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Grève des maçons romands: «Je pars à 5h30, je rentre à 18h»

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«Je pars à 5h30, je rentre à 18h»: un grutier suisse raconte son quotidien.Image: watson

«Je pars à 5h30, je rentre à 18h»: les maçons romands en ont marre

Des milliers de maçons et de travailleurs du secteur de la construction manifestent dans toute la Suisse romande contre les propositions de la Société suisse des entrepreneurs. Rencontre avec un ancien maçon, désormais grutier et membre du syndicat Unia.
04.11.2025, 05:3604.11.2025, 05:36

Notre interlocuteur peut avoir le sourire ce midi, ce vaudois d'une quarantaine d'année et membre d'Unia se félicite de la venue des milliers de personnes à la manifestation qui a lieu à la place de la navigation à Ouchy. «Ce que nous a proposé la Société suisse des entrepreneurs est tout simplement scandaleux», lance-t-il, mégaphone autour du coup. L'homme qui se prête volontiers à l'interview, mais qui a souhaité rester anonyme, voulait nous expliquer son quotidien et les enjeux de la grève qui se déroule du lundi 3 au 4 novembre.

Vous avez travaillé en tant que maçon, puis vous êtes devenu grutier, les revendications des syndicats vous concernent donc aujourd'hui?
Tout à fait. Grutier ou maçon, nous avons la même convention nationale. Quand je suis venu en Suisse en 2004, j'ai travaillé en tant que maçon et, quatre ans après, je me suis formé en tant que grutier. Il est vrai qu'en tant que grutier, on ne subit pas les mêmes contraintes physiques que les maçons, on ne me demande plus de porter des choses lourdes, par exemple, mais ce qui est important de comprendre c'est que nous travaillons dans les mêmes conditions, le froid, la chaleur extrême parfois et le stress psychologique.

«Travailler dans les chantiers, ce sont de métiers durs. Je ne conseillerai le métier de maçon à personne»

Qu'il fasse 5 ou 35°C, travailler dehors toute la journée épuise. Je me dis que je le faisais sans trop réfléchir quand j'étais jeune, mais, en prenant de l'âge, on se rend compte que ce sont des conditions de travail difficiles.

Les syndicats dénoncent «des attaques inacceptables pour les travailleurs de la construction», comme «une semaine de 50 heures sans calculer le temps des déplacements au chantier», ce calcul de temps de déplacement est un enjeu majeur pour vous?
Complètement. Prenez mon cas. J'habite dans le canton de Vaud, mon employeur est à quelques kilomètres de chez moi et je travaille sur un chantier dans le canton de Neuchâtel. Le matin, je pars vers 5h30 avec la camionnette du boulot pour me rendre à mon entreprise afin d'aller chercher les collègues. Ensuite, on se rend sur le chantier à 7h30. Il y a deux heures de déplacement aller simple par jour.

«Aujourd'hui, mon employeur me paie 50 minutes de temps de déplacement en aller-retour par jour alors que j'en effectue presque quatre»
Plus d'un millier d'ouvriers du batiment defilent dans les rues de la ville pour denoncer leurs conditions de travail et reclamer une nouvelle convention nationale, lors de la premiere journ ...
Plus d'un millier d'ouvriers du bâtiment ont défilé dans les rues de Genève lundi.Image: KEYSTONE

Pour quelles raisons, vous devez aller chercher les employés de l'entreprise avant d'aller au chantier? Vous avez un statut hiérarchique particulier?
Pas du tout. C'est comme ça. Le patron me demande de le faire et je le fais. Aujourd'hui, la proposition du syndicat est de compter le temps de déplacement depuis le domicile jusqu'au chantier, mais les patrons ne veulent rien savoir. Ce temps-là est perdu pour moi, même si je passe huit heures sur le chantier pour avoir mes 40 heures par semaine, je perds quand même quatre heures par jour en déplacement.

«Je pars à 5h30, je rentre chez moi vers 18h, je mange avec ma famille et je vais au lit, vous n'avez pas le temps pour autre chose»

Justement, vous touchez à un point important dans l'argument des syndicats qui dit que les ouvriers ont besoin d'horaires compatibles avec la vie de famille, votre travail ne vous permet pas d'avoir une vie de famille?
C'est difficile. Comme je vous l'ai dit, avec un travail qui se fait tout le temps dehors, par n'importe quel temps, lorsque vous rentrez chez vous, vous ne pensez qu'à vous reposer, rien d'autre.

«Je reste en famille le week-end, c'est le seul moment où je prends le temps pour mes enfants»

D'ailleurs, vous avez vu que les patrons veulent que l'on travaille le week-end désormais, et cela, sans renchérissement? Le travail du week-end est possible aujourd'hui, mais exceptionnel, car il doit être négocié avec les syndicats, de plus, nous sommes payés à 125%. Je pense que les demandes des patrons vont avoir des conséquences négatives sur les métiers des chantiers, comme le mien.

«On parle souvent de manque de main-d'œuvre des métiers du bâtiment et les patrons veulent encore toucher à nos acquis sociaux, comment pensent-ils engager des jeunes dans ces métiers dans ces conditions?»
KEYPIX - Plus d'un millier d'ouvriers du batiment defilent dans les rues de la ville pour denoncer leurs conditions de travail et reclamer une nouvelle convention nationale, lors de la premi ...
A Genève.Keystone

Vous me parlez des jeunes, est-ce que vous en avez accueilli sur votre chantier et que disent-ils de votre métier?
Nous voyons peu de jeunes sur les chantiers, je dirai que la moyenne d'âge où je travaille est entre 40 et 50 ans, pas beaucoup moins.

