Jeudi 27 mars, à l'heure du lunch, mais on n'a pas mangé, watson a passé une demi-heure au café de l'hôtel Beaulac, à Neuchâtel, en compagnie de la Verte Céline Vara, pour deux mois encore conseillère aux Etats à Berne, et du socialiste Frédéric Mairy. Elle et lui ont été respectivement élue et réélu au Conseil d'Etat neuchâtelois, passé à gauche lors des élections du 23 mars. Avec la socialiste Florence Nater, ils y occupent trois sièges sur cinq – cas unique dans le pays. On a démarré l'entretien avec l'affaire Dittli, avant d'aborder un univers plus neuchâtelois et surtout plus personnel.
Quelles leçons tirez-vous de la crise que traverse le canton de Vaud avec l’affaire Dittli ?
Céline Vara: On en a déjà abondamment parlé (rires). Bon, Neuchâtel a eu ses heures un peu plus sombres avec l’affaire Hainard. On a appris de cela aussi. Je dirais que l’affaire Dittli est le parfait exemple de deux choses. Je vais être un peu dure. Premièrement, mettre dans un gouvernement des gens sans expérience politique et sans racines politiques proprement dites, c’est dangereux. Ils risquent de se retrouver esseulés, or les pressions sont énormes dans un gouvernement. Il faut avoir des personnes sur qui pouvoir s’appuyer, sinon on peut vite perdre pied.
Frédéric Mairy: Je ne tirerai pas plus de leçons de l’actuelle crise vaudoise que d’autres. Cette mésaventure montre que l’équilibre au sein d’un exécutif est fragile, que le métier de conseiller d’Etat est exigeant et demande de savoir faire la part des choses. Il faut mettre le bien commun au premier plan. De ce point de vue, je suis très content de la tournure des dernières élections dans le canton de Neuchâtel: les quatre sortants du Conseil d’Etat qui se représentaient ont été réélus. C’est un signe que l’exécutif fonctionne bien et que la population aspire à une certaine continuité, même si la majorité bascule à gauche au gouvernement.
Quel est le défi le plus important auquel doit répondre le canton de Neuchâtel?
Céline Vara: Pour moi, il y a deux priorités qui ressortent: d’une part, la planification hospitalière, qui consiste à garantir un accès à des soins de proximité tout en faisant attention aux coûts, d’autre part, la question de la mobilité. Je pense ici à la ligne de train directe entre Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds, essentielle pour le canton et qui a besoin du financement de la Confédération. Or l’on sait que les financements de la Confédération sont aujourd’hui comptés.
Frédéric Mairy: Au-delà de la planification hospitalière, il y a l’enjeu du système de santé, qui n’est pas propre à Neuchâtel: une pénurie de ressources, des besoins croissants, en lien, notamment, avec le vieillissement de la population. Autre enjeu qui n’est pas propre à Neuchâtel, le réchauffement climatique. Il aura chez nous aussi des impacts importants, qu’il faut essayer d’anticiper.
Qu’est-ce qui, à vos yeux, caractérise le plus le canton de Neuchâtel?
Frédéric Mairy: Je citerai le nom d’un personnage, qui colle malheureusement à l’actualité, le socialiste Francis Matthey, décédé la semaine dernière. Il a beaucoup marqué de son empreinte sa ville, La Chaux-de-Fonds, dont il fut le président, puis son canton en devenant conseiller d’Etat. C’est grâce à lui que Neuchâtel a été parmi les premiers à se doter d’une loi pour l’intégration des étrangers.
Ce qui montre que l’ambition en politique n’est pas toujours portée par des ambitions personnelles.
Céline Vara: Un personnage aussi, Raymonde Schweizer. Elle a été la première femme élue dans un parlement cantonal. C’était en 1960. J’ai l’image d’elle le jour de son assermentation. Elle est habillée tout en blanc parmi des hommes habillés tout en gris ou en foncé. Aujourd’hui, c’est un fait marquant, le parlement neuchâtelois garde une majorité féminine au terme des élections du 23 mars, c’est unique en Suisse.
Vous avez tous deux des origines étrangères: Frédéric Mairy, vous êtes né en Suisse avec la nationalité belge. Céline Vara, votre père est un immigré italien originaire de Sicile. Neuchâtel est-il définitivement une terre d’accueil?
Frédéric Mairy: Né en Suisse de parents belges venus s’y installer au début des années 1970 et n’étant pas moi-même un étranger très visible, je n’ai pas eu de peine à m’intégrer. Mais il est vrai que ce canton a toujours eu une grande qualité d’intégration. Le canton de Neuchâtel ne souffre pas, dans l’ensemble, de problème de cohabitation. Il y a parfois des tensions qui peuvent surgir, en lien notamment avec le centre d’accueil de requérants d’asile de Boudry, mais cela tient beaucoup au fait que les demandeurs d’asile y sont nombreux, avec des parcours de vie extrêmement difficiles pour la plupart d’entre eux.
