Alors que la population suisse s'informe de plus en plus sur Internet, elle devrait obtenir plus de droits face aux grandes plateformes de communication, avait estimé le Conseil fédéral en avril 2023. Ces plateformes jouent un rôle toujours plus grand dans la formation de l'opinion publique.
Or les systèmes qui déterminent les contenus affichés en fonction de l'utilisateur ne sont pas transparents. Et les utilisateurs sont en position de faiblesse, par exemple lors du blocage de leur compte ou de la suppression de contenus. Actuellement, ils ne peuvent pas – ou pas suffisamment – se défendre contre de telles mesures.
Souhaitant davantage de transparence dans ce domaine, le gouvernement avait demandé l'élaboration d'un projet de consultation destiné à réglementer ces plateformes. Il était prévu d'adopter le projet d'ici mars 2024.
Les nouvelles dispositions devaient se baser, lorsque cela est pertinent, sur les règles du «Digital Services Act» de l'Union européenne, appliqué entre-temps à tous les acteurs du numérique depuis février 2024. La directive entend mettre fin aux zones de non-droit et aux abus sur Internet, après plusieurs dérives.
En février passé, lors d'un sommet à Paris sur l'intelligence artificielle, le vice-président américain J. D. Vance avait appelé à limiter la régulation pour «ne pas tuer une industrie en plein essor», que les Etats-Unis dominent.
Toute décision sur le projet de consultation a été reportée à plusieurs reprises. L'affaire était à l'ordre du jour du Conseil fédéral mercredi, a indiqué la porte-parole par intérim du Conseil fédéral Ursula Eggenberger à Keystone-ATS.
Mais le dossier a été reporté. «Le Conseil fédéral n'a pas pris de décision à ce sujet. Il traitera l'affaire à une date ultérieure», a-t-elle écrit. Au-delà du langage officiel, plusieurs sources bien informées ont expliqué en coulisses à Keystone-ATS que les discussions en cours avec les Etats-Unis au sujet des droits de douane seraient la cause de ce nouveau report.
Les départements fédéraux de l'économie (DEFR) et des affaires étrangères (DFAE) ne voudraient pas froisser le président américain Donald Trump. Contactés par Keystone-ATS, ils ont dit ne pas se prononcer, étant donné que les séances du Conseil fédéral sont confidentielles.
Questionnée à ce sujet au début d'une conférence de presse sur une autre thématique, Eggenberger n'a pas voulu s'avancer: «Je ne peux pas donner d'informations, même pas sur le contenu des discussions.» Elle a dit qu'elle ne pourrait s'exprimer davantage que lorsqu'une décision sera prise.
Ce retard agace. Plusieurs parlementaires se sont positionnés dans les médias en faveur d'une régulation. Dans un communiqué mercredi, la section jeune du Centre s'est dite «déçue».
La semaine passée, la Fédération romande des consommateurs (FRC) demandait au Conseil fédéral de «passer à l'action de toute urgence», se disant vivement préoccupée «face à cette inaction persistante». Elle relevait que les plateformes numériques recourent de plus en plus à des pratiques préjudiciables aux droits des utilisateurs. Elle citait la collecte massive et opaque de données personnelles ou la diffusion de produits dangereux ou non conformes.
En février dernier, l'organisation AlgorithmWatch CH critiquait aussi le retard du gouvernement. Celui-ci «accepte que les grands groupes tech continuent, sans être inquiétés, de torpiller le discours public pour maximiser leurs profits, au détriment de la société», communiquait-elle.
Et de proposer plusieurs mesures pour contrer la concentration du pouvoir de ces grands groupes. AlgorithmWatch CH est une organisation de la société civile qui s'engage pour que les algorithmes et l'intelligence artificielle renforcent la justice, la démocratie, les droits fondamentaux et la durabilité au lieu de les affaiblir.
Interpellé par Keystone-ATS, un porte-parole du Département fédéral de la communication (DETEC) avait expliqué que le retard dans l'élaboration du projet était dû aux consultations approfondies, nécessaires pour assurer la conformité de la loi aux exigences légales. De plus, certaines questions soulevées lors des consultations demandaient une analyse plus poussée de la part du DETEC. (sda/ats)