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Réfugiée en Suisse, elle revient en Ukraine malgré les bombes

Nastya et ses 2 enfants ont vécu des jours heureux en Suisse, avant de rentrer en Ukraine malgré la guerre.
Nastya et ses 2 enfants ont vécu des jours heureux en Suisse, avant de rentrer en Ukraine malgré la guerre.

Réfugiée en Suisse, elle a préféré rentrer à Kiev malgré les bombes

Alors qu'elle était enceinte, Anastasiia Shemet a fui la guerre en Ukraine avec sa famille. Elle a trouvé refuge dans le canton de Vaud où elle a trouvé un petit paradis qu'elle s'est finalement décidée à quitter. Rencontre en Ukraine, autour d'un plat de fruits et de fromage suisse.
05.10.2025, 07:0505.10.2025, 14:36
Joel Espi / Kiev

Anastasiia Shemet vit sur une île. Mais ce n'est plus l'îlot de tranquillité et de paix qu'est la Suisse. Non, la maison occupée par ses parents, elle, et ses enfants, se situe sur une île du fleuve Diepr, au sud de Kiev. Là, le chant des oiseaux et le bruit de l'eau sont parfois interrompus par des explosions dans le ciel.

C'est la fin d'une belle journée de septembre. Nastya a préparé des assiettes avec des encas. Des fruits, de la viande et du fromage. «Il est suisse!», s'exclame-t-elle en montrant le plat du doigt. La trentenaire le clame, elle est amoureuse de la Suisse, et surtout de ses deux mets emblématiques, le fromage et le chocolat.

Assise dans sa cabane en bois, dans le jardin de la maison familiale, l'Ukrainienne pourrait parler des heures de raclette, ou de sa découverte, qui ne manque pas de m'étonner: on trouve des Kägi Fret dans certains magasins en Ukraine.

Et même des produits Migros, mais ça c'est une autre histoire

Mais ce qui m'intéresse, c'est comment Nastya vit la situation actuelle en Ukraine. Alors qu'elle est rentrée de Suisse depuis bientôt deux ans, les attaques de drones russes sévissent comme jamais.

Nous sortons d'un été où des milliers d'engins ont survolé le ciel ukrainien, où les morts de civils se sont comptées par dizaines. Alors, une question me taraude: regrette-t-elle son choix de quitter la Suisse pour revenir en Ukraine? Au début, comme à la fin de notre entretien, elle répondra la même chose:

«Il faut apprécier ce qui nous est donné sur le moment»

En résumé, Nastya travaille à son compte, elle ne se sent pas en danger, ses deux enfants et ses parents sont sains et saufs. Pour le reste, on verra bien.

Arrivée par hasard en Suisse

L'histoire entre Anastasiia Shemet et la Suisse a démarré au début de la guerre. Alors que les chars russes avaient débarqué dans la région de Kiev, en mars 2022, la femme d'à peine 30 ans était enceinte de son deuxième enfant. Elle résume:

«Je devais quitter Kiev, c'était dangereux pour nous»

C'était déjà la deuxième fois que Nastya fuyait. En 2014, avec ses parents, elle avait dû quitter la région de Luhansk, alors que la guerre du Donbass y faisait rage.

En 2022, elle a fui vers la Pologne, puis la Suisse. C'est là que sa nièce, qui avait étudié en Suisse romande, disposait de contacts pour un accueil de réfugiés ukrainiens.

Avec son mari et son fils, ils arrivent à Essertines-sur-Rolle, une commune vaudoise située dans les hauts de Rolle, au bord du Léman.

«J'ai rencontré beaucoup de Suisses qui voulaient aider»

C'est notamment le cas de Marie-Pomme Moinat. Désormais syndique d'Essertines-sur-Rolle, cette avocate engagée a mené sur les réseaux sociaux des campagnes de récolte de dons pour les réfugiés ukrainiens. C'est elle qui m'a mis en contact avec Anastasiia, avec qui elle entretient encore des liens amicaux.

Une maison avec vue

La réfugiée ukrainienne s'avoue chanceuse. Avec sa famille, elle s'installe dans une maison vigneronne vide, dans un cadre idyllique. Reconnaissante, Nastya raconte:

«Tous les matins en me levant, je regardais par la fenêtre et j'apercevais le lac Léman et le Mont-Blanc. Encore aujourd'hui, j'ai tous les jours cette image dans ma tête.»

Sans regret dans sa voix, Nastya parle de Ragusa, de Tête de moine - son fromage préféré. Elle me montre des photos, comme celle prise devant la fourchette plantée dans le Léman, à Vevey. Soudain, une explosion tonne dans le ciel. Je sursaute, tandis que la jeune femme reste inflexible, et continue son récit.

Après avoir quitté son pays, la première déchirure est survenue, car elle était éloignée du reste de sa famille.

«Je ne me sentais pas tranquille. J'avais peur pour mes parents, et aussi pour mon entreprise. Dans ma tête, j'essayais de trouver un équilibre entre ma vie paisible en Suisse et mes projets en Ukraine.»

