Lors du concert de l'Orchestre philharmonique d'Israël à Lugano, le 23 janvier dernier, il est devenu une fois de plus évident à quel point la musique peut être politique, ou politisée. Devant la salle de concert, une centaine de manifestants pro-palestiniens ont protesté contre la performance des Israéliens, faisant beaucoup de bruit. A l'intérieur, cependant, aucune déclaration politique n'a eu lieu.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, ce sont surtout les musiciens russes qui se retrouvent sous le feu des projecteurs. En effet, certains artistes faisaient partie de l'élite du Kremlin. Le chef d'orchestre Valery Gergiev, proche de Poutine, a par exemple dirigé un concert dans l'amphithéâtre de Palmyre, en Syrie, après que la ville ait été reprise à l'Etat islamique avec l'aide de l'armée russe.
Ces trois dernières années, certains musiciens russes se sont retirés complètement en Russie, alors que beaucoup d'autres sont restés en Occident. Une partie d'entre eux a critiqué Poutine, mais la plupart se taisent.
Tout le contraire des artistes ukrainiens: la cheffe d'orchestre Oksana Lyniv se montre souvent avec des drapeaux de son pays, dirige des orchestres de jeunes ukrainiens et de la musique traditionnelle. D'autres artistes agissent plus discrètement, jouant par exemple un bis d'un compositeur ukrainien.
La célèbre mezzo-soprano ukrainienne Christina Daletska, qui vit en Suisse depuis 21 ans, ne se contentait pas de rappels. Elle est profondément engagée, militante des droits humains et ambassadrice officielle d'Amnesty International Suisse ainsi que d'Art for Amnesty.
Lors de ses concerts, elle attire constamment l'attention sur la souffrance en Ukraine, collecte et coordonne de l'aide humanitaire, soutient la population avec ses propres fonds, et n’hésite pas à échanger avec le public. En avril 2023, elle est apparue sur scène à Lugano avec un drapeau ukrainien.
L'Orchestra della Svizzera italiana n'a pas apprécié, comme l’a rapporté le quotidien tessinois La Regione. Pour son concert du 14 novembre à Lugano, Christina Daletska a reçu un nouveau contrat qu'elle a qualifié de surprenant.
L'orchestre n'accepte plus d'être politisé et se déclare apolitique. Les contrats stipulent désormais qu'aucun geste ou activité politique n'est autorisé sur scène - et en dehors: les prises de position sur les réseaux sociaux sont également interdites. Ce contrat est adressé à tous les artistes qui se produisent à Lugano.
D'autres orchestres n'imposent pas des contrats aussi stricts, mais les prises de position sont débattues en interne.
On se souvient du pianiste turc Fazil Say qui, en octobre 2023, n'a pas joué quatre concerts des Migros Classics parce qu'il avait retweeté au préalable un message anti-israélien du président turc Recep Erdogan. Migros voulait qu'il efface le tweet, mais il ne l'a pas fait, ce qui l'a conduit à se retirer lui-même du contrat.
Fazil Say est rapidement retourné sur les scènes suisses, jouant à nouveau avec l'Orchestre symphonique de Lucerne. Le 11 mai, il interprétera un concerto pour piano de sa composition au KKL de Lucerne, accompagné de l'Orchestra della Svizzera Italiana.
Traduit et adapté par Noëline Flippe