Poignée de main, sourire, regard complice devant l'objectif. Ce mardi, lors d'une rencontre au manoir de Lohn, domaine fédéral près de Berne, le ministre suisse des Affaires étrangères Ignazio Cassis et son homologue européen Maros Sefcovic affichaient une bonne humeur manifeste.
Le conseiller fédéral tessinois a souligné les nombreux progrès réalisés jusqu'ici. L'objectif reste clair: conclure les négociations d'ici la fin de l'année. Après la séance photo, les discussions se sont poursuivies à huis clos, suivies d’un dîner commun. Les journalistes n'ont obtenu aucune réponse à leurs questions.
Car les deux hommes politiques le savent: malgré les avancées des négociations, les nouveaux accords avec l’Union européenne suscitent la controverse. La question de l’immigration, en particulier, reste un sujet sensible.
Malgré tout, Cassis et la présidente de la Confédération Viola Amherd veulent rapidement ficeler le paquet européen et le déposer sous le sapin de Noël. Il y a plusieurs raisons à cette précipitation:
Les relations entre la Suisse et l’Europe tiennent particulièrement à cœur à Viola Amherd. En tant que présidente de la Confédération, elle a joué un rôle clé dans l’avancement de ce dossier. Il est donc compréhensible qu’elle souhaite conclure l’année de sa présidence en scellant «l’amitié» avec l’UE par un accord. Une poignée de main avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, serait le point d’orgue idéal pour clore son mandat. Amherd pourrait alors transmettre le flambeau présidentiel avec satisfaction, voire envisager de quitter son poste de conseillère fédérale?
A Berne, il se murmure depuis longtemps que la Valaisanne de 62 ans ne souhaite pas rester indéfiniment au gouvernement. Fin 2025, elle aura complété sept années de mandat, ce qui serait légèrement inférieur à la durée minimale informelle des mandats au Conseil fédéral, fixée à deux législatures. Dans tous les cas, un prétendant se profile: Gerhard Pfister, président du parti du centre. On dit de lui qu'il n'aspire qu'à devenir conseiller fédéral. Pour y parvenir, Amherd devrait se retirer.
De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, a décidé il y a deux ans de ne pas changer de département, motivé par sa volonté de faire aboutir l'accord avec l'UE après l'échec de la première tentative. Aujourd'hui, le succès semble à portée de main. Cassis pourrait alors considérer sa mission accomplie, quelle que soit l'issue du processus parlementaire ou du référendum.
Il se dit également que Cassis pourrait bientôt se retirer après avoir rempli sa mission. D'autant plus que le deuxième siège du PLR au Conseil fédéral vacille dangereusement.
C'est là qu'intervient sa collègue Karin Keller-Sutter. L'année prochaine, elle deviendra présidente de la Confédération et, contrairement à Amherd, elle est perçue comme une souverainiste et une sceptique de l'intégration européenne. Aux côtés de l'UDC, Keller-Sutter serait la plus grande opposante à l'UE au sein du gouvernement.
En tant que présidente de la Confédération, Keller-Sutter est égale aux autres conseillers fédéraux, mais elle a une influence particulière sur l'agenda international et peut, dans une large mesure, accélérer ou freiner les initiatives. Cassis aurait sans doute de la peine à accepter que son projet le plus important soit freiné par une camarade de parti.
A Bruxelles aussi, on lit les journaux suisses. En plus des dynamiques internes du gouvernement, il est clair que les nouveaux accords sont mal accueillis en Suisse. Le terrain est laissé aux opposants, et tant que l’accord final n'est pas présenté, les partisans ne peuvent pas défendre son contenu. C'est pourquoi, à la Commission européenne, on a décidé que prolonger les négociations indéfiniment ne servait à rien. Même si des concessions sont encore envisageables, notamment sur la clause de protection contre une immigration excessive, le moment du compromis est désormais arrivé.
Dans les cercles bruxellois, une remarque peu flatteuse a récemment circulé. Il n'y a qu'un pays, plus chronophage et frustrant que la Suisse dans les négociations, et c'est l'Iran. Cela signifie que l'UE souhaite enfin clore le dossier.
Les diplomates qui se consacrent actuellement à la Suisse devront bientôt se concentrer sur le Royaume-Uni, avec lequel des négociations post-Brexit sont en cours. Et à partir de janvier, l'UE devra jongler avec la guerre en Ukraine, une économie en difficulté et une administration américaine eurosceptique.
Si l'accord de l'UE arrive aux urnes, la question portera essentiellement sur les éléments institutionnels: Oui à l'Europe ou Non à l'Europe? Après le référendum sur l'EEE en 1992, «la mère de toutes les batailles de l'UE» pourrait se profiler. D'autant plus que le vote pourrait coïncider avec l'initiative des 10 millions de l'UDC, qui vise à dénoncer la libre circulation des personnes et est presque indissociable de l'accord avec l'UE sur le fond.
Afin de rester dans le bon timing, l'accord avec l'UE devrait être négocié d'ici la fin de l'année. Une date de votation en 2026 pourrait alors être envisagée. L'année suivante, il y aura à nouveau des élections fédérales, et rares sont ceux qui souhaitent les accompagner d'une votation cruciale sur l'UE.
Traduit et adapté par Noëline Flippe