Suisse
Karin Keller-Sutter

Qui Karin Keller-Sutter pourrait-elle gêner en tant que présidente?

Bundesraetin Karin Keller-Sutter spricht waehrend der Budgetdebatte, an der Wintersession der Eidgenoessischen Raete, am Mittwoch, 4. Dezember 2024 im Nationalrat in Bern. (KEYSTONE/Alessandro della V ...
On dit d'elle qu'elle se comporte parfois comme une sorte de première ministre.Keystone

Qui Karin Keller-Sutter pourrait-elle gêner en tant que présidente?

La Saint-Galloise Karin Keller-Sutter a été élu présidente de la Confédération ce mercredi. C'est la femme politique la plus puissante du pays. Tout le monde s'accorde sur ce point – sauf sa collègue Viola Amherd.
11.12.2024, 18:55
Doris Kleck / ch media
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L'ambiance sera probablement glaciale le 31 décembre, lorsque Viola Amherd passera officiellement le relais à sa collègue, Karin Keller-Sutter. Celle-ci présidera la Suisse en 2025, succédant à la Haut-valaisanne. Les relations entre les deux femmes sont tendues. Pas besoin d'être dans les coulisses de la Berne fédérale pour s'en rendre compte. Il suffit de lire les journaux.

Karin Keller-Sutter veut économiser, Viola Amherd aimerait de nouveaux équipements: forcément, c'est une histoire d'argent. Mais pas seulement. Si l'ambiance n'est pas au beau fixe, c'est aussi parce que la Valaisanne n'a pas tenu parole – et qu'une course en solitaire en dehors du principe de collégialité a été lancée.

Lorsque Karin Keller-Sutter reprend le département des finances, début 2023, les deux conseillères fédérales s'accordent sur une hausse des dépenses militaires, mais pas aussi rapidement que le Parlement l'avait initialement exigé. L'objectif de 1% du PIB ne doit être atteint qu'en 2035 et non en 2030. La ministre de la Défense soutient cette décision au sein du Conseil fédéral.

Des manœuvres qui agacent

Mais la dirigeante – rusée – utilise des moyens détournés pour afficher publiquement sa position favorable à une croissance plus rapide de ces dépenses. Elle fait intervenir le chef de l'armée Thomas Süssli, qui demande ouvertement plus d'argent. Et dans l'ombre, elle s'arrange pour conclure un accord à quinze milliards pour l'armée et l'aide à l'Ukraine, sans tenir compte du frein à l'endettement.

Elle va même jusqu'à mettre la main à la pâte cet été pour une tribune dans les journaux de Tamedia. «Nous devons maintenant investir dans notre défense», avertit-elle.

«Il faut fixer des priorités dès aujourd'hui et agir rapidement, avec détermination et responsabilité. Il en va de la sécurité de la Suisse et de l'Europe - et donc de notre avenir.»

Nouvelle discussion sur le frein à l'endettement

Dans la Berne fédérale, c'est ce que l'on appelle une rupture du principe de collégialité. Et celle-ci émane justement de la présidente de la Confédération, dont la tâche est de veiller à ce que les différentes forces politiques tirent à la même corde. De veiller à dépasser la pensée partisane et par département et à toujours réfléchir dans l'intérêt du pays. En théorie.

Même au sein du Conseil fédéral, Amherd ne lâche pas prise. Avant les vacances d'été, elle demande un fonds spécial de dix milliards pour l'armée. Seulement, elle n'est pas en mesure d'expliquer au gouvernement ce qui a changé en matière de menace depuis la décision de janvier 2023. Ses collègues lui demandent de revoir sa copie - elle devra soumettre à nouveau sa requête. Selon des sources bien informées, cela ne se serait jamais produit. A la place, elle fait entrer en jeu un autre homme de confiance: le conseiller national du Centre Martin Candinas. Il introduit son idée de fonds dans le processus parlementaire - puis se retire. Même des collègues de parti de l'actuelle présidente disent de cette manœuvre qu'elle était malhabile.

Enfin, début novembre, Viola Amherd agace à nouveau. Elle est la seule à défendre l'assouplissement du frein à l'endettement, selon la NZZ. Le Conseil fédéral avait pourtant déjà mené ce débat en profondeur auparavant et avait rejeté l'idée.

Le camp bourgeois, surtout, perd patience: il n'y a pas que la violation du principe de collégialité et le rétropédalage; la préparation et la direction des séances de l'exécutif laissent également à désirer.

Invoquer la légitime défense?

