Pourquoi les violences contre les femmes avec handicap sont «invisibles»
Les femmes en situation de handicap subissent deux à quatre fois plus de violences que la moyenne. Pourtant, cette réalité reste encore «largement ignorée» en Suisse. C'est ce que dénoncent plus de 200 associations dans le cadre de la campagne nationale «16 jours contre la violence basée sur le genre», organisée du 25 novembre au 10 décembre dans tout le pays.
Ces personnes sont touchées par une «vulnérabilité supplémentaire» et un «risque plus élevé de violences», avance Isabel Vidal Pons, responsable de la campagne pour la Suisse romande et italienne. Ce qui s'explique tout d'abord par la dépendance accrue qui découle de leurs conditions de vie.
«Puisque certaines personnes en situation de handicap ont besoin d'assistance et de soutien, elles dépendent de leur partenaire, de leur entourage ou d'institutions», explique-t-elle.
Si cela n'est pas toujours le cas, la responsable souligne que la violence surgit plus facilement dans ce contexte. Le Conseil fédéral partage cet avis. Dans un rapport publié en 2023, il écrit: «La dépendance crée une asymétrie dans la relation entre la personne dépendante et ses aidants». Ces derniers se trouvent ainsi «dans une position de pouvoir dont ils peuvent facilement abuser, consciemment ou non».
En d'autres termes, les personnes dans cette situation ont plus de difficultés à se défendre, mais aussi à reconnaître et à nommer la violence. La dépendance empêche également la victime de dénoncer les abus qu’elle subit, de peur de perdre l’aide dont elle a besoin, ajoute le rapport du Conseil fédéral.
Violence physique, mais pas uniquement
Cela peut prendre plusieurs formes, relève Alizée Rey, responsable de la représentation des intérêts auprès de l'association Agile. En plus des violences physiques et psychologiques, elle évoque l'infantilisation ou la négligence, ce qui consiste à laisser une personne sans soins pendant plusieurs heures. «On peut également citer la stérilisation forcée, qui n'a pas été totalement interdite par la loi en Suisse», ajoute-t-elle.
Les femmes en situation de handicap risquent donc de cumuler deux types de violences, celles exercées sur les femmes et celles pouvant toucher les personnes avec un handicap, déclarent les associations à l'origine de la campagne. Isabel Vidal Pons résume:
Le Conseil fédéral semble conscient du problème: «Les femmes et les filles handicapées font potentiellement l’objet de discriminations multiples renforçant les violences à leur égard», écrit le rapport. Par conséquent, elles «forment un groupe particulièrement exposé».
Face à ces violences, le dispositif de soutien n'est pas adapté, déplore la campagne. «Les personnes vivant avec un handicap rencontrent davantage d'obstacles lorsqu'elles demandent de l'aide, si elles y parviennent», note Isabel Vidal Pons.
«Les maisons d'accueil ne sont pas toujours accessibles aux personnes en fauteuil roulant, il n'y a que rarement des interprètes et les informations ne sont souvent pas disponibles en langue facile», liste la responsable de la campagne. Elle ajoute que d'importantes différences existent toutefois d'une structure à l'autre.
Des violences invisibles
Cette situation pourrait concerner «énormément de personnes» en Suisse. Isabel Vidal Pons rappelle qu'environ 22% de la population helvétique vit avec un handicap, selon les chiffres de la Confédération - ce qui équivaut à plus de deux millions d'individus.
Les chiffres disponibles, provenant d'études menées en France et en Allemagne, sont alarmants. On y découvre que 25% à 50% des femmes en situation de handicap ont subi des abus sexuels dans leur enfance ou leur adolescence. A l’âge adulte, elles restent deux à quatre fois plus exposées que les autres femmes.
Le rapport du Conseil fédéral rappelle que ces recherches constituent un «exemple pertinent pour la Suisse». En effet, rien de similaire n'a été entrepris dans notre pays. «Déterminer l'ampleur du phénomène est très compliqué», confirme Alizée Rey.
«L'absence de chiffres globaux impacte le travail de prévention», lui fait écho Isabel Vidal Pons. Elle rappelle que, pour prendre des mesures spécifiques et efficaces, il faut d'abord avoir une idée précise de la situation. De plus, «cela invisibilise ces problèmes, que l'on peut plus facilement ignorer et écarter de l'agenda politique».
La campagne «16 jours» revendique une «visibilité accrue» du phénomène. «Il est urgent de collecter plus de données et d'agir au niveau du signalement des cas», déclare Alizée Rey. Et de développer:
«De plus, les professionnels des centres d'aide et les travailleurs sociaux devraient être mieux formés, tout comme les représentants de la justice, de la police et de l'administration», conclut la responsable d'Agile.