Son entreprise, son «troisième enfant» comme elle l'appelle, c'est un projet de garderies privées. L'idée lui est venue durant le Covid, et désormais, elle gère deux lieux d'accueil pour enfants dans la capitale ukrainienne.

En Suisse, Nastya gère son affaire à distance, et voit les mois défiler. Elle finit par accoucher à la maternité de Morges. Le luxe absolu, raconte-t-elle:

«Là aussi, je voyais le Mont-Blanc et le Léman depuis ma chambre. Le personnel était très attentionné. Et tous les jours, un monsieur venait me demander ce que je voulais manger et le notait. C'était irréel.»

Le village se remplit d'Ukrainiens

La petite Milana est donc née en terre helvétique. Elle a été baptisée à l'église orthodoxe de Vevey. Le parrain et la marraine de sa fille sont d'autres réfugiés ukrainiens, des amis qu'elle a connus à Kiev.

Les enfants de Nastya ont vécu un an et demi dans le canton de Vaud.
Les enfants de Nastya ont vécu un an et demi dans le canton de Vaud.

Car, entre temps, le village d'Essertines-sur-Rolle est devenu une terre d'accueil pour d'autres réfugiés. Nastya a fait venir une famille d'amis depuis Kiev. Puis une autre famille est arrivée, et encore une quatrième.

Dima, le parrain de Milana se trouve encore en Suisse avec sa femme et ses enfants. Comme ce soir-là, il appelle régulièrement Nastya. Au téléphone, il raconte pourquoi revenir en Ukraine est pour lui hors de question:

«Nous ne voulons même pas penser à revenir en Ukraine. Ce n'est pas sûr là-bas»

Dima vient de Donetsk, une région qui a aussi connu la guerre du Donbass. Il a, comme Nastya, été contraint de fuir deux guerres. Deux terres. Désormais employé par une entreprise zurichoise, le père de famille vit sans aide de l'état helvétique, et lance:

«Nous ne voulons pas que nos enfants aient une quelconque expérience de la guerre. Cette période n'est vraiment pas facile, c'est même probablement la plus difficile en Ukraine.»

Pour l'heure, un retour est donc exclu pour Dima et sa famille.

Les trois familles arrivées après celle d'Anastasiia continuent ainsi leur chemin d'intégration dans le canton de Vaud. Un chemin aquel Anastasiia a finalement renoncé.

Trois familles ukrainiennes à Essertines-sur-Rolle

Réfugiée en Suisse, Nastya a été rejointe par des amis ukrainiens qui ont fui la guerre comme elle.
Réfugiée en Suisse, Nastya a été rejointe par des amis ukrainiens qui ont fui la guerre comme elle.

Car après la naissance de sa fille, et malgé le paradis où elle vivait, la jeune femme a commencé à ressentir le poids de la distance. Sans ses parents restés à Kiev, sans repères - de petites choses, comme une cuisine bien à elle -, la déprime s'est progressivement emparée d'elle. Elle résume ainsi:

«En Suisse, je ne savais plus qui j'étais»

Après un an et demi à Essertines-sur-Rolle, en octobre 2023, Nastya décide de rentrer en Ukraine. L'expérience s'avère très dure. Il y a les attaques russes, les black-out, les coupures de chauffage durant l'hiver.

Le retour a été douloureux

Et puis, il y a sa soudaine et mouvementé séparation avec son mari. La trentenaire accuse le coup, quitte son appartement du centre-ville et rejoint sa famille, qui la soutient. Et après une année «terrible», l'entrepreneure remonte progressivement la pente, et réapprend à vivre «chez elle».

A Kiev, toute la famille est fan de raclette
A Kiev, toute la famille est fan de raclette

Encore une explosion dans le ciel. Anastasiia Shemet appelle sa mère et lui demande si elle a rassemblé les enfants au rez-de-chaussée. C'est là que la famille se réfugie lorsque les attaques se font plus dangereuses. Mais pas question pour elle de courir dans les abris bétonnés. Elle explique:

«Depuis que je suis rentrée, je n'ai eu peur que deux fois, lorsque des missiles sont passés au-dessus de ma maison. Mais je ne pense pas que je pourrais supporter de me mettre à l'abri chaque nuit où il y a des attaques.»

Ne pas penser aux horreurs

Sa protection, son refuge, est d'ordre mental, c'est une bulle dans laquelle elle s'isole. «J'essaie de ne pas penser aux horreurs», explique-t-elle.

La Suisse garde une place spéciale dans son cœur. Pas seulement parce qu'elle a acheté un appareil à raclette (on en trouve aussi en Ukraine), mais parce que notre pays lui a permis une respiration, un coin de vie paradisiaque, auquel n'ont pas eu droit un grand nombre d'Ukrainiens.

Mais y retourner, retrouver la vue sur le Mont-Blanc et le Léman, elle ne l'envisage que dans les moments de grand malheur. Elle confie:

«Je sens que, maintenant, ma place n'est pas en Suisse»

Comme ses meilleurs amis ukrainiens vivent en Suisse, elle leur a rendu visite, durant 10 jours cet été. De quoi revenir les bras chargés de Ragusa, de fromage à raclette, et de belles images qu'elle conservera précieusement dans sa tête, pour les jours plus sombres.

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