Comme toujours, ces récits sont teintés de politique. Il y en a tout de même qui défendent la présidente. Notamment parce que la majorité UDC-PLR mène la barque au Conseil fédéral: Karin Keller-Sutter dirige officieusement ce bloc de pouvoir de la droite bourgeoise. On dit d'elle qu'elle se comporte parfois comme une sorte de première ministre. Les manœuvres de Viola Amherd relèvent alors du crime de lèse-majesté. On pourrait aussi y voir de la légitime défense dans une position minoritaire. Ce qui est sûr, c'est que la querelle pèse sur le Conseil fédéral.

En septembre, la présidente de la Confédération Viola Amherd refuse ouvertement de se présenter devant les médias avec KKS et Albert Rösti à propos des grandes lignes du programme d'économies qui doit permettre d'alléger le budget fédéral de trois à quatre milliards de francs. C'est finalement Elisabeth Baume-Schneider qui s'y colle. Une configuration inhabituelle: lorsque plusieurs conseillers fédéraux rencontrent les médias, c'est toujours en présence de la présidente de la Confédération.

De son côté, la majorité bourgeoise remet la dirigeante rebelle à sa place: elle accepte une motion qui demande «d'établir les objectifs et l'orientation stratégique d'une armée capable de se défendre». Début décembre, Amherd déclare à la NZZ que cela ne lui fait ni chaud ni froid. Elle réfute aussi la critique selon laquelle il lui manque une stratégie globale. «La planification est là, il suffit de lire les documents», a déclaré la ministre de la Défense.

Deux grandes lacunes à la Chancellerie fédérale

L'animosité entre les deux femmes ne date pas d'hier. 2024 correspond cependant à la première année sans le chancelier Walter Thurnherr. Lui savait modérer le conflit, contrairement à son successeur Viktor Rossi. A cela s'ajoute le décès du vice-chancelier et porte-parole André Simonazzi, très expérimenté. Il œuvrait depuis plus longtemps que tous les conseillers fédéraux en fonction. Ce double changement à la Chancellerie fédérale, véritable état-major du gouvernement, laisse des vides conséquents, toujours pas comblés à ce jour. Voilà pourquoi un membre du gouvernement n'hésite pas à parler de crise.

Reste désormais à savoir si KKS parviendra à sortir de son rôle de cheffe informel pour enfiler le costume de présidente qui doit avoir une vue d'ensemble. Tout porte à le croire.

Un prêté pour un rendu

Rares sont les personnes dans ce pays qui font de la politique mieux que Karin Keller-Sutter. Même ses adversaires le reconnaissent. Elle a toujours un coup d'avance et soutient parfois des idées qu'elle n'approuve pas, dans le seul but d'obtenir une majorité pour ses propres projets. Une attitude que le coprésident du PS Cédric Wermuth a résumé ainsi dans le magazine des journaux Tamedia: elle est certes une libérale convaincue, «mais relativement pragmatique lorsqu'il y a un enjeu».

Exemple le plus célèbre: l'introduction d'une rente transitoire pour les chômeurs âgés. Pour la Saint-Galloise, c'était un moyen efficace de combattre l'initiative de limitation de l'UDC, qui visait à suspendre l'accord de libre circulation des personnes avec l'UE. Elle a convaincu les employeurs, et les syndicats l'ont applaudie. De quoi asseoir sa réputation de faiseuse de deals redoutable.

Karin Keller-Sutter avoue par ailleurs qu'elle préfère travailler avec des personnes qui maîtrisent leurs dossiers. L'ancien ministre socialiste Alain Berset, entre autres. Le duo a fonctionné parce que tous deux ont la même vision de la gouvernance - et savent manier le pouvoir. Pour l'entourage de la libérale-radicale, quelle meilleure preuve de sa maîtrise de la collégialité et de la concordance que cette étroite collaboration avec le camp opposé? L'impression de domination actuelle de la majorité UDC-PLR découle par ailleurs de la faiblesse des représentants du Centre et du Parti socialiste.

Carte de parti et vestiaire du Conseil fédéral

Karin Keller-Sutter a récemment déclaré en interview:

«Un bon collègue ou une bonne collègue, c'est celle qui laisse non pas ses convictions mais bien sa carte de parti au vestiaire menant à la salle du Conseil fédéral».

Dans les couloirs du Palais, cette phrase fait réagir. Certains y voient de l'insolence – une provocation pure et simple. Dans la même interview, la ministre des Finances s'est en effet distanciée d'un des principaux axes du programme d'allègement budgétaire. Il doit apporter des recettes supplémentaires à la Confédération. Plus question ainsi de favoriser fiscalement le retrait du capital des 2ᵉ et 3ᵉ piliers par rapport au retrait de la rente. Keller-Sutter avait elle-même soumis l'idée au gouvernement.

