La règle numéro une était pourtant claire. Facile à respecter. Ne jamais, jamais, JAMAIS, jamaiiiiiiiiiis ramener un chiot de l'étranger. Règle numéro deux? En particulier quand, par «étranger», vous entendez «Etats-Unis d'Amérique».
Il faut croire que les quantités gargantuesques de fast-foods, Froot Loops et autres saloperies industrielles interdites au sein de l'UE qu'on s'est enfilés au cours d'un séjour de plusieurs mois en Floride, l'automne dernier, avaient déjà eu des effets délétères sur nos neurones.
En octobre 2024, alors que la campagne présidentielle américaine est à bout touchant, nous avons l’idée désastreuse de flasher sur «Nugget». Un loulou de Poméranie pelucheux, blanc et chocolat (d'où son nom, un hommage à ces produits infâmes de la marque Hershey's), né trois mois plus tôt dans un élevage du Nebraska.
Première prise de contact avec Melissa, la propriétaire de l'élevage «Puppy's Play Pen», via FaceTime. Aux Etats-Unis, il est rarissime de pouvoir rencontrer son chien en personne avant d'avoir payé la facture. C'est comme ça. Les Américains ne rigolant absolument pas avec la protection de leur vie privée, ils n'apprécient que très modérément que d'illustres inconnus débarquent sur leur propriété.
Même si c'est juste pour s'assurer que le lien passe avec l'animal qu'ils supporteront pendant 10, 11, 12, voire peut-être 17 ans.
Il est assez courant de récupérer son animal dans un lieu public. Un couple de Français établi depuis plusieurs années à Miami nous avait raconté avoir adopté leur Jack Russell sur le parking glauque d'un centre commercial. Une fois le coffre de sa bagnole ouvert, le vendeur ne leur avait pas laissé d'autre choix que d'embarquer leur nouveau compagnon, sans plus de discussion.
Bonne ambiance.
La discussion avec Melissa achève d'entériner notre coup de foudre pour ce minuscule «Pomeranian» joyeux et frétillant, dont le prix défie toute concurrence (environ 1400 dollars, contre environ 3000 francs pour la même race en Suisse). Le calcul est vite fait. Notre retour à Lausanne est agendé environ trois semaines plus tard. Ce qui nous laisse, croyons-nous, le temps de nous envoler vers le Nebraska, de couvrir l'élection présidentielle du 5 novembre et de rassembler tous les documents nécessaires pour ramener notre petit protégé avec nous.
En théorie, exporter un chien des Etats-Unis vers la Suisse n'est pas sorcier. Il suffit de s'y prendre bien à l'avance, de se doter de toute la paperasse réglementaire et détaillée (beaucoup, beaucoup de paperasse) sur le site de la Confédération et de se tourner vers le bon vétérinaire - c'est-à-dire un professionnel reconnu par l'USDA, le Département de l'agriculture américain. C'est à lui qu'il incombe de doter le chien d'une puce, de faire tous les vaccins requis (rage, etc.) et de remplir un long et laborieux certificat, lui aussi également disponible en ligne.
Jusque-là, pas de problème. Une fois le paiement du chien effectué, Melissa l'éleveuse de loulous de Poméranie s'engage à remplir les papiers nécessaires auprès de sa vétérinaire. Des chiens, elle en a «déjà envoyé partout»: en Asie, en Allemagne, en Suède... Bref, elle connait la chanson. Nous voilà rassurés.
Le matin du 6 novembre, Donald Trump vient à peine d'être élu président que nous faisons la connaissance de «Nugget», un peu groggy par le jet vomi dans la voiture et les deux heures de route depuis sa ville natale du Nebraska.
Dieu merci, le feeling passe immédiatement. Aucun regret. Ce chien, bientôt rebaptisé «Wynwood», était destiné à quitter le Midwest pour venir s'établir à Lausanne. Enfin... jusqu'à ce que l’on comprenne que la fameuse vétérinaire de Melissa n'est en réalité pas agréée par l'USDA. Et que le certificat qu'elle nous a gentiment mis entre les mains est non seulement incomplet... mais nul.
