«J’ai toujours rêvé de mieux voir», confie Léonie M. à watson. Avec une myopie de -9 dioptries, elle voyait le monde à travers un épais brouillard. Bien qu’elle ait souvent envisagé une opération au laser pour se libérer de ses lunettes ou lentilles, la peur de l’intervention l’avait toujours freinée. Mais à l’été 2023, une publicité de Betterview, aperçue dans un tram, finit par la convaincre de franchir le pas.
Léonie se tourne alors vers Betterview, une chaîne de cliniques de chirurgie oculaire au laser qui opère 10 000 yeux par an et se targue d’une évaluation de 4,9 étoiles sur Google et un taux de satisfaction de 95%. Lors de sa première consultation à Zurich, on lui recommande une opération trans-PRK, particulièrement adaptée à sa forte myopie. Pourtant, quelques semaines après l’intervention, elle laisse une critique cinglante sur Google.
Avant l’opération, Léonie avait eu trois consultations chez Betterview, qui l’avaient rassurée. On lui avait certifié que la procédure ne causerait que de légères gênes, facilement soulagées par des gouttes oculaires. La réalité fut toute autre. Le lendemain de l’intervention, elle a ressenti des douleurs «insupportables», qu’elle décrit comme «les pires de sa vie». Pendant quatre jours, elle a été contrainte de rester dans l’obscurité, incapable d’ouvrir les yeux sous peine d’aggraver la sensation de brûlure.
Malgré plusieurs appels à la clinique, Léonie estime que ses douleurs n’ont pas été prises au sérieux. Elle se sentait abandonnée une fois l’intervention payée: «Dès qu’il ne s’agit plus de vendre, ils n’ont plus de temps pour vous.»
Sur le site de Betterview, il est maintenant précisé que le traitement trans-PRK peut être douloureux:
Cependant, à l’époque où Léonie a été opérée, cette mention n’était pas présente, comme le montre l’archive en ligne Wayback Machine. A ce moment-là, Betterview décrivait cette méthode comme ayant «très peu d’effets secondaires».
Le 6 décembre 2023, Betterview décrivait la méthode Trans-PRK comme une procédure ayant «très peu d'effets secondaires». Il n'était question de douleurs que dans la section FAQ, où l'on mentionnait de «légères douleurs, bien traitées avec des gouttes pour les yeux».
Mais problème, Betterview continue de promouvoir son ancien discours sur les réseaux sociaux. Dans une vidéo TikTok, on peut notamment entendre que la douleur après une opération pour les yeux n'est qu'un «mythe» ou «qu'elle n'a pas sa place dans nos traitements au laser».
Léonie, désireuse de partager son expérience pour avertir d’autres patients, a publié une critique négative. Et la réaction de Betterview a été rapide: ils lui ont envoyé un bouquet de fleurs et lui ont proposé un rabais sur son traitement en échange du retrait de son avis. Elle a refusé, restant ferme sur sa décision de rendre son témoignage public.
Mais si son calvaire s'est bien terminé, ce n'est pas le cas de tous les patients de la clinique spécialisée. En effet, deux autres clients avec lesquels watson s'est entretenu ont eu moins de chance avec Betterview que Léonie.
Le commentaire de Léonie est malheureusement arrivé trop tard pour Pamela W*. Opérée à l’été 2023 pour un astigmatisme et une myopie de -5,5 dioptries, souffre aujourd’hui de cicatrices sévères qui altèrent sa vision. De son côté, Mario L*., qui a subi une opération Femto-LASIK, a perdu connaissance pendant l’intervention, ce qui a entraîné une blessure à l’œil. Il voit désormais double ou avec des halos de couleurs.
Pamela aussi a souffert de douleurs intenses dont elle ne s'est pas sentie informée par Betterview. Bien que sa vue se soit progressivement améliorée après l'opération, elle affirme qu'elle n'a «jamais retrouvé une vision vraiment bonne».
Lors de son dernier contrôle, Betterview a constaté que sa vision s'était détériorée et qu'elle présentait toujours de l'astigmatisme. Elle a fini par demander un deuxième avis.
Résultat, le second ophtalmologue qu'elle a consulté a constaté qu'elle souffrait d'une cicatrisation extrême sur les yeux, ce qui était à l'origine de sa mauvaise vision.