«Cette année un apprenti a passé deux jours avec nous, il n'a pas voulu continuer, il nous a dit: "Un travail pareil, c'est pas pour moi"»

Il a trouvé le travail pénible physiquement, mais il ne faut pas oublier le stress aussi.

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Manif' à Lausanne lundi.Image: watson

C'est-à-dire?
Le stress est partout.

«Vous savez, quand un chantier débute, on vous fait comprendre que celui-ci est déjà en retard»

J'ai beau être dans ma grue «au chaud» comme on dit, je dois travailler vite et ne pas faire d'erreur.

Est-ce que vous qualifierez votre travail de risqué?
Oui, un accident est vite arrivé sur les chantiers. J'ai eu de la chance, en plus de 20 ans de métier, je n'ai jamais eu d'accident. Il faut aussi rappeler que sur les chantiers, vous êtes responsable de votre propre sécurité. Si quelque chose de grave arrive, ce sera de votre faute et pas celle de l'employeur. On vous dit: "vous êtes formés en sécurité, vous devez faire attention", mais la formation c'est quoi? Quelques minutes devant une vidéo de sécurité pour vous expliquer où vous devez marcher sur un chantier. Vous devez faire attention à tout. Aujourd'hui, je sens que la pression du temps est partout.

«Les responsables pensent au manque à gagner si le chantier prend du retard ou s'il s'arrête. Nous, les ouvriers, nous ressentons cette pression»

Vous avez parlé des conditions de travail, mais nous n'avons pas encore abordé les salaires, combien gagniez-vous à l'époque et quelle a été votre progression salariale jusqu'à aujourd'hui?
Je peux vous dire qu'en 2004, je gagnais 4800 francs bruts par mois. Aujourd'hui un maçon avec CFC gagne 5800 brut par mois. En 2008, lorsque je suis devenu grutier, j'ai changé d'échelle salarial. Je ne souhaite pas vous donner mon salaire exact, mais après 21 ans de métier, je peux vous dire que je gagne un peu plus de 6000 bruts par mois.

Une banderole denoncant leurs conditions de travail est posee sur un chantier en greve, lors de la premiere journee de greve des macons, ce lundi 3 novembre 2025 a Geneve. (KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi ...
Keystone

Etes-vous satisfait de votre salaire aujourd'hui?
Avec l'augmentation des coûts de la vie, je ne le trouve pas satisfaisant. Je tiens aussi à dire que c'est grâce aux négociations effectuées par les syndicats que notre salaire peut évoluer au fil des ans.

«Dans mon métier, on ne va pas vers le patron pour demander une augmentation de salaire»

Impossible, j'imagine, de faire votre travail à temps partiel.
Vous plaisantez? Sur les chantiers, on travaille tous à 100%, si vous parlez de ça, les patrons vont vous rire au nez. Je prends le simple exemple d'un arrêt de travail, vous devez être en arrêt à 100%, car ce n'est pas possible de reprendre le boulot à 50% par exemple. On sait tous que cela marche comme ça dans notre métier.

«Quand un médecin nous propose de réduire notre temps de travail, on lui explique qu'en réalité, ce n'est pas possible»

La Société suisse des entrepreneurs et le groupe vaudois des entreprises de maçonnerie ont dénoncé la grève et parlent d'un contexte de marasme économique, que pensez-vous de cette déclaration?
Je ne comprends pas leur objectif. Notre domaine subit une pénurie de main d'œuvre qualifiée, les patrons recrutent de nombreux intérimaires qui viennent de France voisine et qui sont pour la plupart très bien payés, mais qui travaillent comme des saisonniers, ils restent un petit moment et ils retournent en France quand le travail est fait.

C'est-à-dire?
Je vous donne un exemple, j'ai travaillé sur le grand chantier de Beaulieu, on était 60 personnes au total, quinze ouvriers en contrat fixe et le reste c'étaient des intérimaires. C'est la preuve que les entreprises n'arrivent pas à recruter. En Suisse, on a un mal fou à attirer les jeunes dans le secteur de la construction pour des questions de pénibilité, mais aussi pour le manque de temps.

«Un jeune a peut-être envie d'avoir des loisirs et ne pas faire des journées de 12h»

Tous ces éléments montrent qu'il faut non seulement préserver nos acquis syndicaux, mais aussi demander des nouveaux droits. Ce que fait la délégation patronale dans ce bras de fer est incompréhensible et scandaleux à mes yeux. Pour attirer des jeunes, il faut mettre en place de meilleures conditions de travail.

En vous écoutant, je devine que vous ne conseillerez pas votre métier à vos enfants.
Oh que non. C'est trop pénible. J'ai deux enfants et je pense qu'ils ne choisiront pas mon métier, déjà qu'ils ne me voient pas beaucoup la semaine. On a eu une réunion au sein de l'entreprise dernièrement et quelqu'un a demandé combien d'entre nous avaient des enfants qui travaillaient dans la construction, personne n'a levé la main. Cela vaut toutes les explications du monde.

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source: four paws
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