«Déposés aujourd'hui, distribués demain» est l'un des slogans de la Poste. Dans le même temps, «votre» conseiller fédéral Albert Rösti envisage la suppression du courrier A. Qu'en est-il vraiment?
Roberto Cirillo: Ce que je peux vous dire, c'est que nous ne voulons pas purement et simplement supprimer le courrier A. Nous n'allons certainement pas retirer du marché un produit que les clients sollicitent. Ce que vous évoquez, c'est une adaptation réglementaire pour que la Poste puisse mieux répondre aux souhaits de ses utilisateurs.
Qu'entendez-vous par «adaptation réglementaire»?
L'actuelle Loi sur la poste est dépassée. Quand elle a été revue en 2002, la numérisation n'était pas à l'ordre du jour et la Poste distribuait alors plus de 3 milliards de lettres. Un record absolu. Ce chiffre n'a fait, depuis, que de diminuer d'année en année. Ce qu'il faut faire désormais, c'est adapter le cadre légal pour continuer à assurer le service universel de manière autonome.
Vous n'exagérez pas un peu?
La réalité du marché évolue beaucoup plus vite que les lois. Nous l'avons vu par exemple avec les versements au guichet. Après l'introduction du code QR, ils ont diminué de 18% chaque année: leur volume a baissé de près de 60% en trois ans. Si le courrier connaît la même évolution d'ici cinq ou dix ans, les conséquences seront dramatiques. Nos pertes n'attendront alors pas des dizaines de millions de francs, mais bien des centaines de millions — et rapidement.
Le volume des lettres va-t-il descendre en deçà d'un seuil critique qui pourrait mettre en péril le financement de l'entreprise?
Si la tendance se poursuit, cela pourrait arriver entre 2028 et 2034. Le courrier devrait passer sous la barre du milliard et l'entreprise, commencera à accumuler des déficits massifs. Et on regrettera alors de ne pas avoir modernisé la loi.
Le système du courrier A et B a été introduit en 1991. A l'époque, c'était pour simplifier un système surchargé par les lettres. Le système est-il daté?
Aujourd’hui, le courrier A ne représente plus qu’un bon quart des envois. Sur 1,65 milliard de lettres distribuées chaque année, 52% sont des lettres B2…
Attendez — des lettres B2?
C'est le courrier B distribué en masse, à partir de 350 exemplaires. Il doit être distribué dans les cinq à six jours. Ensuite, il y a environ 20% de lettres B, qui doivent être distribuées en trois jours, et 28% de lettres A.
Vous avez rassemblé la gestion des lettres et des colis. La première activité est en perte de vitesse, l'autre en progression. Pourtant, les colis ont vu un recul en 2023. Le boom est-il terminé?
Non, nous observons les mêmes tendances que partout dans le monde: le commerce en ligne augmente et, avec lui, le volume des paquets. La Suisse n'échappe pas à ce constat. Nous nous attendons même à une croissance plus importante encore, car la Suisse est un peu à la traîne, si on la compare à l'Angleterre, aux États-Unis ou au Japon. Nous allons continuer d'augmenter nos capacités pour ce secteur.
Mais cela ne suffira pas à compenser les pertes dans le courrier?
Non, loin de là. Il nous faut environ sept à huit colis pour gagner autant qu'avec une seule lettre. Nous devons garder à l'esprit qu'une lettre est un produit fin et maniable, qui peut être traité de manière automatisée et qui pèse entre 50 et 100 grammes — et dont l'envoi sera financé à hauteur d'un franc environ. Les colis, en revanche, sont lourds, volumineux et complexes sur le plan logistique, tout ça pour environ 10 francs seulement.
Mais nous pouvons en vivre. Sans que cela ne remplace toutefois les pertes du côté des lettres.
C'est pourquoi vous vous lancez dans de nouveaux domaines d'activité.
Nous développons la logistique transfrontalière de marchandises et les services numériques. Grâce à cela, nous avons une chance de maintenir l'équilibre du système. Mais j'insiste: une chance, pas une garantie.
Les secteurs du courrier et des colis contribuent aujourd'hui à environ 57% du chiffre d'affaires de la Poste. Les services numériques sont à peu près à 0%.
On parle d'un peu moins de 160 millions de francs sur un total de 7 milliards. Et vos fleurons, le vote et l'identité électroniques ainsi que le dossier numérique du patient relèvent du service public. Ils ne généreront jamais de gros bénéfices.
C'est exact. Dans ce domaine-là, nous avons prévu d'offrir des prestations de service public. D'autres seront plus rémunératrices. Lorsque nous avons commencé il y a trois ans, cette prestation ne générait que des coûts. Depuis, nous avons considérablement augmenté le chiffre d'affaires, sans pour autant arriver à creuser notre déficit. Mais dans les cinq ans à venir, nous devrions réussir à passer dans les chiffres noirs. Ce sera alors une activité rentable et évolutive.
Donc vous continuez d'y croire?
Oui. Lorsque le vote par correspondance a été introduit, personne n'y croyait non plus. On a évoqué la fin de la démocratie. Aujourd'hui, 90% de la population y recourt. Et un jour, le vote électronique s'imposera lui aussi. Il faut du temps. Nous sommes la Poste suisse, nous développons une vision sur le long terme. Nous ne sommes pas une entreprise de capital-investissement qui sort de son portefeuille tout ce qui ne rapporte pas assez. De plus, tout peut changer très rapidement, dans un sens comme dans l'autre. Prenons l'exemple de Twint.
Une application de paiement lancée à l'origine par Postfinance...
Aujourd'hui, nous détenons 26% des actions. Twint a vu le jour il y a dix ans. Elle est rapidement devenue populaire, tout en restant déficitaire pendant dix ans. Puis soudain, le nombre d'utilisateurs et de transactions a explosé.
Et désormais, ça fonctionne. Mais il faut un volume énorme pour qu'un tel moyen de paiement soit rentable.
Cachez-vous un deuxième Twint dans votre portefeuille d'activités?
Non, nous ne disposition pas d'un autre investissement capable de soudainement passer à la vitesse supérieure. Mais nous sommes convaincus d'avoir développé ou acheté des éléments des plateformes technologiques indispensables à l'avenir pour offrir nos services postaux dans ce monde hybride.
Le dernier bastion physique de la Poste, c'est son réseau de guichets physiques, qui compte 770 bureaux. Le démantèlement va-t-il se poursuivre?
Nous travaillons sur notre stratégie pour la période 2025-2028. Ce point en fait partie. Nous avons ouvert le réseau à des tiers et c'était une bonne décision.
Pour consentir ces investissements, nous maintenir avoir un horizon à dix ou quinze ans. Nous ne pouvons pas nous permettre d'injecter de l'argent dans des sites où la demande diminue. Cela signifie que nous devons d'abord discuter de la forme que doit prendre le réseau. Puis, adapter les concepts.
S'adapter, c'est-à-dire? Fermer des guichets?
Il s'agit de se décider pour le bon «format». Selon les chiffres de 2023, les formats les plus appréciés sont nos filiales avec partenaires et les automates My Post 24.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)