«Les parlementaires savent que le F-35 est une erreur»
L'été s'est montré fort en actualité pour l'avion de combat américain F-35, commandé par la Suisse. Après la confirmation par Washington que des surcoûts seraient appliqués et la polémique autour du «prix fixe» assuré mordicus le Conseil fédéral, on a appris que la Cour des comptes américaine elle-même se montrait très critique à l'égard du jet.
Mercredi, un sondage publié dans Le Temps a ainsi indiqué que deux tiers de la population, tous partis confondus, ne veut pas de l'avion, le quotidien évoquant une «défiance envers les autorités». Une majorité nette aimerait également le démarrage d'une Commission enquête parlementaire (CEP). Ces chiffres font suite à notre sondage du mois de mars, où nous révélions que 81% des Suisses étaient opposés à l'acquisition des jets.
Rien ne bouge à Berne
Mais à Berne, ces soubresauts sont loin de faire trembler les murs du Palais fédéral. Le conseiller fédéral Martin Pfister, qui a repris le Département fédéral de la défense (DDPS) de Viola Amherd, a décidé de maintenir — mollement, pour beaucoup — les décisions de sa prédécesseure. Une enquête de la commission de gestion du Conseil national, qui dispose de pouvoirs plus limités qu'une CEP, a été lancée cette session.
Mais le Parlement ne s'est pas pour autant insurgé face au gouvernement. Du côté de la gauche, c'est la douche froide. Les socialistes et les Verts, critiques du F-35 depuis des années, restent minoritaires. Si la base des votants des partis de droite est elle aussi en défaveur des avions, selon les sondages, le camp bourgeois au Parlement n'a aucune intention de briser les contrats avec Washington.
Quelques voix critiques à l'UDC, comme le Valaisan Jean-Luc Addor ou le Schaffhousois Thomas Hurter, ont ouvertement émis des critiques. Mais cela ne va pas plus loin. Du côté du Centre, les rangs sont serrés derrière Martin Pfister, qui tient le seul siège centriste du Conseil fédéral. Le Parti libéral-radical, plus atlantiste et tourné vers l'Otan sur les questions de sécurité européenne que les autres partis, le choix de l'avion américain ne souffre d'aucun soutien.
Un «manque de communication»?
Qu'en pensent les premiers concernés? Pour la conseillère nationale Isabelle Chappuis (Centre/VD), le DDPS et les commissions parlementaires produisent en ce moment «tellement de rapports sur le F-35 qu'il est difficile de tous les lire». La Vaudoise estime que la «nouvelle équipe menée par Martin Pfister travaille à 200%» et relève que le Zougois «a demandé un nouveau rapport sur la défense aérienne, car le dernier date de 2017», signe selon elle de la vitalité du nouveau conseiller fédéral.
Ce serait donc le mauvais moment pour remettre en question le choix de l'avion, malgré les sondages à répétition en défaveur du F-35. Isabelle Chappuis y décèle plutôt «le manque de compréhension d'un dossier extrêmement compliqué et d'un sentiment d'urgence dans la société», face à la montée des défis sécuritaires. Elle estime que le F-35 reste encore le meilleur avion pour la défense suisse, même si elle reconnaît «une dépendance technologique préoccupante» vis-à-vis des Américains ainsi qu'un «manque de communication» de part et d'autre sur le dossier.
Elle renvoie par ailleurs les critiques de la gauche: «Des parlementaires comme Pierre-Alain Fridez qui critiquent le F-35 sont aussi ceux qui critiquaient le Gripen auparavant. Cela n'est pas constructif, même si ce débat nous pousse à nous poser les bonnes questions.»
Quant à une CEP, la Centriste estime que c'est trop tôt et qu'il faut laisser les mains libres au DDPS pour la production de son rapport.
«Personne n'admet qu'il s'est fait avoir»
Pour le chef de groupe socialiste aux Chambres, Samuel Bendahan, le camp bourgeois est dans la politique de l'autruche. «La droite préfère éviter de parler du fait que chaque jour qui passe, l’affaire des F-35 empire», lance le Vaudois.
Il évoque les coûts qui explosent, les failles de sécurité de l'appareil, l'absence d'affaires compensatoires ainsi que le processus d'achat «biaisé». Mais en politique, faire un 180 degrés sur une thématique est coûteux: en temps, en énergie, en dépenses.
«Personne n’aime admettre qu’il s’est fait avoir», analyse le socialiste, qui estime que le changement de direction à la tête du DDPS était l'occasion manquée de «réviser complètement sa stratégie de défense».
Un PLR pas fermé à l'idée d'une CEP
Le conseiller aux Etats Pascal Broulis (PLR/VD), par exemple, tient bon sur ses assises tout en reconnaissant des zones d’ombres.
«Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une cartographie complète des enjeux financiers et problèmes qui concernent ces avions pour pouvoir les régler efficacement.» Il dit faire confiance à la commission de gestion du National pour les aborder et délivrer un rapport exhaustif sur les problèmes rencontrés. «Je ne crois pas qu’on ait besoin d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP) pour le moment.»