On vous passe les détails, le stress, les larmes et les longues journées qui suivront pour tenter de dégoter désespérément un vétérinaire capable de rattraper le coup. Après un retour en urgence à Miami, au beau milieu de la panique, on ne peut s'empêcher de se poser la question:
Assis sur la plage de Miami Beach (où les chiens sont normalement interdits, ne nous dénoncez pas), on en vient à nous demander s'il ne vaudrait pas mieux pour cette petite bestiole qu'on la jette directement dans l'océan. Et nous avec.
Heureusement, une formidable vétérinaire de Miami nous rendra une fière chandelle en obtenant les validations du Département de l'agriculture et les documents nécessaires pour rentrer au pays... juste à temps. Le tout, moyennant 400 dollars - ça nous apprendra à vouloir économiser.
Une somme à laquelle il faut ajouter les 120 dollars pour pouvoir faire embarquer votre animal avec Swiss. Mieux vaut s'y prendre à l'avance - la compagnie aérienne exige d'être prévenue au minimum 72 heures à l'avance que vous souhaitez voyager avec un chien. A noter aussi qu'ils doivent respecter certains critères (poids, taille, etc.) pour être admis en cabine.
Une précaution que n'avait manifestement pas prise une autre propriétaire de chien, quelques semaines plus tard, dans un aéroport de Floride. Le 16 décembre 2024, alors qu'elle doit prendre un vol interne accompagnée de son chien, Alison Agatha Lawrence, 57 ans, est informée par les services de sécurité aériens de l'aéroport international d'Orlando qu'elle n'a pas les autorisations requises pour l'emmener avec elle dans l'avion, selon la chaîne locale WFTV-9.
Au lieu d'appeler un proche pour récupérer le chiot ou de réserver un autre vol, Alison Lawrence opte pour une autre solution. Brutale. Selon le rapport de police d'Orlando obtenu par le New York Post, la passagère aurait donc conduit son chien jusque dans les toilettes pour femmes, où elle le noie. Puis, elle saute dans son avion, comme si de rien n'était.
C'est un employé de l'aéroport qui retrouvera la dépouille du malheureux animal et alertera les autorités. La propriétaire n'a été arrêtée que ce mardi 18 mars, à Clermont, en Floride, et inculpée pour maltraitance animale. Elle a été libérée sous caution le jour même après avoir déboursé 5000 dollars, selon les archives de la prison du comté de Lake.
En ce qui concerne Wynwood, rassurez-vous. Le petit Poméranien n'a pas connu pareil destin. Après un ultime vomi dans le taxi (décidément), c'est un peu stone qu'il découvre l'aéroport de Miami - un lieu très friendly pour les chiens. Avant le décollage, un dernier pipi. Direction un petit local exigu et glauque, éclairé au néon, situé à côté des toilettes pour humains, et pourvu d'une pelouse en plastique dont on vous laisse imaginer l'odeur.
Bien à l'abri dans son sac, le loulou a effectué le voyage dans la cabine de l'avion, juste à nos pieds. Ce n'était probablement pas les dix meilleures heures de sa vie.
Arrivé à l'aéroport de Zurich, dernière montée de stress. Munis d'un dossier épais comme le poil de Wynwood, nous nous dirigeons vers le service des douanes. S'il manque le moindre truc, signature ou tampon officiel, notre chien est bon pour être renvoyé illico dans son pays d'origine. Si ce n'est directement euthanasié sur place.
Sous notre regard inquiet, la douanière feuillette le dossier, concentrée, sourcils froncés. Elle échange quelques mots avec son collègue dans un suisse-allemand barbare. On ne pige rien et son ton ne laisse rien deviner. Celui-ci finit par esquisser un hochement de tête. Avec un sourire en coin, la policière s'empare d'un tampon et le fait atterrir sur le dossier d'immigration de Wynwood - non sans nous réclamer, au passage, les 159 dollars de frais de douane qui vont avec.
Alors que le train nous ramène en territoire conquis, la Suisse romande, on peine encore à réaliser que cette petite boule de poils importée du Nebraska voit pour la première fois les Alpes défiler au loin, par la fenêtre, intrigué. Quelques heures plus tard, il goûtera avec un frisson ravi à ses premiers flocons de neige.
Morale de cette histoire? Prendre l'avion avec un chien, ça se prépare. Si vous souhaitez vous épargner du stress et quelques années de vie, respectez la règle numéro une. Et adoptez votre précieux compagnon non loin de chez vous.