Céline Vara: Mon père est arrivé en Suisse à l’âge de 9 ans, quand mon grand-père venait auparavant depuis longtemps déjà dans le canton de Neuchâtel comme saisonnier. Ma mère est suisse. Je suis une segundos par mon père. Oui, ce canton est accueillant. Les étrangers qui sont venus y travailler ces 60 dernières années ont fait leur place.
Ils ont aussi travaillé dans l’horlogerie. Dans ce canton, on a vraiment su réaliser l’intégration.
Y a-t-il un lieu du canton de Neuchâtel que vous appréciez particulièrement?
Frédéric Mairy: Je vais être régionaliste, ce sont les forêts du Val-de-Travers (Frédéric Mairy est né à Fleurier, dans le Val-de-Travers). On a de la chance d’avoir des forêts remarquables. C’est là qu’a été forgé il y a plus de 150 ans le concept de la forêt jardinée, qui vise à utiliser le maximum de la capacité offerte par une forêt et qui inspire, aujourd’hui encore, des ingénieurs forestiers qui viennent chaque année du monde entier pour inspecter ces forêts. J’adore aller m’y promener ou y courir.
Céline Vara: J’aime beaucoup l’embouchure de l’Areuse, qui se jette dans le lac de Neuchâtel après avoir parcouru le Val-de-Travers, justement. Son passage dans le Vieux-Boudry est un vrai spectacle, surtout lorsque les eaux sont un peu hautes.
Qu’est-ce que c’est qu’être écologiste aujourd’hui, Céline Vara, au moment où l’écologie est en recul dans les parlements cantonaux, y compris dans le canton de Neuchâtel, où le Verts perdent 4 sièges et les Verts libéraux, 3?
Céline Vara:
Comme écologistes, on est les gardiens et les gardiennes du vivant. Tout doit être pensé dans une perspective d’équilibre. Si toutes les décisions s’inscrivaient dans la durabilité, ce qui comprend l’économie, le social et l’environnement, le monde serait bien différent, ne serait-ce que pour la survie de l’espèce humaine. Et nous pensons, chez les Verts, qu’il n’y a pas de justice sociale sans justice environnementale.
Qu’est-ce qu’être socialiste aujourd’hui, Frédéric Mairy?
Frédéric Mairy: Aujourd’hui comme avant, c’est se soucier de la qualité de vie et du bien-être de l’ensemble de la population, y compris et surtout des plus faibles. L’objectif, c’est de permettre aux personnes qui ont eu moins de chances que d’autres au départ de pouvoir rejoindre la moyenne, sans donner non plus l’impression de trop contraindre ceux qui sont nés sous de meilleures étoiles. Enfin, être socialiste, c’est aussi se soucier de la qualité de l’environnement dans lequel on vit.
Pensez-vous que le canton de Neuchâtel est condamné à être un canton «pas riche»?
Céline Vara: Est-ce qu’on est condamnés à avoir cette image-là? Est-ce véritablement une condamnation? C’est quoi, la richesse? Moi, je me sens immensément riche de tout ce que crée ce canton, de tout ce qu’il a apporté à la Suisse, avec ses nombreux conseillers fédéraux. Et puis, le canton de Neuchâtel n’a pas toujours eu l’image d’un canton «pas riche». Le canton fut un canton très riche lorsque l’industrie horlogère s’y est déployée dans toute son ampleur. Que sera le canton de Zoug demain, je vous le demande (rires)? Ce qui compte, c’est la qualité de vie et le bonheur des gens.
Frédéric Mairy: Je ne crois pas en effet qu’il y ait de condamnation à être éternellement un canton «pas riche». Comme Céline le rappelle, on a été un canton riche. Moi qui viens du Val-de-Travers, je citerai un documentaire formidable qui a été fait par Henri Brandt et qui s’intitulait Quand nous étions les rois du monde, une chronique de l’année 1983 au Val-de-Travers. Le problème qui est le nôtre aujourd’hui, c’est que la fiscalité ne tient pas du tout compte de la production de richesses dans le canton de Neuchâtel, l’une des plus importante en part de PIB par habitant ou en nombre de brevets déposés.
On souffre d’être ce canton producteur d’une richesse dont nous ne profitons pas vraiment. Tant que les règles fédérales ne changeront pas, on est un peu condamnés, mais c’est une bonne chose aussi de se montrer en permanence inventifs, de se diversifier.
Quel département aimeriez-vous diriger?
Céline Vara (la seule entrante au Conseil d’Etat neuchâtelois): Pour être très honnête, peu importe le département. La Sécurité (jusqu’ici dirigée par le PLR Alain Ribaux, qui ne se représentait pas), contrairement à ce que certains pourraient se dire, me conviendrait très bien. Je suis avocate, j’ai pratiqué beaucoup la police, j’ai siégé quatre ans à Berne dans la commission de politique de sécurité.
Mais, dans le même temps, quel Vert, quelle Verte ne voudrait pas reprendre l’Environnement (actuellement en main du PLR Laurent Favre)?
Frédéric Mairy: Je n’ai pas caché pendant la campagne, que je me sentais très bien dans le département dans lequel je suis (Santé, Régions et Sports). On a de gros défis à relever, la dynamique est bonne. Je n’ai pas de velléités de changement.