Normalement, je réponds aux appels des call centers en leur chantant un chapelet d'injures. Oui je sais, c'est méchant, blablabla, je m'en fous. Mais cette fois-ci, j'ai décidé de jouer le jeu.
Au téléphone, un type qui a l'air de ne pas être sûr de son nom - Jonathan Barbey - m'explique en lisant manifestement un texte que de nouveaux dispositifs sont mis en place «suite à la non votation des projets de loi qui prévoyaient de plafonner le coût des assurances à 10% de revenu pour chaque foyer». Il me dit travailler pour l'ASS. L'ASS? Ce peut être les initiales de l'Office des assurances sociales du Jura (pourquoi pas), celles d'Auto-Secours-Suisse (j'ai des doutes) ou encore de l'Association Suisse pour la technique de Soudage (mon préféré). Ou sobrement «le cul» en anglais.
Il me fixe un rendez-vous avec un conseiller en assurances puisque j'ai le droit «à accéder à une fourchette de réductions envisageables, pour lutter contre toute forme d'augmentation». Merveilleux, je me réjouis!
Comme demandé par le type qui s'appelle tout sauf Jonathan Barbey, je prends le contrat de mon assurance de base, mais en le photoshopant un peu: je m'invente une identité et de faux montants.
Le rendez-vous est fixé dans un célèbre fast-food, j'arrive à l'heure. Qui n'a jamais rêvé de bidouiller de la paperasse dans une douce odeur de frites?
Il est là. Le faux Jonathan Barbey m’a organisé un entretien avec une vraie personne. Un jeune homme, ses mains tremblent sur son cartable. Stressé? A l'idée de me raconter n'importe quoi sans se faire prendre? On s’assied, sans rien commander à boire. C’est chic, un type qui veut vous vendre des assurances qui ne vous propose même pas un café.
Il commence par prendre en photo le contrat de mon assurance de base, et l'envoie direct par WhatsApp. «Euh, vous faites quoi?»
Ça me touche qu'ils s'y mettent comme ça à plusieurs pour m'aider à me faire entuber.
Mon faux contrat passé en revue, ce Serge le Mytho de la paperasse m'explique que mon assurance ne couvre, grosso modo, pas grand-chose, notamment si j'ai un accident. «Je ne vous le souhaite pas!», s'exclame-t-il (il va me le répéter au bas mot une douzaine de fois en une heure).
Ah bon? Rien, vraiment? Il m’explique qu’on paie l’assurance de base uniquement parce qu’elle est obligatoire, que derrière, ça ne me protège pas. Par exemple, si j’ai un accident à Genève, comme je vis dans le «canton de Lausanne», l’ambulance devra forcément m’amener à Lausanne, je n’aurai pas le droit d’être soignée au bout du lac.
Euh, quoi? Ça veut dire que les secours, alors que je souffre le martyr, vont d’abord s’enquérir de mon lieu de résidence pour savoir où ils vont m’expédier avant de vérifier si mes blessures sont graves? Oui. «Sauf si vous êtes inconsciente.» Ah, c'est gentil. Attendez, le canton de Lausanne...?
Je lui fais remarquer que de toute manière, si c'est un accident, comme son nom l'indique, c'est l'assurance accident de mon travail qui prend en charge.
Au cours de ma vie, j'ai eu plusieurs fois besoin de faire appel aux assurances accidents de mes employeurs. Je n'ai jamais eu de problème pour que les cas soient pris en charge. Mais continuons.
Il m'explique que si je suis hospitalisée en éco dans «l'hôpital commun», ou public, avec ma couverture nulle, je suis potentiellement dans une chambre à huit (fun fact: selon une médecin du fameux «hôpital commun du canton de Lausanne», on trouve maximum cinq personnes par chambre). Et ce sont «les apprentis» qui s'occupent des patients; je n'ai pas le droit de choisir, car les médecins spécialistes, c'est en «demi privé» qu'ils sont. Bah dis donc, j'ai meilleur temps d'aller chez un garagiste. Pour asseoir son propos, il prend l'exemple de deux de ses amis qui se sont fait une fracture au foot. L'un s'est fait soigner en «demi privé», l'autre «en commun».
