Un étranger vivant en Suisse sur dix a un passeport portugais. D'après les derniers chiffres disponibles, datant de 2023, quelque 255 000 ressortissants lusitaniens habitent dans notre pays, ce qui en fait la troisième communauté étrangère la plus nombreuse, après les Italiens et les Allemands.
En effet, la Suisse est devenue une destination traditionnelle pour la migration portugaise, dont la composition a pourtant changé au fil du temps. Dans un chapitre du livre «Paysage migratoire au XXIe siècle en Suisse», à paraître début mars aux éditions Seismo, la chercheuse Liliana Azevedo analyse l'évolution de la population lusitanienne dans notre pays au cours de ces vingt dernières années.
La première chose qui saute aux yeux, c'est que de plus en plus de Portugais décident de quitter la Suisse. En 2017, le nombre de départs a même dépassé celui des arrivées.
Une catégorie se distingue parmi les personnes qui décident de partir: les plus de 65 ans, dont le nombre a explosé, passant de 141 en 2013 à 787 en 2023. Il s'agit en grande partie de Portugais ayant émigré en Suisse entre les années 1980 et 1990, lesquels arrivent maintenant à l'âge de la retraite, explique Liliana Azevedo.
«Ces gens ont connu, pour la plupart, des parcours similaires: une intégration dans le marché du travail par le bas, de petits salaires, des temps partiels cumulés», poursuit-elle. Conséquence: «Ils ne disposent que de petites rentes, suffisantes pour bien vivre au Portugal, mais pas en Suisse.»
«Ces personnes se retrouvent dans une situation économique défavorable. Elles n'ont pas assez d'argent», abonde Antonio da Cunha, président de la Fédération des Associations portugaises de Suisse (FAPS). Dans ces conditions, rentrer au pays est, souvent, leur seule option.
«Une rente de 2000 francs permet de vivre beaucoup mieux au Portugal, où le minimum salarial se monte à 860 francs», développe Antonio da Cunha, avant de fournir l'exemple suivant:
Sans compter que nombre de ces migrants ont construit une maison ou acheté un appartement au Portugal avec leurs économies. «Garantir le retour a toujours été la préoccupation principale des générations plus anciennes, cela faisait partie de leur projet migratoire», note Liliana Azevedo.
Toutefois, ce serait faux de penser que les Portugais partent parce que c'était leur projet dès le départ, prévient-elle. «On oublie que, pendant les 35 ou 40 ans qu'ils ont passés en Suisse, ce projet peut se transformer». Des liens se forment, des familles se créent, ou disparaissent. «Certains continuent à vouloir effectivement partir, mais d'autres aimeraient, ou auraient voulu, rester», ajoute la chercheuse. «Cependant, ils n’en ont toujours pas les moyens».
Ce qui est sûr, c'est ce que les départs ne vont pas diminuer, prédit Liliana Azevedo: «La population portugaise en Suisse va continuer de vieillir.» Elle ajoute:
Et ce, bien que le solde migratoire soit de nouveau positif depuis 2023. «Les retours n'ont pas faibli, ce sont les arrivées qui ont fortement augmenté», insiste la chercheuse, qui souligne toutefois que ce renversement de tendance est trop récent pour pouvoir tirer des conclusions.
Le vieillissement de la population portugaise n'est pas la seule raison expliquant la hausse des départs. Liliana Azevedo rappelle également que beaucoup de personnes arrivées en Suisse au moment de la crise des dettes souveraines, entre 2011 et 2013, ont également décidé de rentrer.
De plus, depuis une dizaines d'années, le climat économique au Portugal est favorable, ce qui représente un appel pour ceux qui ne sont pas satisfaits de leur situation en Suisse, tant sur le plan professionnel que personnel ou social.
Autre facteur jouant un rôle, selon Antonio da Cunha: les enfants. Une partie des migrants arrivés en Suisse il y a dix ou quinze ans décident de rentrer avant que leurs enfants ne deviennent trop âgés. «A partir du moment où ils s'intègrent pleinement à la société, ces derniers ne veulent plus quitter la Suisse», indique-t-il. «Partir dans ces conditions peut se révéler compliqué et créer des conflits».
Ces migrants sont également dans le viseur de leur pays d'origine, confronté au vieillissement croissant de sa population. En 2019, les autorités portugaises ont mis en place le programme «Regressar» pour stimuler le retour des jeunes migrants, prévoyant de nombreuses aides logistiques, économiques et fiscales.
«A mon avis, ce facteur joue un rôle marginal», commente Antonio da Cunha. «Dans la plupart des cas, les gens qui bénéficient de ces aides avaient déjà décidé de partir». Pour Liliana Azevedo, il s'agit avant tout d'un message politique, ayant une portée symbolique importante:
Ce n'est pas la première fois que de nombreux Portugais quittent la Suisse. Le solde migratoire entre les deux pays a déjà été négatif, entre 1996 et 2002. La faute à la crise financière de 1992, qui a durement frappé le secteur helvétique du bâtiment, où les Portugais étaient très présents.
Beaucoup de Portugais qui avaient une situation précaire au niveau de leur autorisation de séjour ont dû rentrer, explique Liliana Azevedo. «Même ceux disposant d'un permis C ont souvent préféré partir, car ils étaient venus en Suisse pour travailler. Se retrouver au chômage allait à l'encontre de leurs valeurs».
Comme aujourd'hui, le Portugal traversait un moment économiquement très positif, ce qui a créé un appel dans l'autre sens, ajoute-t-elle. La combinaison de ces deux facteurs a anticipé leur retour.
«En règle générale, quand il y a une crise économique profonde dans le pays d'accueil, un certain nombre de personnes rentrent au pays, tandis que d’autres décident de ne pas venir», complète Antonio da Cunha. Au vu de ce précédent historique, le président de la FAPS estime que ce que l'on observe aujourd'hui n'est pas «le grand retour au pays des Portugais de Suisse», contrairement à ce qui a parfois été évoqué dans la presse. «Ce n'est pas vrai», assure-t-il.
Liliana Azevedo estime également que parler d'un grand retour des Portugais de Suisse «est un peu exagéré». Elle remarque que des migrants qui décident de rentrer au pays, il y en a toujours eu. «Le retour n'est problématisé qu'à partir du moment où il devient évident sur le marché du travail, c'est-à-dire quand on constate un manque de main-d'œuvre», affirme-t-elle. «C'est ce qui se passe actuellement en Suisse, où l'on parle de pénurie depuis quelques années».