Si l'humanité peut aller sur la lune, pourquoi une personne avec un handicap de la parole n'accèderait-elle pas au Conseil national? Islam Alijaj s'est posé cette question pendant des années. Il a alors fait ce qu'il a toujours fait depuis un placement contre son gré dans une école spécialisée: ne pas se laisser abattre et avancer.
Le Zurichois est entré au Parlement en 2023 sous la bannière socialiste. Première pour lui lors de cette session: il s'est exprimé en tant que porte-parole de commission.
Islam Alijaj n'est pourtant pas membre de la commission en question. Mais la thématique alors discutée relevait pour lui d'une importance toute particulière.
Il a donc tâté le terrain auprès d'une collègue de parti. «Je voulais vraiment porter ce dossier au Conseil national», confie-t-il.
La révision de la loi sur l'assurance-invalidité lui tient à cœur. Pour les personnes handicapées, elle est un «game changer», estime l'élu socialiste. L'objectif: mieux soutenir les enfants atteints de troubles graves du spectre autistique dès l'âge préscolaire.
Alijaj se déplace en fauteuil roulant à cause d'une paralysie cérébrale. Il s'agit d'une lésion qui complique le contrôle des muscles et des mouvements.
Son histoire ressemble à un conte de fées du 21ème siècle. Alijaj est arrivé en Suisse depuis le Kosovo à l'âge d'un an. Il a suivi toute sa scolarité dans un établissement spécialisé. Il ne s'est jamais découragé et est devenu le cofondateur de la start-up Monitoris.ai, active dans le domaine de l'IA. Il est marié et a deux enfants.
Quelques heures avant de représenter la Commission, le Zurichois se montre détendu. Aucune trace de nervosité. «Je maîtrise le sujet», lance-t-il. Il a fait de la lutte contre les inégalités dont sont victimes les personnes handicapées son cheval de bataille. Avec d'autres, il oeuvre à la tête du comité interpartis de l'initiative «Inclusion». Le texte demande un droit à l'assistance personnelle et technique.
Islam Alijaj doit lui aussi recevoir de l'aide pour faire de la politique «à hauteur d'yeux» au Palais fédéral. Cela commence par un fauteuil roulant, peu pratique dans l'étroite salle du Conseil national.
L'élu ne commande pas correctement ses muscles, ni sa langue. Il parle de manière indistincte. Son assistante ne le lâche donc pas d'une semelle. Parler longtemps lui demande un effort intense, ce qui complique le contact avec les médias. Il n'en demeure pas moins un auditeur attentif qui devine les questions avant qu'elles ne soient posées.
L'homme de 38 ans pense avoir longtemps été sous-estimé:
A l'écouter, cela se confirme instantanément. Islam Alijaj est un véritable politicien qui a des ambitions. Il n'aspire à rien de moins qu'à une révolution de la politique du handicap. «Je ne suis pas une pauvre créature sans défense, mais un homme de pouvoir comme tout le monde ici au Parlement», affirme-t-il de lui-même.
Alors que pour beaucoup, la thématique reste une niche, il s'emploie en coulisses à mettre en place une alliance interpartis pour réformer le système éducatif. Les premiers entretiens avec l'association des enseignants et d'autres acteurs influents ont déjà eu lieu. «Si on n'obtient pas l'inclusion dans l'éducation, alors on peut tout bonnement laisser tomber». Il a engrangé un premier succès partiel avec l'intervention précoce pour les enfants autistes.
Alijaj porte un regard sévère sur le système actuel. «Nous, les handicapés, sommes le produit d'une industrie qui pèse des milliards et qui vit au crédit de l'État». Selon lui, son parcours était tout tracé: employé à vie dans un atelier protégé, au crochet de subventions.
Pour Alijaj, il faut désormais adapter le milieu de vie des enfants et exploiter pleinement leur potentiel: «Mon parcours doit se généraliser», martèle-t-il.
(Adaptation française: Valentine Zenker)