Suisse
Interview

Primes maladie 2024: «Les élus votent des mesures coûteuses»

Interview

Primes maladie: «Les élus votent des mesures coûteuses, puis se plaignent»

C'est presque une certitude: les primes vont fortement augmenter en 2024. Pius Zängerle, directeur de l'association d'assureurs Curafutura, se défend contre la politique, les autorités et les hôpitaux. Interview.
02.09.2023, 16:2926.09.2023, 16:53
Anna Wanner / ch media
Plus de «Suisse»

Les derniers chiffres de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) interpellent: au deuxième trimestre, les coûts de la santé ont augmenté de manière inhabituelle dans presque tous les domaines. Pour Pius Zängerle, directeur de l'association d'assurance maladie Curafutura, les causes de cette évolution sont claires.

Pius Zängerle, de Curafutura.
Pius Zängerle, directeur de Curafutura.Image: Chris Iseli/THE

Les coûts augmentent actuellement bien plus que prévu. Comment l'expliquer?
Pius Zängerle: Cette augmentation n'est pas inattendue. Ces dernières années, la politique a décidé d’ajouter de nombreuses prestations à la charge de l'assurance de base obligatoire.

«Cela se répercute maintenant sur les coûts et sur les primes»

Où exactement?
Prenons l'exemple des psychologues, qui travaillent désormais selon le modèle de la prescription et peuvent facturer leurs prestations via l'assurance de base. Auparavant, ils étaient directement subordonnés à un médecin, alors qu'ils travaillent désormais de manière indépendante sur prescription du médecin. Il était clair dès le départ, et nous l'avions d'ailleurs indiqué, que les coûts passeraient de l'assurance complémentaire et du paiement personnel à l'assurance de base. C'est ce qui est en train de se produire. Les primes doivent couvrir ces coûts plus élevés.

Cette décision paraît juste. Il fallait donner plus de compétence aux psychologues et décharger les psychiatres.
Oui, sur le principe, le changement est juste. Mais il y a de grandes lacunes dans la mise en œuvre. Nous avons souligné que les possibilités des psychologues devaient être clairement limitées. Par exemple, le nombre d'heures de traitement par patient jusqu'à ce qu'une ordonnance du médecin soit à nouveau nécessaire.

«La politique et l'administration n'en ont pas tenu compte et ont décidé à la place d'augmenter les prestations»

Vous n'avez pas réussi à faire entendre vos avertissements?
Notre position est particulière. Nous sommes d'abord les lanceurs d'alerte, puis les auxiliaires de la politique et de l'administration. Et à l'automne, c'est à nous qu'il reviendra d'annoncer les mauvaises nouvelles quand les primes augmenteront. Ce contre quoi nous avions mis en garde.

Comment arrêter cela?
Les choses continueront ainsi tant que les politiciens décideront en cours d'année de mesures qui engendrent de nouveaux coûts, et se plaindront ensuite de septembre à novembre de l'augmentation des primes.

Les derniers chiffres de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) montrent que les prestataires de soins qui peuvent désormais facturer eux-mêmes leurs prestations à l'assurance maladie génèrent davantage de coûts: la podologie et la psychologie. Est-ce une erreur d'accorder plus de compétences parce que cela entraîne plus de coûts?
Non, pas nécessairement. L'habilitation des podologues, par exemple, est tout à fait judicieuse et peut également permettre de réaliser des économies. Mais il faut pour cela des conditions-cadres adéquates et renoncer à une extension des prestations. Les problèmes sont toutefois différents selon les groupes professionnels.

Par exemple?
Les physiothérapeutes travaillent depuis longtemps sur le modèle de la prescription. La raison de l'augmentation des coûts dans ce domaine est d'une part la bonne prestation qu'ils fournissent et, par conséquent, la forte demande de traitements conservateurs. Parallèlement, un tarif contenant d'importantes incitations inopportunes est en vigueur depuis 2018. Nous avons également mis en garde contre cela dès 2017. En vain.

