Suisse
Guerre contre l'Ukraine

Bürgenstock: «L'Occident ne tient pas ses promesses»

The logo of the peace conference is pictured ahead of the Buergenstock conference at the Buergenstock Resort on Thursday, 13 June 2024. A Ukraine peace conference with over 90 delegations from all ove ...
La conférence de paix aura lieu au Buergenstock Resort ce week-end. Image: KEYSTONE EDA POOL

«L'Occident ne tient pas ses promesses et cela sape sa crédibilité»

Ce week-end, de nombreux chefs d'Etat négocient la paix en Ukraine au Bürgenstock. Le célèbre historien Jörn Leonhard explique ce que l'on peut attendre de ce sommet et pourquoi il est dangereux d'avoir trop d'attentes.
16.06.2024, 07:08
Michael Graber / ch media
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Lorsque l'on se penche sur l'histoire des guerres, le début est toujours concret, mais le retour à une situation de paix est plus difficile à définir. Il semble presque survenir de manière incidente.
Il est beaucoup plus facile de définir le début des guerres que leur fin. Il suffit de penser à la défenestration de Prague, l'attentat de Sarajevo ou l'invasion de l'Ukraine. La fin d'une guerre, en revanche, est souvent confuse et morcelée. En Europe de l'Est, la Première Guerre mondiale s'est terminée dès 1917 à certains endroits, alors qu'en Europe du Sud-Est, elle s'est prolongée jusqu'en 1923.

«Nous avons une idée de ce qui caractérise un début de guerre, mais il est beaucoup plus compliqué de répondre à la question de savoir ce qui caractérise la paix»

Est-ce la fin de la violence militaire? Est-ce la signature d'un traité d'armistice? Ou faut-il des générations pour que les images de l'ennemi disparaissent des esprits?

Jörn Leonhard, historien
Jörn Leonhard, historienImage: Université de Fribourg

Les accords de paix qu'on peut énumérer sont généralement ceux où l'un des deux camps a perdu. Faut-il que quelqu'un gagne pour qu'il y ait la paix?
Si une guerre se termine par une grande bataille, il est fort probable que l'on puisse également y mettre fin rapidement sur le plan politique.

«Dans l'histoire moderne, de telles grandes batailles décisives sont toutefois l'exception»

Les longues guerres qui débouchent sur une impasse militaire et pour lesquelles il n'y a pas de médiateur fort posent d'énormes défis aux artisans de la paix.

Les guerres courtes n'existent presque plus. Pourtant, au début de la guerre, l'agresseur souligne généralement qu'il parviendra à vaincre l'ennemi en quelques jours ou semaines.
Dans les situations de conflit, les forces armées tirent une partie de leur légitimité de la promesse qu'elles sont en mesure de mettre fin à une guerre de manière efficace et rapide grâce, à une meilleure technologie, une meilleure tactique et un meilleur moral. Ce paradigme se répète régulièrement depuis le 19e siècle, et il échoue tout aussi régulièrement. Le théoricien de la guerre prussien Carl von Clausewitz l'avait déjà écrit il y a plus de 200 ans: toute guerre réalisée se distingue fondamentalement de toute guerre planifiée.

Les promesses de guerres courtes servent-elles aussi à stimuler les bonnes volontés dans son propre pays?
Cela y contribue certainement. Mais il y a aussi le désir de nombreux politiciens de trouver une solution rapide. Le passage à une guerre longue demande de répondre à de nombreuses questions compliquées.

«Comment réussir la conversion de l'industrie à une économie de guerre?»

Comment assurer une répartition équitable des victimes et des charges? Face à ces défis, il est naturel de croire d'abord les militaires qui promettent une fin rapide, car cela permet d'éviter de devoir répondre à ces questions pénibles, du moins pour un moment. Dans de nombreux cas, l'échec des services de renseignement s'ajoute à cela. Y compris en Ukraine, où la capacité de résistance de l'adversaire a été clairement sous-estimée.

En Ukraine, nous assistons actuellement à une impasse militaire, la solidarité s'effrite à l'Ouest, la Russie semble également être sur la bonne voie sur le plan économique, malgré les sanctions occidentales. La paix pourrait-elle survenir?
De quelle paix parle-t-on? Si le soutien concret de l'Occident s'amenuise, l'Ukraine devra faire des concessions unilatérales dans l'espoir de satisfaire l'agresseur, par exemple en cédant des territoires et en renonçant à l'adhésion à l'Otan. Autrement, dans la situation actuelle, la Russie n'aurait pas d'intérêt à conclure un accord de paix.

Faire des concessions, c'est signaler sa faiblesse?
C'est un problème fondamental qui se pose lorsqu'on réfléchit à un processus de paix. L'exemple le plus connu est le conflit entre Rome et Carthage. Les Carthaginois faisaient de plus en plus de concessions dans l'espoir d'atteindre la paix, mais ces mêmes signaux renforçaient l'agressivité des élites romaines, qui pensaient pouvoir aller toujours plus loin dans leurs exigences. Au bout du compte, cela a mené à la destruction d'une Carthage sans défense. Ou prenez les concessions que le Royaume-Uni et la France ont fait à l'Allemagne nazie à la fin des années 1930.