Oh wow, j'ai effectivement tout intérêt à aller plutôt chez un boucher ou un carrossier, quoi. Il me précise encore que c'est très cher, l'hôpital public. «Et en plus, la bouffe est pas bonne!», surenchéris-je, pour rire. «S'ils vous en donnent», répond-il. Bordel, il est zinzin ou quoi?
Mais il n'y a pas que les accidents suite auxquels on se fait opérer par des pingouins qui inquiètent Monsieur Complémentaire. Il y a aussi les maladies.
C'est marrant, il me semble que le diabète de type 1, ça ne «s'attrape» pas. Et ça ne se traite pas non plus à coups de cachetons, mais plutôt d'injections s'insuline.
Ou alors, Monsieur Assurances parle-t-il du diabète de type 2? Là encore, manque de bol, je m'y connais un peu mieux que lui: ce type de diabète «s'attrape» surtout après 40 ans, et surtout chez les patients obèses. Je ne suis concernée ni par l'un, ni par l'autre. Il commence à m'énerver.
Il me sort une autre anecdote. Décidément, c'est Père Castor ce type. «Un de mes collègues a eu rendez-vous avec une famille, il a fait signer une complémentaire au père, aux enfants, mais la mère a refusé, car elle disait aller bien, ne jamais tomber malade, qu'elle s'en foutait.» Attention, la routourne va tourner, forcément.
La pauvre dame, ça me ferait presque de la peine. «Et si vous faites un AVC, vous avez pas envie d'avoir sept autres personnes dans votre chambre», relance-t-il. Je commence à avoir des difficultés à faire semblant de croire à ses conneries. Allez, acting.
Heureusement, à ce moment-là, son téléphone sonne. «C'est mon patron, désolé, il faut que je le prenne.» Il lui explique que non, je ne savais pas pour l'assurance de base, que je n'ai pas de complémentaire, que je pensais être bien couverte. On dirait une mise en scène tant c'est grossier.
Le patron, qui a reçu mon contrat par WhatsApp, s'inquiète ainsi de ma piètre couverture en cas de pépin. Comme c'est gentil de sa part. «Il voulait me redire de bien tout vous expliquer», rajoute le pseudo-conseiller en raccrochant. OUI, J'AVAIS COMPRIS. J'essaie de revenir à la base, insistant à savoir pourquoi on la paie si elle ne couvre rien.
Il veut me faire la liste de tout ce que je peux payer en une année si j'ai pas de bol (mais il «ne me le souhaite pas», blablabla, je sais). La prime, la franchise, la quote-part, le gynéco... «Comme tout le monde, j'imagine que vous faites un check-up chaque année?» Euh, non. Vraiment, les gens font ça? (Plus tard, je fais un tour d'horizon auprès de mes collègues et la réponse est non, personne ne fait de check-up chaque année).
Il m'explique encore qu'avec une complémentaire, la gynécologie est remboursée à 90% «donc vous pouvez y aller 2-3 fois par an». Merci, mais un frottis, ça n'est pas particulièrement agréable; s'il faut y aller aussi souvent, c'est qu'il y a un problème.
Et là, c'est le drame. Je compte, ça fait 144 francs, le reste est à ma charge. Facile, on enlève 10% de 160, soit 16. Mais je préfère le regarder galérer. Malgré plusieurs tentatives sur la calculatrice de son téléphone, il n'arrive pas au même résultat deux fois de suite. «Bon, ça fait environ 145, j'ai fait le calcul pour une autre cliente, et on était partis de 150 francs.» Bordel, comment peut-on prétendre vendre des assurances et ne pas réussir à calculer 10%?!
Il me sort encore la carte de l'anecdote (au secours). «Je connais quelqu'un en moto qui s'est fait renverser par une voiture de police, heureusement qu'il était assuré... Bon après, il a porté plainte, ça a été pris en charge quand même puisque c'est la police...» Hein? Sans queue ni tête.