Après un tollé général, son parti ayant même lancé une pétition, elle avait toutefois laissé tomber. Cette mesure serait une concession aux partis qui ont exigé davantage de recettes - mais elle ne correspond ni à la conviction du Conseil fédéral ni à la sienne, a-t-elle déclaré. Le gouvernement décidera finalement en janvier si et comment il entend poursuivre sur cette voie.

«On envisage aussi de renoncer à des modifications du 3ᵉ pilier. La proposition actuelle n'est qu'une ébauche»

Keller-Sutter a donc rapidement fait de cet axe fondamental aux yeux du Conseil fédéral une «ébauche» de second plan. Mais la future présidente sait aussi respecter le principe de collégialité. Et les critiques de son propre parti ne lui échappent pas totalement.

Pourtant, la déclaration qui a mis le feu aux poudres n'a rien de la simple coquetterie. La patronne de l'Economie prend parfois ouvertement ses distances avec le PLR. Par exemple en ce qui concerne l'augmentation rapide des dépenses de l'armée. Pour cela, il faut des recettes supplémentaires - les conseillers aux Etats l'ont bien compris. Ou sur la 13e rente AVS, où elle soutient la ligne de la ministre de l'Intérieur Elisabeth Baume-Schneider. Pour la Jurassienne, il faut immédiatement davantage de recettes pour la rente complémentaire. Les électeurs ont accepté cette extension sociale, ils doivent donc en assumer les conséquences. Le PLR veut cependant régler la question du financement plus tard, dans le cadre d'une grande réforme de l'AVS.

Elle a conservé une certaine indépendance vis-à-vis des milieux économiques. Malgré la résistance d'Economiesuisse et de l'industrie pharmaceutique, elle a mis en œuvre l'imposition minimale des grandes entreprises il y a un an. Il sera intéressant de voir comment KKS régulera à l'avenir le mastodonte UBS. Car les grognements de la Bahnhofstrasse zurichoise quant aux exigences élevées en matière de fonds propres se font entendre jusqu'à à Berne.

Détermination à toute épreuve

Mais la fameuse réflexion sur la carte de parti et le vestiaire intéresse pour une autre raison, à savoir la manière dont elle commence: «Une bonne collègue...». Keller-Sutter exprime ainsi sa vision d'elle-même et son intention d'entrer dans l'histoire. Elle est ambitieuse et valorise la reconnaissance. Elle a toujours lu les journaux du matin avant son chef de la communication. En démarrant toujours par le Wiler Zeitung.

Oui, la Suisse orientale. KKS tient à ses origines. Notamment parce qu'elle se sent un peu comme une étrangère à Berne. Pour caractériser les gens de sa région, elle a cité une fois l'ancien conseiller aux Etats Ernst Rüesch. Selon lui, les mauvaises langues prétendent qu'un enterrement à Zurich est plus drôle qu'un mariage à Saint-Gall. Pas anodin, estime la PLR: «Nous sommes sobres, terre à terre, pragmatiques et nous n'en appelons pas immédiatement à l'Etat». Un «nous» dans lequel elle s'inclut.

Celle qui représentera la Suisse en 2025 a prouvé par le passé qu'elle était capable de se glisser dans de nouveaux rôles. De la directrice sévère de la sécurité anti-hooligan à Saint-Gall à la spécialiste des politiques économiques et sociales au Conseil des Etats. Elle composait alors l'influent cabinet fantôme avec Christian Levrat (PS) et Konrad Graber (PDC). Elle est ensuite devenue ministre de la Justice, a courageusement déployé le statut de protection S après l'attaque russe contre l'Ukraine, puis a défendu le frein à l'endettement en tant que ministre des Finances.

Prédestinée à la scène internationale

A quoi ressemblera son année présidentielle? Tout d'abord à ramener le calme parmi les Sept sages et à améliorer leur collaboration. A bien gouverner, en somme. Et c'est là que réside sa force sur la scène internationale. «You saved the world», lui aurait dit un ministre étranger après la reprise en urgence de Credit Suisse par UBS, orchestrée par l'Etat. Le Financial Times lui a non seulement consacré un portrait détaillé, mais l'a ensuite classée parmi les femmes les plus influentes de 2023 - et aujourd'hui encore, elle reste une intervenante très demandée par les médias étrangers pour des entretiens. Interprète de conférence de formation, elle saura faire preuve d'éloquence sur la scène internationale.

Et peut-être qu'à la tête du pays, Karin Keller-Sutter parviendra à réaliser ce qu'elle souhaite au moins autant que les chiffres noirs des comptes de la Confédération: que le peuple ne la perçoive pas seulement comme une froide calculatrice, mais comme une dirigeante proche des Helvètes de l'ensemble du territoire. Et pas seulement de Suisse orientale.

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

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