Basée à Lausanne, Illumove SA est une société-écran célèbre à travers le monde. Elle aurait permis à Mohammad Abedini, 38 ans, de fournir des composants pour les systèmes de navigation des drones de combat aux Gardiens de la révolution iraniens.
Selon des informations américaines, trois soldats américains ont été tués en Jordanie en janvier 2024 avec l'un de ces engins.
Depuis décembre 2024, Abedini, mais aussi sa société Illumove, figurent sur une liste de sanctions publiée par Washington. L'entrepreneur, qui fait l'objet d'un signalement international, est accusé de contourner les sanctions et de soutenir les Gardiens de la révolution, considérés comme une organisation terroriste par certains pays.
Une affaire détonante qui pose problème aux autorités vaudoises, mais aussi dans la Berne fédérale. Les premières tentent ainsi de rayer l'entreprise sanctionnée de leur registre du commerce:
Cet article du Code des obligations traite des manques à pallier dans l'organisation d'une société. Si celle-ci n'a par exemple plus de conseil d'administration ou d'adresse légale, l'office peut intervenir en demandant de remédier à la situation. Dans le cas contraire, un tribunal peut ordonner la dissolution de la société.
L'agent iranien présumé est le seul administrateur d'Illumove. Il a été arrêté en décembre à l'aéroport de Malpensa à Milan, alors qu'il était en route pour Lausanne depuis Istanbul. Il a ensuite passé quelques semaines en détention en Italie. Les Etats-Unis ont demandé l'extradition de celui qu'ils qualifient comme un «homme très dangereux».
Mais à la mi-janvier, le gouvernement Meloni a relâché Abedini et l'a mis dans un avion pour Téhéran dans le cadre d'un échange. Trois jours après l'arrestation, ces derniers avaient en effet appréhendé la journaliste italienne Cecilia Sala. Le but: obtenir la libération de leur propre ressortissant. Indirectement, les Iraniens ont ainsi fourni la preuve qu'Abedini œuvrait pour leur compte.
Aujourd'hui, il est donc de retour à Téhéran, mais sa société suisse, qui figure en outre sur une liste de sanctions américaines, reste en activité. Il pourrait même continuer à l'utiliser, en théorie. Et selon les médias italiens, Mohammad Abedini dispose toujours d'un permis de séjour suisse valable. Ce que le canton de Vaud ne confirme pas, au nom de la protection des données.
L'Iranien a travaillé à l'EPFL jusqu'en 2022, en tant que postdoctorant. En 2019, il a créé Illumove - domiciliée sur le site du parc d'innovation - avec un collègue et avec le soutien de l'Ecole polytechnique. L'entreprise dispose d'un capital-actions de 100 000 francs, qui pourrait provenir des Gardiens de la Révolution. Elle poursuit un objectif de recherche et de production dans le domaine de la construction mécanique et de l'électrotechnique. Le cofondateur a quitté le projet à cause d'un différend, un an après les débuts.
Malgré ces révélations, le parc d'innovation de l'EPFL n'a pas encore fait radier la domiciliation d'Illumove. En tout cas pas pour le moment, d'après le registre du commerce. Notre sollicitation par mail sur les raisons de cet immobilisme est restée sans réponse à ce jour.
Alors, Abedini refera-t-il surface en Suisse? Il est sous le coup d'un mandat d'arrêt international émis par les Etats-Unis, où il risque une longue peine de prison. Reste à savoir si la Suisse l'arrêterait le cas échéant. Ou si Berne préférait y renoncer, après la déconvenue italienne.
D'autant plus qu'il y a quelques semaines, un citoyen suisse a trouvé la mort dans une prison iranienne. L'homme était un «espion» selon l'Iran, et se serait suicidé. Mais le Ministère public de la Confédération a ouvert une procédure. Et le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a exigé des explications du vice-président iranien lors du WEF.
Abedini, sera-t-il arrêté s'il passe la frontière? Ingrid Ryser, porte-parole de l'Office fédéral de la justice (OFJ), répond succinctement:
Une ancienne connaissance, elle aussi de nationalité iranienne, croit notre homme capable de venir en Suisse:
Lausanne est connue pour accueillir un grand nombre d'étudiants iraniens. En 2023, selon un reportage de la RTS, 230 ressortissants étaient inscrits à l'Unil et à l'EPFL. Selon le Canton, environ 1400 Iraniens vivent actuellement légalement sur le sol vaudois. Ce chiffre n'inclut pas les binationaux.
La plupart des exilés sont des opposants au régime de Téhéran, de même que la plupart des étudiantes et étudiants. Tous ont peur. L'ensemble des personnes interrogées ont indiqué être «surveillées par les autorités iraniennes». Celles qui rentrent tout de même en Iran risquent la prison ou la mort.
Mais il y a aussi manifestement des agents et des informateurs à Lausanne. Mohammad Abedini bénéficie comme n'importe qui de la présomption d'innocence.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)