«Le Conseil fédéral, ce sont sept gros egos qui veulent être aimés»
Dans le dernier classement publié par Tamedia en collaboration avec Leewas, tous les conseillers fédéraux obtiennent une note insuffisante. Qu’est-ce que cela dit de notre gouvernement?
Mark Balsiger: Cela en dit surtout long sur les personnes qui ont participé à l’enquête. Dans ce type de sondage en ligne, des citoyens peuvent, sous couvert d’anonymat, juger les membres du Conseil fédéral. La tentation est grande d’être sévère.
Ces résultats reflètent donc davantage la nature du sondage que la performance réelle des ministres?
Je trouve légitime que la population attribue des notes à son gouvernement. La question reste cependant de savoir sur quelle base elle prend sa décision. Les 15 000 participants sauraient-ils vraiment expliquer pourquoi ils attribuent une mauvaise note à tel ou tel conseiller fédéral? J’en doute.
Si l’on regarde les résultats en détail, c'est le plus jeune en fonction, Martin Pfister, qui arrive en tête. Cela vous surprend-il?
Non, on a déjà pu observer ce phénomène les années précédentes. Au printemps 2024, le fraîchement élu Beat Jans avait lui aussi obtenu les meilleures notes.
De plus, ils profitent de l’élan de l’élection fédérale, qui en Suisse prend des allures quasi royales. Dans le cas de Martin Pfister, s’ajoute une crédibilité particulière, il paraît à la fois réfléchi et accessible. Cela lui vaut des points.
Les notes du Conseil fédéral
Sur un maximum de 6, personne n'a obtenu la moyenne
- Martin Pfister: 3,89
- Guy Parmelin: 3,84
- Albert Rösti: 3,63
- Karin Keller-Sutter: 3,51
- Beat Jans: 3,31
- Elisabeth Baume-Schneider: 3,14
- Ignazio Cassis: 3,01
Alors même qu’il dirige le Département de la défense, ce qui n’est pas une mince affaire.
Exactement, il a hérité du département le plus difficile, mais les immenses défis n’ont pas encore éclaboussé son image. Les problèmes viennent de sa prédécesseure. L’an prochain, il ne bénéficiera plus de ce bonus.
Les deux conseillers fédéraux de l’UDC occupent les premières places, alors que les socialistes sont en bas de classement. Pourquoi une telle différence?
A mon avis, cela n’a rien à voir avec l’appartenance partisane. La plupart des participants au sondage ne sauraient sans doute pas dire à quel parti appartient chaque conseiller fédéral. Ici, ce sont des facteurs d’image qui comptent. Albert Rösti passe pour un homme d’action, Guy Parmelin pour un père de famille jovial. Les socialistes brillent moins selon les critères du sondage.
Qu’est-ce qui compte le plus pour briller dans ce classement, le style ou les réussites politiques?
C’est avant tout une question de capital sympathie. Avec qui irait-on volontiers boire un café ou faire une randonnée? Et avec qui pas du tout? Ceux qui paraissent renfrognés, artificiels ou froids chutent.
Karin Keller-Sutter, par exemple, est souvent décrite comme froide et distante. Pourtant, elle occupait la tête du classement en février. Cela veut dire que les gens cherchent d’autres qualités?
Votre observation est juste. Karin Keller-Sutter est la dirigeante méthodique et contrôlée, elle a un plan concret. La proximité avec le peuple ne correspond guère à son image. Mais son cas montre bien la difficulté d’interpréter ces classements. Elle n’a pas changé, mais elle a reculé dans le classement.
Comment expliquez-vous sa chute de la 1re à la 4e place en six mois?
Ses difficultés d'image ont commencé en février, après la conférence de Munich, lorsque le vice-président américain JD Vance a prononcé un discours controversé critiquant l’Union européenne. KKS a largement approuvé ses propos. Puis elle a tenté d’obtenir une baisse des droits de douane américains, sans succès, et beaucoup l’ont tenue responsable de cet échec. Elle a longtemps été encensée, mais là elle est sanctionnée.
Ignazio Cassis ferme encore une fois la marche. Pourquoi est-il si impopulaire?
Depuis son arrivée en 2017, il n’a jamais convaincu. Pas même dans son propre parti. Il traîne l’image d’une personne hésitante et qui multiplie les faux pas.
La satisfaction globale envers le Conseil fédéral et le Parlement est au plus bas depuis 2018. Seulement 32% des sondés se disent satisfaits du gouvernement. Début 2022, ce chiffre était encore de 65%. D’où vient cette baisse?
Les chiffres élevés de 2022 s’expliquent par la crise du Covid. Le gouvernement avait alors une popularité exceptionnelle. Aujourd’hui, j’observe une grande insécurité dans la population, largement liée à la situation géopolitique. Le sondage sert de soupape pour exprimer ces craintes.
Faut-il voir dans ces résultats un signe inquiétant pour la démocratie suisse?
Il n'y a pas de quoi tirer la sonnette d’alarme, mais pas de quoi rejeter ces signaux non plus. Le ciment social existe encore, mais il se fragilise.
Cela devient dangereux lorsqu'une majorité ne se sent plus représentée et développe des attentes, mais sans vouloir contribuer à la vie politique. Il ne faut pas oublier qu’en Suisse, nous faisons tous partie de l’Etat. Chacun contribue à la démocratie, que ce soit dans une association locale ou un parti.
Et les conseillers fédéraux eux-mêmes, comment perçoivent-ils ces classements?
Ils en prennent évidemment note, tout comme leur entourage. Mais en fin de compte, ils témoignent davantage de la réussite de leurs équipes que des membres du Conseil fédéral eux-mêmes. Pour les membres du Gouvernement, ce qui compte, c’est de réussir dans la chose politique. Combien de lois ou de votes ont-ils fait passer? Cela dit, le Conseil fédéral, ce sont aussi 7 grands egos qui veulent être aimés du public et des médias. Certains y arrivent, d’autres moins.
Quel conseil donneriez-vous à un ministre pour améliorer sa position au classement?
Premièrement, rester authentique. Deuxièmement, avoir du courage. Troisièmement, instaurer dans son secrétariat général une culture où les critiques des collaborateurs sont entendues et ne nuisent pas aux carrières.
Traduit de l'allemand par Joel Espi