Originaire du quartier de Pagliarelli à Palerme, cette famille mafieuse est l’une des plus influentes de la Cosa Nostra sicilienne. Dans les années 1980, son chef de l'époque, Antonio Rotolo, utilisait la Suisse pour se procurer une substance de base servant à fabriquer de l'héroïne. La drogue était ensuite envoyée aux Etats-Unis via un réseau de pizzerias, dans ce qui est devenu l’affaire historique de la «Pizza Connection». La Suisse jouait également un rôle dans le blanchiment des profits de ce trafic.
Aujourd’hui, Rotolo, 79 ans, purge une peine de prison à vie. Son successeur, Giovanni Motisi, 66 ans, en fuite depuis 1998, est considéré comme l’un des criminels les plus recherchés d’Italie. En 2023, les autorités ont même publié un portrait-robot actualisé de l’homme en cavale.
Le 4 décembre 2018, Giuseppe Calvaruso, 41 ans, a pris la tête du clan Pagliarelli. Dès 2014, des hommes de main s’étaient déjà rendus en Suisse, d’abord au Tessin, puis en Valais. Une rencontre à Sion avec un agent fiduciaire a permis d’organiser la création d’une société anonyme qui servirait de base opérationnelle.
Un proche de Calvaruso, entrepreneur douteux de Palerme et fils d’un homme ayant servi des figures de la mafia comme Toto Riina et Bernardo Provenzano, a pris la tête de cette société. Officiellement enregistrée début 2015 sous l'étiquette de «commerce international», elle cachait en réalité des activités criminelles.
Avec l’aide d’une fiduciaire valaisanne dirigée par un Italien, la société facilitait l’obtention de permis de séjour et la location d’appartements. Un faux contrat de travail a permis à un homme de main de Calvaruso d’obtenir un permis B et de rapatrier en Suisse des fonds mafieux cachés en Chine.
Des documents judiciaires révèlent qu’en décembre 2015, la société valaisanne a reçu un prêt fictif de 800 000 euros d’une société de Hong Kong, elle-même contrôlée par la mafia. Une fiduciaire locale a rédigé ce contrat antidaté selon les instructions de Palerme. Plus de 400 000 euros ont été redistribués en Italie, en partie à une entreprise de construction appartenant à des prête-noms du clan.
Les enquêtes révèlent aussi l'existence de sociétés écrans à Hong Kong, avec des comptes bancaires à Singapour et Dubaï. Une société de gestion de fortune à Singapour, fondée il y a une vingtaine d'années par d’anciens gestionnaires de grandes banques suisses, aurait participé au blanchiment des fonds.
La société valaisanne a également servi de garantie pour un projet d’investissement mafieux au Brésil. Cette base temporaire permettait à la mafia non seulement de dissimuler des fonds, mais aussi de développer de nouvelles sources de revenus criminels.
Au moins trois Italiens ont obtenu des permis B en Valais en 2015 grâce à de faux contrats de travail. L’un était «directeur», l’autre «ingénieur», et le troisième «développeur» d’un projet touristique. Calvaruso lui-même a été engagé en tant que «géomètre», avec un salaire de 2900 euros par mois, payé sur 14 mois, loyer et repas inclus.
Des échanges entre mafieux montrent comment les contrats étaient ajustés pour paraître réguliers. Un «ingénieur» demandait par exemple s’il était judicieux d’engager Calvaruso trop rapidement, de peur d’attirer l’attention. Un jour plus tard, le contrat était modifié en conséquence.
En 2018, la société mafieuse du Valais a été liquidée. Le «directeur» et le «géomètre» ont alors transféré leurs activités au Brésil, où ils ont investi dans l’immobilier et la restauration pour y placer les fonds du clan.
Le 4 avril 2021, Calvaruso a été arrêté à l’aéroport de Palerme, alors qu’il rentrait du Brésil. L’enquête du parquet de Palerme, menée en collaboration avec les polices suisse et brésilienne, a abouti en août 2024 à une vaste opération. Des perquisitions ont été menées, 50 millions d’euros d’avoirs criminels saisis et 17 personnes mises en examen.
Parmi les suspects figurent trois Italiens actifs en Valais: le boss Calvaruso, déjà en prison, ainsi que le «directeur» et «l’ingénieur», qui ont été arrêtés. La présomption d’innocence reste toutefois de mise.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)