Lorsqu'on évoque la pénurie de logements, on pense immédiatement aux grandes villes. Pourtant, cette situation ne se limite pas aux centres urbains, bien au contraire. Depuis quelques années, les communes de montagne sont également frappées par ce phénomène.
Les derniers chiffres de l'Office fédéral de la statistique, relatifs au 1er juin 2024, le confirment: de nombreuses commues alpines affichent des taux de vacance presque nuls. C'est notamment le cas de Zermatt (0,4%), de Nendaz (0,3%) ou d'Hérémence (0,2%), en Valais. A Lenk (BE) et Trient (VS), il n'y a carrément plus aucun logement disponible. Les Grisons, le Tessin et l'Oberland bernois sont également touchés.
Comment en est-on arrivé là? Quelles raisons expliquent ce phénomène, et comment les communes concernées peuvent-elles réagir? Nous avons posé ces questions à Thomas Egger, directeur du Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB).
Peut-on affirmer qu'une pénurie de logements frappe actuellement les régions de montagne?
Thomas Egger: On parle de pénurie lorsque les logements vacants représentent 1% ou moins du total. De nombreuses communes de montagne connaissent des taux bien inférieurs, allant jusqu'à 0%. C'est clairement une situation de pénurie. Il n'y a tout simplement plus de logements disponibles.
Quand cette situation a-t-elle commencé?
Il s'agit d'un phénomène relativement nouveau, qui est apparu à partir du début des années 2020 et s'est aggravé avec la pandémie. Celle-ci a poussé beaucoup de personnes à s'installer dans des communes de montagne, soit de manière durable, dans des résidences primaires, soit plusieurs mois par année, dans des résidences secondaires.
Cette situation concerne-t-elle plutôt les résidences primaires ou secondaires?
Il y a une grande pression sur les deux. Comme la demande pour des résidences secondaires perdure et que la construction de nouvelles est interdite, il y a aussi une pression pour transformer des résidences primaires en résidences secondaires. La Lex Weber permet cette transformation pour les bâtiments construits avant 2012. Dans ce cas, des résidences primaires disparaissent du marché pour les autochtones.
Des plateformes telles qu'Airbnb jouent-elles un rôle?
Oui. Ce phénomène a connu une grande croissance ces dernières années. Il faut savoir qu'Airbnb a un effet positif sur les résidences secondaires, car il permet de transformer des lits froids en lits chauds. Le problème, c'est que de nombreuses résidences primaires sont également mises en location. Par conséquent, elles disparaissent du marché. Cette situation affecte surtout les communes touristiques, telles que Lauterbrunnen ou Veysonnaz.
Quelle est la conséquence sur les prix?
Les prix ont énormément augmenté, ce qui impacte d'abord les locaux. Cette situation inquiète notamment les jeunes: certains aimeraient rester, mais n'en ont pas les moyens, et risquent ainsi de quitter ces régions, souvent pour de bon
Dans beaucoup de communes de montagne, construire de nouveaux bâtiments n'est plus possible. Que peut-on faire, alors?
Il faut entre-autres mobiliser les bâtiments existants. Avec le vieillissement de la population, on constate que beaucoup de personnes âgées vivent dans des espaces surdimensionnés. Selon les calculs de Raiffeisen, jusqu'à 177 000 appartements pourraient être libérés en Suisse, si la population était mieux répartie.
Le phénomène est relativement récent. Comment les communes concernées réagissent-elles?
De manière souvent trop ponctuelle, en s'attaquant à un seul phénomène. Elles devraient faire un pas en arrière et analyser la situation dans sa totalité. De nombreuses communes ne disposent pas d'une stratégie de logement, tout comme la plupart des cantons. Cela est pourtant essentiel pour adopter des mesures adaptées.
Les cantons peuvent-ils contribuer?
Oui, ils peuvent jouer un rôle important, en encourageant par exemple les coopératives d'utilité publique. Elles sont très répandues dans les villes, et permettent de proposer des loyers à un prix abordable. Pourtant, on n'en trouve presque pas dans les régions de montagne.
Et les communes?
Elles ont beaucoup de marge de manoeuvre, notamment à travers les instruments d’aménagement du territoire. De nombreux exemples existent à ce sujet.
Pouvez-vous en citer quelques-uns?
Une piste consiste à fixer des quotas pour les résidences primaires. C'est ce qu'a fait la commune de Flims, dans les Grisons. Lorsque des logements sont détruits et reconstruits, au moins 50% de la surface utile principale doit être utilisée comme résidence principale. Cette obligation peut être compensée par une taxe, dont les recettes sont affectées à la promotion de la construction de résidences principales.
Cette pénurie frappe-t-elle également les travailleurs saisonniers?
Oui, mais, là aussi, des mesures sont possibles. La commune de Sumvitg, toujours dans les Grisons, a créé une zone réservée au logement du personnel touristique, limitée dans le plan d'aménagement territorial.
A Zermatt, les hôteliers sont désormais obligés de mettre à disposition des logements pour le personnel. Cette règle s'applique aux nouvelles constructions et aux extensions qui entraînent une augmentation de plus de cinq postes de travail.
C'est une mesure radicale...
Bien sûr, et Zermatt peut se le permettre, car il s'agit d'une station très réputée. Ce n'est pas forcément le cas d'une petite localité. La situation change d'un endroit à l'autre. Pour cette raison, chaque commune doit réfléchir à ses spécificités. On peut encourager l'échange d'expériences et montrer les pratiques existantes. Les communes peuvent ensuite choisir l'approche qui leur convient.