Le nouvel horaire CFF est désormais actif et bouleverse les habitudes de nombreux pendulaires en Romandie. Les CFF eux-même n'hésitent pas à le qualifier de «plus grand changement d’horaire en Suisse romande depuis 20 ans». Il remplace un précédent système datant des années 2000.
Parmi les changements les plus notables, on compte la présence renforcée de Renens comme «hub» et l'affaiblissement de la ligne directe entre Genève et Neuchâtel. Mais de nombreux temps de parcours sont aussi rallongés, ce qui va en embêter plus d'un en «Suisse occidentale», comme on dit en bon français fédéral à Berne.
Après l'ex-conseiller aux Etats vaudois Olivier Français, l'association pour le rail romand Ouestrail est désormais tenue par un autre libéral-radical, le conseiller national et chef de groupe au Parlement, Damien Cottier. Le Neuchâtelois a réussi à caser cette nouvelle corde à son arc dans son agenda déjà bien serré. Interview.
Quel est l’état actuel du rail en Suisse romande et sa priorité n°1?
Damien Cottier: Il est en retard. Un immense travail de mise en conformité et de renouvellement des installations doit être mené ces prochaines années. Cela a conduit à la refonte de l’horaire pour permettre la tenue de ces chantiers. C’est la condition de base pour tout développement futur.
L’horaire 2025 affaiblit-il la mobilité en Suisse romande?
C'est un compromis entre les besoins et attentes de la clientèle et ce que le réseau ferré est capable de supporter. On parle des prolongements des temps de parcours de quelques minutes, mais je ne crois pas cela doive être perçu comme un affaiblissement. Il faut surtout que la correspondance soit assurée.
Cette recherche de compromis a amené de bonnes solutions à certains endroits, notamment la desserte de l’Ouest lausannois, la cadence à la demi-heure du Pied-du-Jura sur Lausanne ou encore le prolongement de l’offre RegioExpress en direction de Martigny. Sur l’axe Lausanne–Genève, la suppression d’un train a été nécessaire pour pouvoir mener à bien les travaux. Cette liaison directe n'est maintenue qu’aux heures de pointe. C’est très regrettable.
Pour un Neuchâtelois comme vous, cela va rendre les trajets vers Genève plus fastidieux, non?
Ouestrail s’engage pour que l’offre de ces trains soit assurée aux heures de pointe sur la durée et que leur nombre puisse augmenter au fur et à mesure des possibilités du réseau, jusqu’à atteindre l’objectif d’une liaison par heure intégrale, voire à la demi-heure avec les aménagements dans le nœud de Bussigny et entre Lausanne et Genève. Il faut aussi que le changement à Renens puisse se faire au plus vite sur le même quai.
La stratégie actuelle des CFF mise donc sur la cadence plutôt que la vitesse. Doit-on forcément opposer les deux?
Je ne crois pas que l’on puisse parler de stratégie ici: les CFF essaient de faire de leur mieux pour satisfaire la demande en forte croissance et les besoins impératifs de l’entretien du réseau.
Plus de vitesse, c'est un gain pour le client, mais aussi pour ce qu'on appelle la «production ferroviaire». Avec un temps de parcours réduit, un même train peut assurer plus de services. Cela veut dire moins de trains nécessaires pour une même offre. Il en est de même avec le personnel. Cela permet de diminuer les coûts.
Dans les années 1980, on prévoyait un trajet Lausanne-Berne en une heure, mais cela n’a jamais eu lieu. Faut-il considérer ces promesses comme un reflet de leur époque et accepter de les sacrifier?
Non, le sacrifice de cette promesse conduirait à un réseau à deux vitesses, sans jeu de mot, entre la Suisse occidentale et la Suisse alémanique.
Je rappelle que ce principe a été accepté par le peuple, en 1987 puis en 2014, et par les Chambres fédérales à plusieurs reprises. Il a pour objectif, pour l’ensemble de la Suisse occidentale, un nœud Rail 2000 de correspondance parfait à Lausanne.
Plus l’infrastructure est à jour et solide, plus les trains peuvent rouler vite. Votre prédécesseur Olivier Français nous disait en 2023:
Le nœud du problème du rail romand est-il là?
