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Drame de Montreux: voici pourquoi l'enquête n'est pas finie

Montreux, le 24 mars 2022.
Montreux, le 24 mars 2022.image: keystone

Drame de Montreux: voici pourquoi l'enquête n'est pas finie

Si l'enquête de police est terminée, la procédure pénale reste ouverte dans l'affaire du drame de Montreux. Explications des labos de médecine légale.
03.06.2022, 06:0303.06.2022, 11:17
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«Les investigations policières sont maintenant terminées», annonçait la police vaudoise, le 25 mai, en rapport avec le drame de Montreux survenu deux mois plus tôt, le 24 mars. Pour autant, ajoutait-elle, le rapport final de la médecine légale «ne sera pas rendu avant plusieurs mois». Que comprendre?

Dans cette affaire, marquée par la mort par défenestration de quatre membres d’une même famille – un cinquième ayant survécu à la chute –, l’information transmise aux médias aura surtout servi une thèse: celle du «suicide collectif». Elle a été privilégiée très tôt et de bout en bout par la police vaudoise.

Son avantage? Elle simplifie l’élucidation de cet événement tragique. Le suicide, d’une certaine manière, met fin aux poursuites. Notamment à toute question sur la responsabilité des pouvoirs publics dans le suivi peut-être un peu trop distant de cette famille française (trois adultes et deux mineurs de 15 et 8 ans) en grave rupture sociale.

Les investigations policières sont donc terminées. Mais la procédure pénale l’est-elle aussi? Non, «elle reste ouverte, au moins jusqu’à réception du rapport final de médecine légale», répond le ministère public vaudois, sollicité par watson.

Et c'est pourquoi la police parle de «suicide collectif»

Tant que ce rapport n’a pas été rendu (pas avant plusieurs mois), cela peut vouloir dire que des analyses toxicologiques sont toujours en cours. Remettraient-elles en cause, in fine, la thèse du suicide collectif avancée par la police vaudoise? C’est là qu’intervient la définition du suicide, communément décrit comme l’acte désespéré par lequel un individu met librement fin à sa vie. Cela a déjà été posé: peut-on considérer qu’une fillette de 8 ans se suicide, fût-ce de façon collective, avec ses parents?

Selon un fonctionnaire proche de l’enquête, en parlant de «suicide collectif», «la police vaudoise a surtout voulu signifier qu’aucun tiers, qu’aucun individu extérieur à cette famille, n’avait forcé quiconque parmi elle à commettre l'irréparable». Cela n’interdit pas de penser que la contrainte, qu’on l’appelle emprise ou persuasion, a pu s’exercer au sein même de la famille. Le cas échéant, sous quelle forme? La parole seule? Le recours à des substances?

Déterminer les circonstances d’un drame fatal, fût-il qualifié prioritairement de «suicide collectif» par la police, c’est le rôle de la médecine légale. Qui n’a donc toujours pas rendu son rapport final dans l’affaire de Montreux. Pourquoi est-ce si long?

Ce que disent les experts scientifiques

Nous avons joint Claudia Castiglioni, médecin adjointe de l’Unité romande de médecine forensique (URMF), et Marc Augsburger, chef de l’Unité de toxicologie et chimie forensique (UTCF) – l’adjectif forensique renvoie aux méthodes scientifiques utilisées pour éclairer les circonstances d’une affaire judiciaire. Les deux unités, basées à Lausanne, étant impliquées dans l’enquête sur le drame de Montreux, ni Claudia Castiglioni ni Marc Augsburger ne s’expriment, ci-après, sur ce cas précis. Ils expliquent, en revanche, en quoi consiste l’élucidation d’une mort d’un point de vue scientifique.

En premier lieu, il y a l’autopsie, ordonnée par le ministère public. L'affaire de la doctoresse Claudia Castiglioni:

«Je vous donne un exemple purement théorique: un monsieur âgé, retrouvé mort en bas de ses escaliers, avec une plaie au niveau du cuir chevelu. On pense à une mort violente, due à la chute. Mais, il pourrait s’agir aussi d’une mort consécutive à un infarctus, par exemple. Autrement dit, les circonstances dans lesquelles le corps a été retrouvé ne sont pas suffisantes pour établir les causes du décès. D’où l’autopsie. Mais, même l’autopsie ne permet pas, dans tous les cas, de déterminer avec certitude les causes de la mort. Dans le cas de ce monsieur, je peux constater une hémorragie cérébrale, mais je dois, dans le cadre de mon rapport au procureur, être sûre qu’il n’y avait pas une pathologie naturelle, cardiaque par exemple, qui pourrait être à l’origine du décès, et qu’il n’y avait pas, par exemple encore, des substances toxiques qui auraient pu altérer les réflexes de cette personne et être indirectement responsables de sa chute, pensons à un taux élevé d’alcool éthylique.»
Claudia Castiglioni

«En d’autres termes, reprend la médecin adjointe de l'URMF, l’autopsie est le début de toutes les investigations qui vont suivre, qui sont complexes et longues. Cela est la vraie raison pour laquelle, dans certains cas, le rapport complet devant résumer toutes les investigations, est rendu seulement plusieurs mois après l’autopsie. Cela peut prendre six à huit mois.»

Des centaines de milliers de molécules recherchées

Les analyses toxicologiques relèvent, elles, de la compétence de la section de recherche dirigée par Marc Augsburger:

«Les examens toxicologiques doivent chercher toutes les substances qui pourraient être à l’origine d’un empoisonnement ou d’une altération des capacités psychomotrices de la personne. Les substances recherchées d’habitude sont avant tout l’alcool et les psychotropes, qui agissent sur notre cerveau. Les psychotropes comprennent les drogues, ainsi que les médicaments que sont les somnifères, les antidépresseurs, les neuroleptiques ou les anxiolytiques. Pour commencer, nous procédons à un screening de base, autrement dit à un dépistage sur des échantillons de sang, d’urine ou de bile. Cela permet de savoir s’il y a des substances suspectes à l’intérieur du corps. Les psychotropes peuvent notamment altérer les capacités psychomotrices et être à l’origine d’un accident sur la voie publique, d'une chute ou de mille autres choses.»
Marc Augsburger

Les substances recherchées sont des molécules qui se comptent par millions sur la planète. Les protocoles d’analyses toxicologiques portent potentiellement sur quelques centaines de milliers d’entre elles «seulement».

«Lorsque l’élucidation d’une affaire prend beaucoup de temps, cela peut vouloir dire deux choses au moins: soit que des substances suspectes ont été détectées et qu’il faut à partir de là effectuer de nouvelles analyses pour évaluer le degré de l’intoxication; soit que le ou les premiers screenings (dépistages) ne sont pas concluants et qu’il faut en effectuer d’autres, jusqu’à ce qu’on trouve (ou non) une ou plusieurs substances suspectes. Et comme les protocoles doivent passer en revue des centaines de milliers de molécules, il faut du temps, qui peut se compter en mois.»
Marc Augsburger

Pour l’heure et pour en revenir au drame de Montreux, il est impossible de savoir, cette information étant tenue secrète, si les analyses scientifiques effectuées, et peut-être encore menées, ont mis au jour des substances qui auraient pu altérer la conscience d’une ou plusieurs des victimes avant la chute, ou si, à l'inverse, les travaux accomplis, voire toujours en cours, n’ont pour l’instant rien découvert de suspect.

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