440 mètres de dénivelé en un peu plus de 4 minutes, le Bürgenstock-Bahn serpente jusqu'en haut de la montagne. Les clients de l'hôtel sont priés de descendre à gauche. Les excursionnistes à droite. «Bienvenue», «Witamy», «Grüezi». La formule de salutations est inscrite au mur dans d'innombrables langues. Tout ici doit avoir un air international. Les restaurants s'appellent «Spices» ou «Parsia», un restaurant italien et - bien sûr - un chalet au «charme rustique» ne doivent pas manquer.
Mais en ce mercredi midi brumeux, rien n'indique que le monde sera bientôt invité au Bürgenstock. Les complexes hôteliers sont certes imposants dans le paysage, mais tout semble étrangement abandonné. Un couple âgé s'est installé pour une séance photo avec vue sur le lac. «Amazing», dit-il. Et voilà qu'un des bâtiments engloutit à nouveau le couple.
Il en ira autrement sur la montagne nidwaldienne en juin. Le Bürgenstock accueillera alors une conférence sur la paix en Ukraine. La Confédération l'a confirmé mercredi. Le Conseil fédéral tient à souligner qu'il s'agit d'une conférence de paix «de haut niveau». Ce mot se glisse sans cesse dans le communiqué.
La date est fixée: les 15 et 16 juin, les délégations se rencontreront au Bürgenstock. La «phase exploratoire» a montré qu'une telle conférence de paix rencontrait «suffisamment d'approbation au niveau international», écrit le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
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L'événement est en fait un travail de commande. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé en janvier à la présidente de la Confédération Viola Amherd d'organiser une telle conférence. Cela semble plus simple que cela ne l'est. Le succès d'une telle manifestation se mesure à la liste des participants. Sans invités de haut niveau, pas de dialogue de haut niveau: la conférence échoue et cela retombe sur l'organisateur, en l'occurence l'image de la Suisse.
C'est ainsi que le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis est devenu ces derniers mois le ministre des invitations. Lors de ses visites d'Etat, il a toujours plaidé pour une participation au sommet de la paix. Alors que les Russes ont déjà refusé de participer à cette édition, c'est surtout la participation de la Chine qui est considérée comme importante. Les Chinois entretiennent des contacts étroits avec Vladimir Poutine malgré la guerre. De plus, la Chine est considérée comme un important «murmureur» à l'égard des pays du Sud.
Mercredi après-midi, Cassis n'a pas pu présenter une liste d'invités prête à l'emploi. «Le Conseil fédéral est conscient qu'il y a encore quelques inconnues jusqu'en juin», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse. Mais il a également souligné les «retours encourageants». Lorsqu'on lui demande des noms ou des nations concrètes, il redevient rapidement évasif. La Chine va-t-elle venir? Cassis:
Joe Biden sera-t-il là? Cassis: «Je ne peux encore rien dire sur la participation de certains invités». Mais dans l'ensemble, le ministre des Affaires étrangères se montre tout de même confiant.
Des invités importants qui ont séjourné au Bürgenstock au cours des 150 dernières années sont immortalisés sur une plaque dorée et un «Celebrity Wall». Kofi Annan était là. Henry Kissinger également. Ben Gurion aussi. Dans la «Sky Boutique» au coin de la rue, on trouve des couteaux de poche, du chocolat, des éplucheurs et des chaussures On. C'est un peu une boutique de tante Emma pour les gens qui ont un gros porte-monnaie.
Les hôtels Bürgenstock sont un «lieu d'histoire mondiale», comme ils l'écrivent eux-mêmes sur un panneau d'information au pied de la montagne. Ouvert en 1873 par deux entrepreneurs ingénieux, l'établissement a connu une histoire mouvementée avec différents propriétaires. Depuis 2008, le complexe appartient au fonds d'Etat qatari, riche de plusieurs milliards. Il l'a également agrandi et réorienté.
Mais le choix du lieu n'a rien à voir avec cela, a déclaré Ignazio Cassis. Le site n'est pas géré depuis le Qatar, mais depuis la Suisse. Ce n'est pas non plus ainsi que l'on s'est assuré la participation de l'émirat. Le Qatar a déjà joué le rôle de médiateur entre la Russie et l'Ukraine et a ainsi permis le rapatriement d'enfants enlevés en Ukraine.
Le choix du Bürgenstock s'est fait pour des raisons pragmatiques. Ou comme l'a formulé l'ambassadeur Gabriel Lüchinger, qui dirige la taskforce correspondante: le resort est «très bien situé» et «très facile à sécuriser». Il n'y a pas tant de lieux appropriés en Suisse pour de telles rencontres de haut niveau, a déclaré Gabriel Lüchinger.
Les dépenses en matière de sécurité sont comparables à l'organisation du Forum économique mondial (WEF). Cassis a parlé de coûts de l'ordre de 5 à 10 millions de francs. La majeure partie sera utilisée pour la sécurité. Il s'agit actuellement de savoir comment la Confédération indemnisera les dépenses des cantons et des corps de police impliqués. Mais l'engagement «exigera aussi beaucoup de l'armée», comme l'a dit Lüchinger.
La Suisse ne sait pas encore combien de pays participeront. Ce n'est que maintenant que les véritables planifications commencent: «Nous envoyons plus de 100 invitations», a déclaré Amherd. Celles-ci sont adressées aux présidentes et présidents, «mais nous acceptons aussi les ministres», a précisé Cassis. Il est peu probable que la Russie participe, comme l'explique Cassis. Mais il a déjà eu un long entretien avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov en janvier. Il a souligné à cette occasion combien il était important que la Russie soit également présente à la table. Si ce n'est pas en juin, ce sera lors d'une prochaine conférence.
Il n'est pas réaliste d'espérer qu'un accord de paix soit signé à l'issue de la conférence du Bürgenstock, a plaidé le ministre des Affaires étrangères pour de faibles attentes. «Nous ne savons pas si ce sera un succès», a également admis Viola Amherd sans ambages. Mais il est important de lancer un «kick-off» du processus de paix. Autrement dit: donner le coup d'envoi. La Suisse a ressenti «l'obligation de le faire» en raison de sa tradition humanitaire, a déclaré Amherd.
L'objectif, selon les deux conseillers fédéraux, est d'aboutir à une déclaration finale signée par tous les pays participants. «Nous ne pouvons et ne devons pas anticiper le contenu, qui est en train d'être élaboré», a déclaré Cassis. Il ne peut pas dire si une variante, dans laquelle l'Ukraine renoncerait en partie aux territoires occupés par la Russie, sera également discutée. Les discussions préliminaires sont actuellement en cours. Beaucoup de choses ne sont pas encore claires.
La conférence organisée en Suisse est unique au monde. Certes, il existe aujourd'hui sept plans de paix publics de plusieurs pays, mais ils sont généralement teintés de politique. Zelensky lui-même a esquissé un plan. Bien qu'il soit le «commanditaire» de cette conférence, il n'en est pas le centre. L'approche de cette conférence, qui consiste à parvenir ensemble à un accord, est nouvelle. Plus ce processus sera largement soutenu, plus le signal envoyé à la Russie sera clair, affirme Cassis.
Et ce signal doit être envoyé depuis ce complexe hôtelier surplombant le lac des Quatre-Cantons. Le train du Bürgenstock redescend les 440 mètres d'altitude à toute vitesse. «Thank you and goodbye», dit l'employée en prenant congé des quelques passagers. Le monde peut venir.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)