Antiséparatiste, mais favorable au transfert de Moutier dans le canton du Jura, Corentin Jeanneret, maire de Saint-Imier, estime «totalement exclu» que la Question jurassienne puisse un jour être rouverte. Dans une interview à watson, il ne minimise pas l'impact, pour le Jura bernois, du départ de la cité prévôtoise, mais c'est vers l'avenir de sa région qu'il se tourne à présent.
En tant que Jurassien bernois, comment avez-vous réagi au vote des populations jurassienne et bernoise acceptant massivement, excepté dans le Jura bernois, le transfert de Moutier dans le canton du Jura?
Corentin Jeanneret: Le résultat n’est pas surprenant. On pouvait s’attendre à ce score assez net. A titre personnel et bien qu’étant anti-séparatiste, je m’étais prononcé en faveur du transfert de Moutier, tel que convenu dans le concordat signé par les parties bernoise et jurassienne sous le patronage de la Confédération. Ce concordat n’est rien d’autre que la suite logique d’un processus d’autodétermination réenclenché en 1994. En 2013, ces choses-là prenant du temps, le Jura bernois s’opposait dans un vote à une fusion avec l’actuel canton du Jura, mais la ville de Moutier, elle, disait «oui». De fil en aiguille, nous en sommes arrivés au vote de dimanche dernier, actant le transfert de la cité prévôtoise (réd: l’autre nom de Moutier) dans le canton du Jura.
Moutier qui s’en va dans le canton du Jura, sans les petites communes qui l’entourent, n’est-ce pas un peu comme si la ville de Genève décidait de rejoindre le canton de Vaud, seule sans les communes de sa périphérie, créant un vide énorme?
Les échelles me semblent un peu trop grandes pour une telle comparaison. Moutier n’a pas la taille de Genève et les communes de la couronne prévôtoise n’ont pas la taille de celles entourant Genève. Il ne faut pas oublier que toutes les communes du Jura bernois impliquées dans le processus d’autodétermination ont eu l’occasion de se prononcer sur le rattachement au canton du Jura ou le maintien dans le canton de Berne. A l’exception de Moutier, qui était sur le ballant et qui a finalement dit «oui» au rattachement au canton du Jura, toutes ont choisi de rester dans le canton de Berne.
Certes, mais les communes de la couronne prévôtoise qui se sont opposées dimanche au départ de Moutier en votant «non», n’ont-elles pas dit à cette occasion leur attachement à Moutier et leur regret d’en être à présent séparées?
On constate, en effet, que la majorité des «non» au transfert vient des communes très proches de Moutier. Il y a là très certainement un regret de voir partir Moutier et ses plus de 7000 habitants, ce qui, par ailleurs, affaiblit le poids de la minorité francophone dans le canton de Berne. Pour la couronne prévôtoise, perdre Moutier, c’est perdre une commune avec laquelle on a des liens naturels. Des habitants de Crémines ou Perrefitte, pour ne citer que ces villages, ont évidemment des liens forts avec Moutier.
Comment s’y prendra-t-on pour régler les collaborations entre Moutier qui sera jurassienne en 2026 et les communes de la couronne restées bernoises?
Ce sont des questions auxquelles les parties devront s’atteler et l’on peut espérer que cela se passera en bonne intelligence. Mais il y a des différends. Comme celui posé par l’école secondaire. Certaines communes de la couronne souhaitent pouvoir continuer d’envoyer leurs enfants à l’école secondaire de Moutier, bien que cette dernière ait choisi de devenir jurassienne. D’autres, comme Grandval, où il y a un projet de nouvelle école secondaire, s’y opposent. Et on peut comprendre cette opposition.
Pourquoi?
Le «non», dimanche, des communes proches de Moutier, est donc probablement un vote de regret, mais il est sans doute aussi une manière de bien marquer son attachement au canton de Berne. On se souvient du coup des autonomistes, le 23 juin dernier à Delémont, à l’occasion des 50 ans du plébiscite d’autodétermination de 1974.
A quoi faites-vous allusion?
Au fait que les autonomistes avaient pris toutes les plaques des communes du Jura bernois pour les poser sur un char, tout cela pour dire que «le combat continue». Ils voulaient faire comprendre aux Jurassiens bernois qu’ils ne doivent pas se sentir abandonnés au bord de la route, que le canton du Jura ne les oublie pas. Je crois que cette action, menée au mépris de l’esprit démocratique du concordat, a énervé passablement de personnes. Le concordat prévoit en effet, à son article 35, que tout différend territorial entre Berne et le Jura prend fin avec le vote du dimanche 22 septembre sur le sort de Moutier.
La Question jurassienne est terminée d’un point de vue légal ou institutionnel. Mais faut-il exclure des modifications de frontières, si des communes de la couronne prévôtoise, dans les 10 ou 20 ans à venir, faisaient connaître leur souhait de rejoindre Moutier dans le canton du Jura?
C’est une question qui a été posée jusqu’à l’Assemblée fédérale par le conseiller national Manfred Bühler, seul représentant des Romands du canton de Berne sous la Coupole. Je crois que la réponse est claire pour tout le monde, à part pour quelques personnes refusant de voir la réalité en face.
