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Des armes suisses en Ukraine? «Il y a une hypocrisie»

Céline Amaudruz et Brigitte Crottaz divergent sur la réexportation de l'armement suisse en Ukraine.
Les conseillères nationales Céline Amaudruz (UDC/GE) et Brigitte Crottaz (PS/VD).keystone (montage watson)

Des armes suisses en Ukraine? «Il y a une hypocrisie»

La semaine dernière, la commission de sécurité du Conseil national a plaidé en faveur de la réexportation de matériel militaire suisse vers l'Ukraine. Le Conseil fédéral aura le dernier mot. Deux conseillères nationales croisent le fer sur le sujet.
01.02.2023, 11:3801.02.2023, 18:15
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Des chars Leopard II allemands et Abrams américains ont été promis à Kiev par Berlin et Washington. C'est un nouveau pas dans l'escalade dans la guerre en Ukraine: les armées occidentales envoient du matériel de guerre lourd face aux troupes de Poutine.

Et la Suisse, dans tout cela? Le Conseil fédéral est-il sur le point d'autoriser des munitions ou des véhicules conçus en Suisse à déferler sur sol ukrainien? L'envoi direct d'armes, contraire au droit de la neutralité, n'est pas (encore?) au goût du jour. Mais qu'en est-il de la réexportation d'armes livrées par la Suisse à ses voisins, réputés pacifiques?

La question agite Berne et, pendant ce temps, agace Berlin. Interrogé dimanche par la RTS, l'ambassadeur d'Allemagne en Suisse, Michael Flügger, a laissé entendre du bout des lèvres qu'à l'avenir, son pays pourrait ne plus se fournir en munitions en Suisse si ces conditions perduraient.

Pour discuter de cette thématique plus que bouillante, les conseillères nationales Brigitte Crottaz (PS/VD) et Céline Amaudruz (UDC/GE) croisent le fer sur la question.

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La Suisse doit-elle permettre la réexportation de son matériel militaire à destination de l'Ukraine?

Brigitte Crottaz: Dans le cas actuel, oui. Je conçois que cela n'est pas dans la tradition socialiste, restrictive quant à l'exportation du matériel de guerre. Mais à situation particulière, réponse particulière. L'important est de fixer des exigences légales très restrictives et garder d'importantes cautèles, pour ensuite laisser libre choix au Conseil fédéral.
Céline Amaudruz: Non. La Suisse a un rôle à jouer pour la paix grâce à sa diplomatie et sa neutralité et non pas en permettant la réexportation de son matériel militaire en zone de guerre.

On évoque désormais une neutralité «évolutive» ou «coopérative»: quelles sont les limites de la neutralité? Et les lignes rouges à ne pas franchir?

On ne va pas livrer des armes aux belligérants. Cette ligne rouge ne sera pas dépassée. Le problème de la réexportation n'est pas prévu dans la convention de La Haye et il est possible d'exploiter cette zone grise sans entraver la neutralité.
Les termes de neutralité «évolutive» ou «coopérative» sont des manipulations de langage visant à justifier le fait que notre neutralité n’est précisément plus respectée par nos autorités alors qu’elle est inscrite dans notre Constitution.

N'est-ce pas justement au moment où la guerre fait rage en Ukraine qu'il importe de garder la neutralité dans son cadre strict?

J'ai envie de dire que non. Cette fois-ci, il y a un point faible dans l'argumentaire: nous avons un agresseur qui fait face à un agressé. En ne faisant rien, on se met du côté de l'agresseur. Et encore une fois, la loi sur la neutralité est respectée.
La neutralité confère à la Suisse comme lieu d’arbitrage une grande crédibilité sur la scène internationale. Nous avons un rôle discret et humble, mais en réalité essentiel et incontournable pour œuvrer en faveur de la paix dans le monde.

Comme disait Montesquieu, il y a la loi et l'esprit des lois. Comment définiriez-vous non pas le droit de la neutralité, mais l'esprit de la neutralité suisse?

Une neutralité qui n'est pas indifférente. Et c'est ce qu'on a fait depuis le début de cette invasion avec une reprise des sanctions de l'Union européenne (UE). Il est évident pour tout le monde que cette agression viole le droit international.
L’histoire de la Suisse depuis le traité de Westphalie, puis celui de Vienne, démontre que la souveraineté de notre Etat et la neutralité vont toujours de pair. Affaiblir la neutralité, c’est affaiblir la souveraineté. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que ceux qui veulent enterrer notre neutralité soient les mêmes que ceux qui veulent enterrer notre souveraineté.

Faudrait-il directement exporter du matériel de guerre suisse en Ukraine?

Non. Ici, la ligne rouge est claire. Cela n'est pas prévu dans les conventions de la Haye. Je tiens à relever une certaine hypocrisie: il ne faut pas faire les offusqués lorsque des armes finissent par servir leur but initial, même si elles ont été envoyées à nos pays voisins qui vivent en paix.
Non, car un jour ou l’autre, il faudra bien que les belligérants se parlent et à ce moment, la Suisse pourra être le lieu de cet arbitrage pour la paix. En se positionnant comme d’autres Etats qui exportent du matériel de guerre, où les belligérants seront-ils d’accord de se voir une fois que les canons se seront tus?

Faudrait-il, au contraire, interdire toute exportation d'armes produites en Suisse?

En effet. On n'aurait pas ce problème si l'on ne fabriquait pas d'armes ou uniquement celles qui servent la défense nationale — ce qui n'est même pas le cas, car notre industrie n'est pas autonome. Soit on arrête de servir l'industrie de l'armement suisse, un lobby puissant qui sert de grands intérêts financiers, soit on assume nos livraisons d'armes.
Il ne faut donc pas interdire l’exportation d’armes suisses. La neutralité implique que nous puissions nous défendre grâce à notre armée et l'existence de celle-ci implique que nous ayons une industrie militaire minimale pour nous équiper. Sans exportation, notre modeste industrie militaire ne pourrait pas survivre.

L'ambassadeur allemand a laissé entendre que Berlin pourrait cesser de s'approvisionner en matériel de guerre suisse. Que pensez-vous de ce scénario?

Il est temps que la Suisse se décide à adopter une attitude réaliste et non hypocrite sur ce sujet. Soit on se décide pour une industrie de l'armement indispensable, mais avec un risque inhérent de réexportation. Soit on se décide contre, même si cela risque de mettre économiquement en danger cette même industrie. C'est la solution que je privilégie.
La posture de l'ambassadeur allemand s'inscrit dans la même logique que celles que l'on peut observer dans d'autres relations commerciales avec l'UE. On menace la Suisse de rétorsions économiques si elle n'obtempère pas aux injonctions. C'est une manière de faire détestable qui en dit finalement long sur le respect que montrent certains Etats voisins vis-à-vis des accords qu'ils ont avec la Suisse.
Une question interpartis
La question de la réexportation des armes suisses semble agiter tous les partis, ou presque. Si une politique de neutralité stricte fait partie des valeurs directrices de l'UDC, des membres du Parti socialiste, du Centre et du Parti libéral-radical, contactés pour cet article, se positionnent contre la réexportation de matériel de guerre suisse en Ukraine, parfois en opposition avec leur président de parti. La question fait particulièrement causer dans les rangs du PS, comme l'a révélé Le Temps.

Les Verts sont divisés sur la question:

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