Quelles sont ces incitations inopportunes?
D'une part, il y a le nombre de séances qui sont prescrites: il y en a trop, et elles sont généralement épuisées par les physiothérapeutes - indépendamment du fait qu'elles soient encore nécessaires. D'autre part, il y a aussi des positions tarifaires dont le contenu n'est pas clair: un traitement peut durer 25 minutes, mais le thérapeute en facture presque 50.

«Cela se traduit par une croissance excessive des coûts»

Toujours est-il que la physiothérapie ne représente qu'une petite partie des coûts totaux.
C’est vite dit! Mais c'est bien la somme de ces 3%, 7% ou 8% par groupe professionnel que les payeurs de primes doivent financer au final. En physiothérapie, il s’agit de 1,3 milliard de francs. Cela représente environ 4% des dépenses de l'assurance maladie obligatoire. Mais, surtout, les coûts sont passés en dix ans de 600 millions à 1,3 milliard de francs par an. C'est une croissance galopante.

Le Conseil fédéral a maintenant annoncé la modification du tarif. Les physiothérapeutes eux-mêmes ont pourtant récemment insisté sur ce point. Ils se plaignent d'être sous-payés.
Malheureusement, les efforts pour de nouvelles négociations avec l'association des physiothérapeutes n'ont pendant des années pas porté leurs fruits. L'OFSP a attendu trop longtemps, alors que la forte évolution des coûts était prévisible. La correction est importante, certes, mais elle intervient bien tard.

Les coûts augmentent dans tous les domaines, pas seulement ceux de la physiothérapie et de la psychologie. Le secteur stationnaire en est un exemple. Pourquoi ne parvient-on pas à maîtriser les coûts?
Des raisons très différentes expliquent cette situation. Pendant des années, le secteur stationnaire a connu une faible croissance, voire un recul par moments, en raison d'un transfert des prestations médicales vers le secteur ambulatoire, voulu par la politique. Le fait que les coûts stationnaires aient récemment augmenté de 5,4% est pour moi l'expression d'une progression à froid.

«En d'autres termes, les hôpitaux conservent des tarifs constants, mais augmentent le volume de prestations et font payer les cantons et les assureurs»

Ils ont eux-mêmes donné un indice en annonçant qu'ils étaient sous-financés à hauteur de 30% dans le domaine ambulatoire. Aujourd'hui, ils augmentent à nouveau leur chiffre d'affaires avec les prestations stationnaires.

C'est l'un de vos thèmes centraux: le financement uniforme des soins ambulatoires et stationnaires devrait résoudre le problème.
Oui, car les mauvaises incitations dans le domaine des soins médicaux de base ne sont pas résolues. La réforme du financement uniforme est retardée et repoussée depuis des années. Elle est mûre depuis quatre ans, et même le conseiller fédéral Alain Berset affirme qu'il s'agit d'une réforme de la santé importante et judicieuse, qui offre un potentiel économique et qui, surtout, fixe correctement les incitations. Parallèlement, nous travaillons depuis des années à une réforme du tarif médical afin d'éliminer les mauvaises incitations dans la tarification.

«Mais là aussi, les choses n'avancent qu'à petits pas»

Cela pourrait freiner les coûts?
Tant que nous ne remédierons pas aux principales incitations inopportunes en matière de tarification et de financement, personne ne doit s'étonner qu’il y ait une suroffre en prestations, car les traitements sont particulièrement rentables. Mais nous risquons en même temps de tomber dans une situation de sous-approvisionnement parce que certaines prestations ne sont pas rentables. En ce qui concerne le taux de couverture des prestations ambulatoires, la Suisse est, encore une fois, loin d'être championne du monde.

Sur le plan politique, il n'y a pas eu que de l'immobilisme. Avec la réglementation de l'admission des médecins, la politique a donné aux cantons un instrument leur permettant de gérer l'offre.
Les mesures doivent être examinées individuellement. Améliorent-elles le système de santé? Ou renforcent-elles simplement la bureaucratie? Car la limitation des admissions des médecins, par exemple, existait déjà auparavant. Elle est simplement devenue plus compliquée. Cela n'a pas eu pour conséquence de l'améliorer ou de la rendre moins chère.

