Mohammad A., 38 ans, chercheur post-doctorant à l’EPFL, est accusé par les autorités américaines d’avoir orchestré l’acquisition de technologies américaines pour les drones des Gardiens de la révolution iraniens. Selon un acte d’accusation du tribunal fédéral du Massachusetts, il aurait comploté pour contourner les sanctions et soutenir l'organisation terroriste internationale, causant plusieurs morts.
Trois soldats américains auraient ainsi été tués le 28 janvier 2024 lors d’une attaque de drones iraniens en Jordanie, qui a blessé 47 autres personnes.
Le drone en question, selon la police fédérale américaine, était équipé du système de navigation Sepher, fourni par l’entreprise iranienne Sanat Danesh Rahpooyan Aflak (SDRA). Mohammed Abedini est le cofondateur et PDG de cette entreprise.
Le 16 décembre, Mohammed Abedini a été arrêté à l’aéroport de Milan Malpensa, alors qu’il arrivait d’Istanbul. Selon le Corriere della Sera, l’arrestation était une opération conjointe des Italiens et du FBI.
Parallèlement, un complice présumé a été arrêté dans le Massachusetts: Mahdi S., 42 ans, citoyen américain d’origine iranienne. Celui-ci travaillait pour l’entreprise américaine où le duo se procurait les composants, qui étaient ensuite illégalement acheminés vers Téhéran via la Suisse.
L’affaire, déjà complexe, se complique encore: elle prend désormais une tournure d’affaire d’Etat.
Trois jours après l’arrestation de Mohammed Abedini à Milan, une jeune journaliste italienne a été arrêtée en Iran: Cecilia Sala. Les accusations portées contre elle n’étaient d’abord pas claires. Lundi, il a été déclaré qu’elle avait violé les «lois islamiques», selon le journal La Repubblica.
Pour le Corriere della Sera, les mollahs veulent échanger la journaliste contre Mohammed A.. Dans les prochains jours, un tribunal de Milan doit examiner les documents des Etats-Unis et décider si le chercheur iranien sera extradé. La procédure devrait durer au moins deux mois, selon les estimations.
Les Etats-Unis ont demandé à l’Iran, selon La Repubblica, de libérer Cecilia Sala immédiatement. Elle est détenue dans la même prison que les opposants au régime.
D'après l’agence de presse SDA, l’Iran a convoqué, peu avant Noël l’ambassadrice suisse à Téhéran, pour protester contre l’arrestation des deux Iraniens aux Etats-Unis et en Italie. La Suisse est impliquée dans cette affaire, car elle représente les intérêts des Etats-Unis en Iran dans le cadre d’un mandat de puissance protectrice. En effet, Américains et Iraniens n'ont pas de liens diplomatiques.
Le gouvernement italien est sous pression. Il faut faire libérer la journaliste, mais comment faire sans froisser les Américains? Dans les cercles gouvernementaux romains, une hypothèse circule, selon la La Repubblica. Mohammed A. pourrait être remis à la Suisse, car il y dispose d’un permis de séjour. Et parce que la Suisse entretient de très bonnes relations tant avec Washington qu’avec Téhéran.
Le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE) a refusé de commenter l’affaire. Un porte-parole a simplement déclaré: «Le DFAE ne commente pas l’incident mentionné ou d’éventuelles activités dans le cadre de son mandat de puissance protectrice. Selon les informations dont dispose le DFAE, il ne s’agit pas d’un citoyen suisse».
Le Ministère public de la Confédération a indiqué qu’il ne menait actuellement «aucune procédure liée au cas mentionné». Il n’a pas non plus reçu de demande d’entraide judiciaire.
La Suisse se retrouve dans une impasse. Si l’histoire est exacte, elle n’a pas empêché que Mohammed A., déguisé en chercheur, fournisse depuis des années des composants meurtriers au régime.
Depuis 2016, selon les documents américains, l'Iranien aurait fait livrer à son adresse universitaire suisse des «composants contrôlés» en provenance des Etats-Unis, qu’il aurait ensuite acheminés à Téhéran. Dès 2018, il aurait commencé à transférer certaines activités de son entreprise SDRA vers la Suisse.
D'après le FBI, en août 2018, Mohammed A. aurait reçu le conseil d’un «professeur ami», non identifié, de créer une entreprise en Suisse. La Suisse était, selon ce dernier, une «bonne option», notamment en raison du retour des sanctions. En effet, en mai 2018, le président américain Donald Trump avait annoncé le retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran. Peu après, les Etats-Unis ont imposé des sanctions étendues.
En septembre 2018, selon les informations américaines, Mohammed A. ainsi qu'un autre chercheur iranien auraient présenté un business plan en Suisse. Celui-ci indiquait que l’entreprise souhaitait se concentrer sur les appareils de navigation. Ce plan ne contenait aucune mention de l’entreprise-mère SDRA, en Iran, excepté un logo apparaissant par erreur sur un graphique.
Un an plus tard, en septembre 2019, le duo a fondé, avec l’appui de la Suisse, Illumove SA, dotée d’un capital de 100 000 francs suisses, dont 50 000 versés. Les statuts ont été certifiés par un notaire de Saint-Gall. Selon la justice américaine, cette société est une façade de l’entreprise-mère iranienne SDRA.
Le siège de l’entreprise lausannoise se situe au bâtiment C du parc d’innovation de l’ETH à Lausanne. Selon son site web, Illumove est également soutenue par l’agence d’innovation vaudoise Innovaud.
Un site iranien qualifie l’arrestation des deux Iraniens de «détention scandaleuse». L’entreprise suisse de Mohammed Abedini a développé une technologie avancée et polyvalente dans le domaine de la capture de mouvements. Elle peut être achetée par tout le monde en Iran. Les activités de l’entreprise, selon le site, seraient menées sous la «supervision juridique et financière du gouvernement suisse».
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder