation routière indique que la hauteur des véhicules sur l'autoroute ne doit pas dépasser quatre mètres. Selon la porte-parole de l'Ofrou, les ponts ont une hauteur moyenne de 4,7 à 5 mètres.
Dans les faits, la hauteur a certainement dû jouer un rôle dans l'acquisition des nouveaux avions de combat pour la Suisse. D'autant plus que tous les tronçons d'autoroute utilisés jusqu'à présent pour l'armée comportaient au moins un pont. Payerne ne déroge pas à la règle: l'aérodrome militaire dispose d'un accès direct à l'autoroute, et donc aussi à la piste de décollage et d'atterrissage testée au début du mois.
Mais pour l'atteindre, les avions doivent passer sous un pont. C'est là qu'un coup d'œil s'impose sur les caractéristiques techniques des engins qui étaient en lice pour succéder aux F/A-18. Et le résultat est intéressant.
Les deux avions de combat européens étaient plus hauts que leurs concurrents américains: l'Eurofighter Typhoon mesure 5,28 mètres. Pour l'avion de combat polyvalent français Dassault Rafale, c'est 5,34 mètres. Aucun d'eux ne pouvait donc franchir les ouvrages helvétiques. Le modèle successeur du F/A-18 C/D suisse, le F/A-18 E/F Super Hornet, a également été testé. Mais avec ses 4,88 mètres, il n'était pas conforme non plus.
Contrairement au Saab Gripen E, longtemps considéré comme le favori: il ne mesure que 4,6 mètres. Mais le modèle suédois avait été éliminé prématurément de la compétition en 2019, car il péchait sur d'autres exigences.
Au milieu de l'année 2021, le Conseil fédéral, emmené par la ministre de la Défense Viola Amherd, s'est finalement décidé pour l'achat du F-35 du constructeur américain Lockheed Martin. La Suisse a commandé 36 de ces avions pour environ six milliards de francs.
Elle a ainsi opté pour le seul encore en lice et capable de rouler sous les ponts autoroutiers helvétiques: le F-35 ne mesure que 4,57 mètres.
«Ce n'est pas un hasard», explique un ancien colonel. «Au final, on a acheté l'avion le plus avantageux à long terme». La hauteur, entre autres, était un critère important qui a joué en faveur ou en défaveur de l'un ou l'autre type, ajoute-t-il.
Mais pas uniquement pour les ponts autoroutiers. «Il s'agit en premier lieu de toutes les constructions existantes, comme les abris et les «cavernes» dans les montagnes, où l'on pourrait cacher des avions en cas d'urgence. On ne peut pas les aménager aussi facilement et les surélever pour accueillir de nouveaux modèles».
Par le passé, la Confédération a misé sur ces cavernes dans les montagnes à proximité des pistes des aérodromes militaires. Il s'agit en quelque sorte de bunkers d'aviation creusés dans la roche. Outre les jets, on y trouve des postes de commandement, des ateliers et des dépôts de munitions.
Des recherches dans les archives fédérales en attestent: la Suisse dispose de plusieurs installations de ce type, construites depuis les années 1950. Elles devraient également encore exister sur des aérodromes militaires temporairement désaffectés, mais pouvant être réactivés. Leur état actuel est tenu secret. Seule certitude: à Meiringen par exemple, 120 millions de francs ont été investis dans les années 1990 afin d'agrandir les cavernes pour y accueillir les F/A-18.
Avec ses dimensions compactes, le F-35 est «un avion parfait» pour les cavernes et les bunkers, explique le colonel. A cela s'ajoute la question des dépenses:
Rien que le rehaussement de douzaines de passages supérieurs sur l'autoroute aurait déjà coûté «un sacré paquet d'argent». L'officier estime même que l'armée aurait dû thématiser publiquement la question, pour justifier et expliquer l'achat du F-35:
L'armée ne prend pas position sur ces chiffres et ces corrélations, elle renvoie à l'Office fédéral de l'armement Armasuisse. Qui déclare: «La masse et donc aussi la hauteur des avions candidats ont été vérifiée par rapport à l'infrastructure existante des forces aériennes, afin de pouvoir évaluer la nécessité d'adaptations éventuelles. En revanche, la hauteur des viaducs autoroutiers n'a pas été un critère».
Le F-35 a des dimensions comparables à celles de l'actuel F/A-18, ce qui doit permettre de continuer à utiliser les infrastructures en l'état.
L'Office fédéral de l'armement constate encore que si la Suisse avait opté pour un jet plus haut que le F-35, il aurait fallu en tenir compte lors du choix et de l'utilisation des sites provisoires. «Des décollages et des atterrissages, à partir de tronçons d'autoroute par exemple, auraient bien entendu été possibles malgré tout», conclut Armasuisse.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)