Selon le médecin, les valeurs visuelles dégradées auraient dû alerter sur ce problème. Pamela envisage maintenant de faire corriger sa vue dans une autre clinique, car sa vision pourrait très probablement continuer à se détériorer au cours des prochaines années. Elle a également contacté l'Organisation Suisse des Patients (OSP) et cherche à déterminer si elle peut engager une action en justice contre Betterview.
Mario L.* n'est également pas satisfait. Il a subi un traitement Femto-LASIK au printemps de cette année pour une myopie de -1,75 dioptrie dans une autre clinique Betterview. Alors que le laser était dirigé vers son œil gauche, il a perdu connaissance. Un malaise que le personnel n'a pas remarqué, selon Mario. Mais les conséquences ont été graves, une veine de son œil gauche a éclaté. Il voit désormais uniquement «double ou en couleurs arc-en-ciel»
Bien que l'incident date d'environ six mois, Mario peut toujours voir 30% moins bien de l'œil gauche que de l'œil droit. Et pour lui, Betterview est responsable de la situation.
L’association suisse des ophtalmologues critique également les pratiques de Betterview. Selon Christoph Kniestedt, président de la Société suisse d’ophtalmologie (SSO), les promesses publicitaires de l’entreprise sont irresponsables et donnent une mauvaise image de la profession.
En mai 2023, la SSO a déposé une plainte contre Betterview auprès de la direction de la santé du canton de Zurich pour «publicité trompeuse».
Interrogée par watson, Betterview rejette les accusations et nie avoir tenté de convaincre Léonie de retirer son avis en échange de réductions. L’entreprise affirme que les douleurs postopératoires sont rares et que seules deux plaintes ont été enregistrées depuis 2021 sur 10 000 opérations. Elle regrette également toute confusion entre ses communications sur les réseaux sociaux et les informations présentes sur son site.
Betterview confirme également avoir remboursé gracieusement Léonie, celle-ci étant «insatisfaite» de l'évolution de sa guérison. Puis affirme également s'être excusé en lui envoyant un bouquet de fleurs, mais affirme que leur intention n'a jamais été de pousser Léonie à supprimer sa critique négative sur Google.
Il a également été demandé à Betterview pourquoi la notion de douleur après une telle opération n'était pas mentionnée dans leur publicité sur les réseaux sociaux. La clinique répond simplement que l'objectif de la vidéo est d'informer les autres sur «les informations erronées et les préjugés courants concernant le traitement». «Nous essayons de fournir de bonnes informations», explique la clinique. La création d'un service de médiation indépendant est également à l'étude pour le bien de la clientèle.
Mais alors que se passe-t-il lorsqu'une personne, comme Pamela W.*, est aussi insatisfaite du traitement?
Si la patiente refuse, un cas d'assurance est déclenché. La clinique a besoin du consentement de la cliente pour faire évaluer le cas par un expert externe.
Betterview souligne que les opérations comportent toujours des risques. «Les malaises sont cependant extrêmement rares. Nous avons connaissance de deux cas en Suisse depuis 2021», écrit la clinique concernant le cas de Mario, sur lequel elle ne peut pas donner plus de détails. Pour tous les traitements au laser, «au moindre mouvement, le laser s'éteint automatiquement en quelques millisecondes». Ce qui permettrait d'éviter toute blessure involontaire.
Le cofondateur présumé de Betterview, Ertan Wittwer, a déjà fait parler de lui dans d’autres scandales commerciaux. Fondateur de Bestsmile, récemment fermée par Migros, et de Hair & Skin, en faillite, Wittwer continue de jouer un rôle dans Betterview, bien que son profil LinkedIn ait récemment été modifié pour indiquer qu’il est seulement «investisseur et membre du conseil d’administration».
Comme le montre une capture d'écran de watson du 1er octobre 2024, Ertan Wittwer avait encore lui-même indiqué sur son profil Linkedin être «Co-Founder, Investor, Board Member» de Betterview. Au cours de cette recherche, il a toutefois modifié son inscription. Entre-temps, il n'y a plus que la mention «Investor & Board Member». Lorsque watson lui a demandé de s'expliquer, sa réponse a été plutôt évasive.
*(noms connus de la rédaction)
Traduit et adapté par Noëline Flippe