Une poussée des primes à l'automne donnera du grain à moudre aux revendications radicales: ralentissement des coûts, assurance minimale, etc. Va-t-il enfin se passer quelque chose?
Il faut se demander si ces propositions améliorent le système ou si elles permettent avant tout d'attirer des électeurs. Nombreuses d’entre elles vont tellement à l'encontre d'un système fonctionnel qu'il n'y a rien de bon à en attendre, tout au plus des discussions houleuses lors de la prochaine législature.

Alors que peut-on faire?
Adopter enfin les grandes réformes qui sont presque prêtes à être mises en place. Il s'agira ensuite d'observer leurs effets. Il faut cependant modifier le système avec prudence. Car en termes de performance, la Suisse est un cas unique. Mais le système est actuellement très coûteux. Il faut donc thématiser les coûts de manière conséquente, mais toujours en lien avec les prestations.

Cela semble raisonnable. Seulement, le traitement progressif du système n'a jusqu'à présent conduit à aucune amélioration. Ne faudrait-il pas un changement radical? Un pilotage national du système?
Cela ne pourrait jamais être mis en œuvre en Suisse. Nous sommes condamnés à améliorer un bon système, c'est-à-dire à éliminer les incitations inopportunes. Une réforme radicale ne serait guère soutenue par la population.

«En effet, la majorité de la population est satisfaite des soins, des prestations et de son assureur maladie»

Même si les primes augmentent à nouveau fortement?
Il y aura alors des débats animés et, le cas échéant, de nouvelles initiatives. Mais il faudra attendre des années avant que cela ne débouche sur quelque chose.

Une planification nationale des soins dans les grands établissements hospitaliers serait sans doute utile.
Nous parlons depuis longtemps d'une planification de l'approvisionnement de tous les établissements coûteux.

«Pourtant, en Suisse, tout le monde s'accorde depuis longtemps: nous avons trop d'hôpitaux»

D'un côté, les hôpitaux et d'autres groupes professionnels réclament une augmentation de 5 à 10% du prix de leurs prestations et, de l'autre, on constate l'augmentation des primes: il est impossible de concilier ces deux éléments. A moins que les responsables de la planification de ces soins ne se posent enfin la question: pouvons-nous encore nous le permettre? Ou bien ne devrions-nous pas engager la réforme structurelle de l'offre médicale, annoncée depuis longtemps?

Faut-il donc un changement?
Pour cette réforme, nous n'avons pas besoin de bouleverser le système de santé suisse. C'est déjà possible aujourd'hui. Et c'est en train de se produire. Par exemple en Suisse centrale, où la coopération entre les hôpitaux fonctionne de mieux en mieux. Saint-Gall a même réussi à fermer quatre hôpitaux.

Que faut-il pour qu'une telle décision soit prise?
Lorsque l'argent manque et que les moyens ne suffisent plus, les cantons eux-mêmes en viennent à la conclusion de franchir cette étape difficile.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

Vous avez mérité des photos de lapins fluffy:
1 / 13
Vous avez mérité des photos de lapins fluffy:
source: imgur
partager sur Facebookpartager sur X
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Loi sur l'électricité: l’UDC s'indigne des dons des géants de l'énergie
Les grands groupes électriques suisses appartiennent aux cantons, et donc à la population. Leur soutien financier en faveur de la loi sur l'électricité dérange l'UDC.

Le 9 juin, la nouvelle loi sur l'électricité sera soumise au vote. Le Conseil fédéral et le Parlement veulent ainsi garantir l'approvisionnement de la Suisse en énergies renouvelables. Une large alliance de tous les partis, à l'exception de l'UDC, soutient le projet, tout comme les grandes associations environnementales et économiques.

L’article