«Hitler les a interprétées comme un signe qu'il pouvait aller beaucoup plus loin»

L'Europe devrait-elle faire plus pour l'Ukraine?
En premier lieu, l'Occident devrait tenir les promesses faites à l'Ukraine. L'approvisionnement suffisant en munitions en fait partie. Ne pas tenir de telles promesses malgré le risque évident est catastrophique, car cela sape la crédibilité de l'Occident. Et cela conduit les gens en Ukraine à se sentir abandonnés. On risque ainsi d'affaiblir la volonté de résistance dans le pays. Le momentum pourrait ainsi basculer encore plus du côté de la Russie.

Y a-t-il tout de même des signes positifs pour l'Ukraine?
En Occident, on misait sur un effondrement de l'économie russe ou sur une lassitude croissante de la population face à la guerre, voire sur une opposition anti-Poutine. Mais jusqu'à présent, malgré un nombre énorme de victimes, il n'y a pas eu de telles érosions. Avec la venue des élections en Europe et aux États-Unis, le temps joue actuellement en faveur de Poutine, et le soutien varie occidental considérablement d'un Etat à l'autre.

«Dans les semaines à venir, Poutine tentera peut-être de montrer la faiblesse relative des Ukrainiens en lançant des offensives surprises»

Ce faisant, il spécule sur le fait que les Etats-Unis et l'Europe mettront plus de pression sur Volodymyr Zelensky pour qu'il fasse des concessions.

Ce week-end a lieu le sommet de la paix au Bürgenstock. A-t-il un sens au vu de la situation en Ukraine?
Lors de telles conférences, il ne s'agit pas uniquement de ce qui est présenté à la fin, lors de la conférence de presse, et qui figure dans la déclaration. Le travail en coulisses est bien plus important, c'est-à-dire l'exploration informelle des positions, la recherche d'interlocuteurs potentiels en Russie et de canaux de communication sûrs. Pour cela, la Russie n'a pas besoin de participer officiellement.

«Dans ce sens, cette conférence ne sert pas à atteindre la paix, mais plutôt à initier la fin de la guerre»

Il faudra toutefois attendre encore longtemps avant d'en arriver là. La recherche d'une solution de paix présuppose que les acteurs se connaissent et se parlent.

Pourquoi?
Même si l'on parvenait à stopper l'agression russe et à obtenir la fin de la violence militaire, l'histoire ne serait de loin pas finie. A ce moment-là, on assisterait à un concert dissonant dans lequel l'Occident devrait s'entendre sur une position commune. La Hongrie, par exemple, a des attentes très différentes de la Pologne en matière de paix.

«Comment aborder la question des territoires occupés? Que se passe-t-il au niveau des crimes de guerre? Qui paie la reconstruction?»

Plus on a abordé ces sujets compliqués avant la fin d'une guerre, plus la probabilité de clarifier les positions en amont est élevée.

Cela sonne comme une mise en garde contre des attentes trop grandes.
Une conférence n'a de sens que si elle n'est pas surchargée d'attentes.

«La paix est un processus, pas un instantané»

Concrètement, la conférence s'adresse plutôt à l'Occident. Quels sont les gouvernements qui sont vraiment prêts à soutenir efficacement l'Ukraine en lui fournissant des armes et des munitions?

Il s'agit donc plutôt d'une conférence de paix où l'on négocie du matériel de guerre?
C'est en tout cas une occasion importante de le faire. Mais d'autres thèmes seront abordés en petit comité. Par exemple: qui est prêt à s'engager à long terme dans la région après la fin du conflit?

Quelles sont les options à disposition?
Il est probable que le gouvernement américain, qu'il soit dirigé par Trump ou Biden, fasse porter la plus grande responsabilité aux Européens. Après que les Etats-Unis ont aidé l'Ukraine pendant la guerre, les Européens devraient prendre en charge la sécurisation de l'architecture d'après-guerre, par exemple avec une sorte de plan Marshall pour l'Ukraine. Cela devrait être un moment de vérité pour l'Europe.

Nous avons parlé de l'effet potentiellement fatal des concessions. La conférence du Bürgenstock n'en est-elle pas déjà une? Après tout, la Suisse l'organise sur invitation de l'Ukraine.

«Je pense que Volodymyr Zelensky veut démontrer que l'Ukraine serait prête à faire la paix à des conditions honnêtes»

En ce sens, la conférence s'adresse moins à la Russie qu'à l'Europe et aux Etats-Unis. Il s'agit d'attirer l'attention internationale sur l'Ukraine. Dans les semaines et les mois à venir, l'Europe et l'Amérique seront surtout préoccupées par elles-mêmes dans le contexte des élections. Il est donc important de mettre une nouvelle fois l'accent sur cette guerre.