De nouveau, je rétorque «mais c'est pas l'assurance accident qui paie pour les accidents, de toute façon?» Et encore une fois, j'ai droit à «mais il faut prouver que c'est un accident...» Ah bah oui, se faire shooter par la police, il faut prouver le côté accidentel. Suis-je conne. «Et après un accident de moto, moi j'aurais pas envie de me faire soigner en hôpital commun par un apprenti», assène-t-il, sûr de lui. Je suis soufflée par tant de bêtise.
On passe au baratin sur les massages remboursés à hauteur de 3000 francs par an, mais si je veux, il y a le premium: une limite à 10 000 balles pour tout ce qui est «médecine alternatif». On dit pas «alternative», au féminin? Whatever, c'est comme sa «demi privée», on ne relève plus les erreurs dans son propre jargon.
«Ils remboursent 75% chez CSS par exemple», me dit-il. «Et Intras?», je lui demande. Question piège, puisque CSS et Intras ont fusionné en 2007. «Je vais vérifier», me dit-il. C'est fou, encore une fois, il s'y connaît moins bien que moi, alors que le sujet me passionne assez peu, je dois dire. «75% aussi», dit-il, après une minute à bidouiller sur son ordinateur. Bah oui, puisque c'est la même boîte... Il a vu ça sur son ordi, aussi?
On passe aux lunettes, pour lesquelles je peux me faire rembourser 150 francs par année. «Et vous pouvez cumuler si vous n'utilisez pas une année, ça marche aussi pour les lentilles.» Merveilleux, ce petit cumul ad vitam æternam. «J'aime pas les lentilles», lui dis-je. «Moi non plus, ça sert à rien», répond-il. Pardon...?
Selon lui, certaines assurances vont bientôt rembourser aussi les massages thaïs. «Tous les masseurs, pas uniquement ceux qui sont agréés ASCA?», je l'interroge. Silence.
Long story short, il s'agit d'un label pour les médecines alternatives permettant ainsi d'être remboursés par certaines complémentaires. C'est dommage, encore une fois, que je m'y connaisse mieux qu'un type dont c'est supposément le métier. Peu importe, il a «bien étudié mon profil», il va me faire une proposition.
Comme par hasard, j'ai oublié mon porte-monnaie, celui qui contient ma pièce d'identité inexistante, oups. D'ailleurs, heureusement qu'il ne m'a pas proposé un café, comment l'aurais-je payé? (Oui, nous sommes restés plus d'une heure chez Ronald, dans l'odeur de frites, sans rien consommer, c'est chic, je sais.)
Mais je lui récite les coordonnées de mon alter ego, celle qui va se faire arnaquer par un type qui ne sait pas calculer 10% ni de tête, ni même avec une calculette. A «profession?», je lui balance «employée de commerce».
Je regarde l'heure et prétexte un autre rendez-vous, afin qu'il m'envoie son offre bidon par WhatsApp. En fait, j'en ai marre, j'en ai assez entendu. Il me dit que si on signe pour la base et la complémentaire ensemble, j'en aurai pour à peu près 450 francs par mois. Super, allez bye.
Une vingtaine de minutes après m'être sauvée de cet entretien lunaire, je reçois non pas de jolis documents au propre, mais des photos de l'écran de son ordinateur. C'est chic jusqu'au bout, cette histoire. Et j'en ai pour plus de 500 balles, manifestement, il est aussi bon en calcul mental qu'en estimations.
Dix jours et sept appels en absence plus tard, je n'ai évidemment pas donné suite. J'ai vérifié auprès du registre du commerce, la société pour laquelle il «conseille» des assurances existe bel et bien. Et il y a sans doute des gens qui, dans l'intervalle, ont, eux, signé une complémentaire. A quel point les assurances sont-elles conscientes qu'il y a des menteurs qui vendent leurs produits en racontant n'importe quoi? Sont-elles de mèche? Ou ferment-elles simplement les yeux pour faire du chiffre?
Dans tous les cas, rien que de repenser à ce rendez-vous, et aux personnes qui se font avoir, je suis dégoûtée. Système de merde. Tâchons d'y penser la prochaine fois qu'on vote sur le sujet.