La plupart de la population suisse vit dans un logement en location. Selon les derniers chiffres de l'Office fédéral de la statistique, publiés le 17 février dernier, cela était le cas de près de 65% des ménages en 2023. La part de propriétaires ne s'élevait ainsi qu'à 35,8% - soit le taux le plus faible d'Europe.
En effet, à l'exception de l'Allemagne, les propriétaires représentent au moins la moitié de la population dans n'importe quel autre pays du continent, selon les données de l'Eurostat. En France, leur part atteint 63%; en Italie, elle est de 75%, tandis que dans plusieurs Etats de l'Est, ce taux dépasse même 80, voire 90%.
La Suisse est incontestablement une exception. Et ce, bien que beaucoup d'Helvètes souhaiteraient posséder leur propre logement, selon plusieurs sondages. «Le rêve d'être propriétaire reste très répandu en Suisse, bien que dans une moindre mesure par rapport à d'autres pays», analyse Harry Büsser, expert immobilier chez Comparis.
Et la raison est très simple: les prix sont très élevés. Selon Harry Büsser, il faut disposer d'un capital important et d'un revenu conséquent pour pouvoir acheter des logements, surtout dans les villes.
La pénurie de logements accentue ces difficultés. «En Suisse, nous ne construisons pas suffisamment», explique Harry Büsser. «Non seulement le terrain disponible est limité, mais les projets de construction suscitent également de très nombreuses oppositions». A Zoug, par exemple, il a fallu sept ans avant qu'un gratte-ciel de 80 mètres puisse être construit, à cause des recours que ce projet a générés.
Le fait que l'on soit de plus en plus nombreux ne facilite pas les choses. «Ces 20 dernières années, notre pays a connu une croissance démographique inégalée en Europe», renseigne Mathias Lerch, directeur du laboratoire de démographie urbaine de l’EPFL. «La population a augmenté de près de 1%, soit au moins le double du standard européen. C'est également du jamais vu en Suisse depuis les années 1960».
C'est notamment le cas des villes, qui attirent toujours plus de personnes. 80% de la population habite aujourd'hui en milieu urbain, contre 55% en 1975, rappelle Mathias Lerch. «Pour cette raison, les prix des biens immobiliers y sont plus élevés qu'à la campagne».
«Dans les zones rurales, ces biens sont un peu plus abordables et on compte davantage de propriétaires», lui fait écho Harry Büsser, tout en soulignant que la tendance est la même partout.
Deux autres phénomènes démographiques peuvent jouer un rôle, selon Mathias Lerch. Tout d'abord, la formation de la famille est retardée à un âge de plus en plus avancé. «A 30 ans, on n'a pas forcément besoin d'acquérir une propriété pour s'installer avec sa famille», commente-t-il. «Cela arrive plutôt à 35 ou 40 ans, ce qui veut dire qu'on reste locataire pendant plus longtemps».
Deuxièmement, l'espérance de vie a également beaucoup augmenté. Pour les femmes, cette dernière est passée de 76 à 85 ans entre 1970 et 2020. «Les parents, sur lesquels les jeunes doivent de plus en plus compter pour un soutien lors de l'achat d'une propriété, meurent plus tardivement», affirme Mathias Lerch. Et de compléter:
Le chercheur indique qu'il ne faut pas sous-estimer le rôle joué par l'héritage. De récentes études menées en France montrent que le taux de propriétaires chez les moins de 50 ans a fortement diminué, et tout particulièrement chez les jeunes de niveau socio-économique modeste. «Les personnes appartenant à une famille riche reçoivent souvent une aide parentale à l'acquisition du bien avant l'héritage», illustre Mathias Lerch. «Les jeunes modestes, qui ne peuvent pas compter sur cet appui, ont plus de peine à être propriétaires.»
Les prix et la démographie n'expliquent pas tout. Harry Büsser rappelle qu'il existe également un facteur culturel. «Le gouvernement suisse n'aide pas les personnes qui veulent acheter un bien immobilier», développe-t-il.
L'expert de Comparis évoque également la loi suisse, très stricte lorsqu'il s'agit de construire des immeubles. Cela n'est pas le cas partout.
«Les Suisses sont habitués à être locataires», déclare-t-il, d'autant plus que cette situation n'est pas une nouveauté. Et de conclure: «L'expérience culturelle du Suisse moyen est de louer, pas d'acheter. Pour cette raison, on ne vit pas trop mal le fait de n'être pas propriétaire».