La Suisse romande a fait l’objet des grandes économies depuis les années 1990. Plusieurs gares ont vu leurs installations réduites avec la suppression de voies et d’aiguillages fragilisant l’exploitation et les possibilités de travaux.
Quand l’heure a sonné pour la Suisse occidentale dès 2014 avec les gares de Lausanne, de Genève et plusieurs projets comme la ligne directe entre Neuchâtel et LaChaux-de-Fonds, l’allongement des procédures et les changements fréquents de normes ont complexifié la mise en œuvre de ces travaux avec un fort impact sur les délais et les coûts. Le retard pris dans l’entretien, à quoi s’ajoute la mise en conformité des installations — on pense notamment à l'accesibilité pour les personnes à mobilité réduite — impactent les travaux et les ressources d’ingénieurs et de constructeurs.
Entre les Alémaniques qui profitent de Rail 2000 et ceux qui se battent pour améliorer «leur» bout de réseau (vers Bâle ou Saint-Gall), défendre la Suisse romande, c’est mission impossible à Berne?
A mon sens, il ne faut pas réfléchir ainsi en termes régionalistes.
Les projets en Suisse occidentale sont utiles pour le réseau entier, cela a bien été compris ces dernières années. Si la gare de Lausanne ne peut pas accueillir des trains de 400 mètres de long, il est impossible de faire circuler des convois de cette longueur sur toutes les lignes passant par là, avec un impact jusqu’à Saint-Gall. Le doublement du tunnel du Lötschberg offre également des possibilités de redondances pour le trafic voyageurs et marchandises entre le Sud et le Nord de l’Europe.
La Suisse romande ne doit pas décrocher. Il est clair que certaines mesures sont plus régionales, concernant de petites gares ou des points de croisement sur des réseaux secondaires, mais ce ne sont pas les infrastructures les plus onéreuses du paquet.
Il y a les décisions discutées et prises au Palais fédéral, mais aussi au sein des CFF. La Romandie a-t-elle été délaissée par les CFF?
Je n'irais pas jusque-là, mais il est vrai que le potentiel de notre région n’a pas toujours été intégré ces dernières années dans le cadre des investissements et du matériel roulant. Il s’agit d’un manque d’anticipation. Mais les CFF ont pris conscience des possibilités de croissance dans l’Ouest de la Suisse. Rappelons-nous qu’il y a une trentaine d’années, on voulait supprimer le trafic régional entre Genève et La Plaine, la ligne du Tonkin entre Monthey et Saint-Gingolphe ou encore celle entre Bulle et Romont.
Cette prise de conscience tardive des CFF se traduit aujourd’hui par des heures de circulation plus étendues, par des offres saisonnières directes, par des liaisons matinales sur Genève-Aéroport. Le fait que le réseau soit saturé et que des travaux viennent consommer les dernières capacités disponibles est problématique.
A Zurich, il est difficile d’aller chercher plus de clients, alors qu’en Suisse occidentale, les parts modales en transports publics restent faibles.
Pourquoi les CFF développent-ils une liaison directe vers Florence et Livourne puis peut-être Rome, depuis Zurich — mais pas depuis Lausanne ou Genève?
De nombreuses transformations dans les gares sont prévues: la Suisse romande est-elle destinée à être un chantier géant durant les années 2020 et 2030?
Ce ne sont pas que les gares.
Les retards des grandes gares comme Genève et Lausanne sont connus, mais pas encore stabilisés et restent très problématiques. C'est aussi le cas pour de plus petits projets, comme le tunnel de Gléresse, qui permet de corriger le dernier tronçon à simple voie entre Lausanne et Bienne, et accuse un retard de trois ans. Quant à la troisième voie entre Morges et Denges, elle n’a pas encore reçu d’autorisation définitive, alors qu’elle aurait dû être mise en service en 2025. Les procédures sont de plus en plus complexes et longues, l’évolution des normes et des directives de l’Office fédéral des transports (OFT) et des CFF conduit à des continuelles adaptations des projets, des reports et des surcoûts.
Le plus inquiétant c’est qu’avec le retard pris avec ces chantiers et l’explosion des moyens nécessaires, annoncés il y a quelques jours par l’OFT, l’offre de l’horizon 2035 ne pourra réalistement pas être mis en place avant 2045-2050 en Suisse occidentale et risque d’être déjà largement dépassée à son ouverture.