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«Les Frères musulmans ont investi les universités»

Portrait of Saïda Keller-Messahli, President of the Forum for a progressive Islam, taken in Zurich on June 13, 2016. (KEYSTONE/Christian Beutler)

Portrait von Saïda Keller-Messahli, Praesidentin des  ...
Saïda Keller-Messahli, Zurich, 23 juin 2016.Image: KEYSTONE

«Les Frères musulmans ont investi les universités suisses»

Spécialiste de l'islam politique, la Suisso-Tunisienne Saïda Keller-Messahli revient sur le «concours de Coran» que souhaitait organiser une association étudiante musulmane de l'Université de Genève et que la direction universitaire a finalement interdit.
11.04.2025, 16:4520.05.2025, 17:23
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Fondatrice du Forum pour un islam progressiste, Saïda Keller-Messahli est lauréate du Prix suisse des droits de l'homme 2016. Elle est l'auteure du livre-enquête La Suisse, plaque tournante de l'islamisme: un coup d'œil dans les coulisses des mosquées (éditions Alphil). En Suisse, elle est l'une des rares voix critiques de l'islamisme.

L'AMEUG, une association musulmane étudiante de l’Université de Genève, a été empêchée par la direction universitaire d’organiser un «concours de Coran», qui consiste à réciter par cœur des sourates coraniques. Ces concours de Coran sont-ils fréquents en Suisse?
Saïda Keller-Messahli: Avant d’aborder l’aspect suisse, il faut savoir que ces concours sont en effet fréquents et qu'ils sont quelque chose d’important, de l’ordre de la compétition sportive, avec ses stars.

«Les financements pour ces concours, qui peuvent avoir lieu en Indonésie, au Kosovo, en Albanie ou en Suisse, viennent souvent du Golfe, du Qatar comme d’Arabie Saoudite»

Ensuite et indépendamment des concours en tant que tels, il y a la pratique de la récitation par cœur du Coran. Je dirais que c'est présent dans toutes les mosquées de Suisse.

Ces récitations sont-elles ouvertes aux fidèles?
Oui, aux adultes comme aux enfants. Le but est d’apprendre par cœur. Très peu de gens en Suisse sont conscients du fait que de nombreux enfants sont envoyés à la mosquée pour apprendre le Coran dans leur temps libre, les mercredis et samedis après-midi et le dimanche. On retrouve là aussi des convertis à l’islam, qui sont, eux aussi, des débutants.

Pourquoi apprendre par cœur?
Le but est de mémoriser le Saint Coran, selon l’expression en vigueur dans les milieux pratiquants. Le but est que les enfants, dès leur jeune âge, donc, apprennent le Coran par cœur. Cette pratique du par cœur s’inscrit dans la tradition de l’oralité propre à la transmission du message islamique, qu’il s’agisse des sourates coraniques ou des propos et actes attribués au prophète Mahomet. Et les enfants sont faciles à formater.

L’association AMEUG de l’Université de Genève entendait organiser un concours de Coran autour de trois sourates, dont une au moins voue à l’enfer ceux qui ne croient pas en Allah. Il se trouve que c’était celle destinée au niveau «débutant». Est-ce que ce type de sourate est fréquent dans les concours de Coran?

«C’est la norme. Le but est de faire peur avec l’enfer afin que personne ne remette en cause le texte»

Pour ce qui est des trois sourates choisies par l’AMEUG, deux ne sont pas problématiques. Ce sont les sourates Ta-Ha et Al Mulk, la Royauté, en français. Ce sont des sourates dites mecquoises, qui proviennent du temps où le prophète était encore à la Mecque, qui coïncide avec une période de paix. Les sourates Ta-Ha et Al Mulk ne sont donc pas problématiques, elles ont même une dimension poétique. Réciter ces sourates ne pose aucun problème.

Qu’en est-il de la troisième sourate, celle qui était destinée aux débutants?
Il s’agit de la sourate Al-Bayyinah, en français, La Preuve, la preuve de l’existence de Dieu. Elle est née dans le contexte de Médine, qui est une période de guerre. Cette sourate s’attaque aux chrétiens, aux juifs et aux polythéistes. Comme elle appartient aux sourates courtes, comprises dans la partie finale du Coran, c’est une sourate facile à mémoriser et qu’on apprend généralement dès la petite enfance.

«La signification de la sourate Al-Bayyinah est particulièrement dure, puisqu’elle comporte un des versets du Coran qui déshumanise les non-musulmans en les présentant comme les "pires créatures"»

Autrement dit, on confronte ici les enfants ou les adolescents avec une idéologie violente.

«Nous avons des lois qui interdisent la haine»

Comment réagissez-vous à cela?
Je réagis en disant que nous avons en Suisse et en Europe des lois qui interdisent la haine et le racisme. Je pense que le verset violent de cette sourate fait partie de ceux qui devraient être interdits d’enseignement dans les cours coraniques donnés dans les mosquées. Il ne faut pas qu’ils soient transmis dans le cadre d’un enseignement ou d’un concours comme souhaitait l’organiser l’association AMEUG de l’Université de Genève.

«C’est aux musulmans de mener un débat sur les versets violents du Coran, or malheureusement cette liberté de penser n’existe presque nulle part dans les pays où l’islam est religion d’Etat»

La sourate Al-Bayyinah ne sauve-t-elle pas de l’enfer ceux qui ne croient pas, ce qui épargnerait les juifs et les chrétiens?
Non, dans cette sourate, les juifs et les chrétiens, désignés sous le vocable de Gens du Livre, ne sont pas sauvés. Parce que les non-croyants visés dans cette sourate sont aussi les Gens du Livre, considérés comme des égarés.

Selon vous, à quelle vision de l’islam se raccroche l’AMEUG, qui pratique la séparation des sexes dans certains de leurs ateliers, comme «l’entrepreneuriat et les études», par exemple?
A une vision intégriste, rigoriste, fondamentaliste. C’est le socle de l’islam politique. Cet islam-là ne souhaite pas être en harmonie avec notre temps.

L’Université de Genève est-elle ici confrontée à une difficulté?
Oui, je pense qu’il n’est pas facile pour l’administration de l’Université de Genève de gérer l’agenda d'une association religieuse. La démocratie et la loi reconnaissent le droit de se constituer en association, mais ce que je trouve sournois dans certaines associations musulmanes et que les Frères musulmans savent très bien utiliser, c’est qu’elles s’emploient à ne pas apparaître comme des groupes religieux aux yeux de l’extérieur. Or ces associations sont religieuses.

Quel est ici le rôle des Frères musulmans, la confrérie islamiste fondée en 1928 par l’Egyptien Hassan al-Banna, le grand-père maternel des Genevois Hani et Tarik Ramadan?

«Les Frères musulmans, surtout depuis les années 90, ont créé, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe, des groupes musulmans dans les universités, les MSA, Muslim Student Association»

En investissant les universités, le but des Frères musulmans est de prendre à part les étudiants de confession musulmane, de les dissocier des autres étudiants et de les utiliser dans un but d’entrisme islamiste dans la société. C’est aux élus politiques de s’occuper de ce sujet.

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