Cette conférence aurait-t-elle pu se tenir n'importe où? Ou était-il important qu'elle ait lieu en Suisse?
Depuis le 19e siècle, la Suisse s'est fait un nom en tant qu'organisatrice de telles conférences internationales. Elle est considérée comme crédible, neutre et dispose d'une grande expérience dans l'organisation de sommets diplomatiques. Dans ce domaine, la Suisse est en quelque sorte l'étalon-or sur lequel tous les participants peuvent compter.

Mais la Suisse a aussi repris toutes les sanctions contre la Russie.
A vrai dire, la Suisse est, elle aussi, plutôt du côté de l'Ukraine. Mais en même temps, elle n'est pas membre de l'Otan et ne poursuit pas ses propres intérêts militaires, politiques ou même territoriaux. La Suisse dispose d'un statut de médiateur diplomatique qui se fonde sur l'impression de son désintérêt.

«En ce sens, il était important que cette conférence ait lieu au Bürgenstock et non dans un autre pays»

En fait, l'Ukraine a surtout besoin d'un médiateur dans le conflit, et cela ne peut pas être la Suisse.
Dans les guerres modernes, les médiateurs ne doivent pas seulement être de bons diplomates et de bons hôtes. Ils doivent également disposer d'un mandat robuste, c'est-à-dire être militairement en mesure d'appliquer des dispositions concrètes. Lors de la guerre en Yougoslavie, par exemple, les diplomates américains ont clairement fait savoir que les Etats-Unis étaient prêts à appliquer l'accord de Dayton, même par la force militaire si nécessaire. On peut être partagé sur les conséquences à long terme de l'accord, mais l'épuration ethnique et la violence massive immédiate ont tout de même été stoppées.

Dans le conflit ukrainien, qui pourrait faire office de médiateur?

«C'est ce qui m'inquiète le plus, car je ne vois personne qui pourrait assumer cette position actuellement»

Contrairement à d'autres conflits, les Etats-Unis n'ont pas ici de position de médiateur. Et la Chine ne peut pas l'être en raison de son soutien à la Russie. Le Brésil et l'Inde aspirent à un tel rôle, mais on peut se demander s'ils sont en mesure, politiquement et surtout militairement, d'imposer un traité de paix.

«Un médiateur doit être prêt à s'engager à long terme dans une région en conflit»

Sans l'engagement des Etats-Unis en Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale, une paix stable en Europe n'aurait guère été possible. A cela s'ajoute un autre problème: après 1945, de moins en moins de guerres se terminent encore par un traité de paix contraignant en droit international. De plus en plus de guerres se terminent par des armistices fragiles, qui peuvent être rompus à tout moment. Le seuil de la poursuite de la violence s'abaisse ainsi, notamment dans les guerres civiles de plus en plus nombreuses.

Le Proche-Orient est aussi en guerre. Malgré la situation inextricable, la paix y semble, d'une certaine manière, plus tangible qu'en Ukraine. Comment l'expliquez-vous?

«Cette région a des décennies d'expérience en matière de conflits»

De plus, la zone est beaucoup plus facile à gérer, de sorte qu'il serait beaucoup plus simple de mettre en place une zone tampon sécurisée au niveau international – même la faible infrastructure des Nations unies suffirait. En Ukraine, il faudrait beaucoup plus de forces de maintien de la paix pour créer une telle zone. Et enfin, il existe un plan de paix concret pour le Proche-Orient avec la solution des deux Etats, donc il y a un point de repère sur lequel on peut discuter.

Pourquoi ce conflit ne s'est-il pas encore aggravé? Au début, le Hezbollah et l'Iran ont pourtant proféré de nombreuses menaces.
Au Proche-Orient, le principe de dissuasion a suffi jusqu'à présent. Les Américains ont envoyé deux porte-avions dans la région et ont fait naviguer un sous-marin nucléaire en plein jour dans le canal de Suez. Cela a clairement signifié à l'Iran qu'il ne fallait surtout pas qu'il intervienne davantage dans le conflit. Jusqu'à présent, cela a plus ou moins fonctionné – ce qui ne signifie pas que nous puissions nous y fier à long terme.

Quand je m'imagine la paix, j'en ai une image très romantique. Deux enfants qui se disputent violemment, puis jouent joyeusement ensemble deux minutes plus tard. Mais une telle paix n'existe pas dans la réalité de la guerre, n'est-ce pas?
Ce que nous entendons par paix a considérablement évolué au cours des 200 dernières années. Pendant longtemps, la paix signifiait simplement l'absence de violence militaire. Mais depuis le siècle des Lumières, le terme a été de plus en plus valorisé. Depuis la fin du 19e siècle, et surtout après 1918 et 1945, la paix est de plus en plus synonyme de normes internationales de droit international, de justice envers les victimes et de stabilité sociale et politique – il suffit de penser au nouvel instrument de la justice pénale internationale et à la poursuite des crimes de guerre.

«Mais les attentes en matière de paix augmentent également»

Souvent, un accord de paix ne peut pas faire tout cela. Projeter trop d'espoirs dans une paix augmente le risque de désillusion et de basculement dans de nouveaux révisionnismes. C'est ainsi qu'après la Première Guerre mondiale, la paix a été rapidement dépassée et s'est avérée être un armistice fragile à la fin des années 1930.

Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci

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