L’article 35 ne parle pas de plan institutionnel. Ceux qui recourent à ce type d’argument sont peut-être ceux qui essaient de jouer sur les mots. L’article en question met bel et bien fin à tout différend territorial. Bien sûr, certaines communes restées bernoises peuvent se dire qu’elles ont manqué des occasions. Certains scrutins ont été serrés, comme ceux, d’ailleurs, qui ont permis à Moutier de rejoindre le canton du Jura. Mais c’est la démocratie.
La Question jurassienne est donc terminée?
Oui, et pas que d’un point de vue institutionnel. Si d’autres communes veulent changer d’avis, elles doivent se dire que le temps du choix, à présent, est terminé. Elles auraient pu faire des recours par le passé. Elles n’en ont pas fait usage.
Ces communes, un jour, pourront peut-être amener les parties, Berne, Jura et la Confédération, à recréer un processus d’autodétermination, non?
Il faudrait pour cela que les parties que vous évoquez se mettent à nouveau autour de la table, alors qu’elles ont dit que tout cela était terminé.
Justement, quelle suite mettre en œuvre pour les communes du Jura bernois qui pourraient tout à coup se sentir orphelines de Moutier? Vous êtes l’une des chevilles ouvrières du projet Grand Chasseral, pensé comme une marque devant donner un nouveau souffle au Jura bernois, à présent que le processus d’autodétermination est arrivé à son terme.
Comme tous les citoyens des communes du Jura bernois contribuant financièrement au fonctionnement du projet Grand Chasseral, ils sont associés aux discussions accompagnant le déploiement de la marque. La plupart des communes du Jura bernois, sinon toutes, font figurer le logo Grand Chasseral sur leur papier à lettres et leur site Internet. C’est un mouvement qui est en marche et qui se veut le marqueur territorial pour toute une région. Il s’agit de faire connaître et rayonner notre région autrement que par le prisme d’une Question jurassienne qui trop longtemps a cristallisé les débats.
Où en êtes-vous du déploiement de la marque Grand Chasseral, dont on comprend bien qu’elle pourrait prendre un jour la place de «Jura bernois» pour désigner la région?
Il y a des discussions au Grand Conseil bernois pour obtenir un soutien financier du canton de Berne à la fondation Grand Chasseral. Le cœur de Grand Chasseral se trouve dans un bâtiment remarquable, appelé La Couronne, à Sonceboz, une commune située à l’est du Vallon de Saint-Imier, à l’emplacement d’un nœud ferroviaire et routier reliant entre elles les différentes parties du Jura Bernois. C’est là que les partenaires de la marque Grand Chasseral se réunissent et que les produits industriels et artisanaux de la région sont mis en valeur. La Couronne est également un lieu ouvert aux associations. La dynamique y est forte.
Une nouvelle pas très agréable pour la région et notamment pour la ville dont vous êtes le maire, Saint-Imier, est tombée ces derniers jours: le journal alémanique HandelsZeitung a établi un classement des communes obéissant à divers critères. Saint-Imier et Tramelan, deux localités du Jura bernois, sont classées dans le «top 10» des « pires communes de Suisse ». Ce type de classement peut-il vous nuire en termes d’image?
Il faut voir aussi les critères retenus. Parmi ceux-ci, il y a le fait d’avoir un lac. Saint-Imier n’en a pas et ne peut donc pas rivaliser avec Genève ou Lugano. Ce que je trouve vraiment dommage, c’est que ce classement ne rend pas compte du travail accompli au quotidien par les actrices et les acteurs de localités qui se battent pour leur région, les politiques, les associatifs et les personnes privées.
Ce type de classement passe à côté de l’éthique citoyenne, non?
Il y a chez nous un esprit de corps, qui est celui, aussi, du travail, dans une région où tout, au départ, a été moins facile qu’ailleurs. On a quand même cette mentalité d’horloger protestant, un peu taiseux de prime abord. Une fois qu’on a brisé la glace, on est des gens tout à fait accueillants, sympathiques et ouverts d’esprit. Ces critères d’humanité ne sont pas pris en compte dans ce classement et c’est bien regrettable.
Pour en revenir au vote de dimanche dernier sur Moutier, comment avez-vous pris le fait que 83% de la Berne germanophone ait accepté le transfert de la cité prévôtoise dans le canton du Jura? N’y a-t-il pas quelque chose d’ambivalent dans ce vote massif, comme le souhait d’en finir une bonne fois pour toute avec la Question jurassienne? C’est à se demander si la Berne germanophone n’aurait pas voté tout autant «oui» au transfert du Jura bernois dans son entier dans le canton du Jura.
Je ne crois pas du tout à cela. Moi qui suis élu au Grand Conseil bernois et qui côtoie passablement de députés alémaniques, je peux vous assurer qu’il n’y a aucun mépris, ni aucun désintérêt pour le Jura bernois de la part des Bernois de l’ancien canton (réd: la partie germanophone du canton de Berne). Quand des élus bernois germanophones viennent dans le Jura bernois, qu’on appellera peut-être un jour Grand Chasseral, ils sont souvent impressionnés, ils sont fiers de nous avoir avec eux. Lors d’une sortie avec des députés PLR du Grand Conseil, nous sommes allés à la Couronne, le cœur battant de Grand Chasseral, nous leur avons fait visiter notre région. Je peux vous dire qu’ils avaient des yeux ébahis.