L'usage du français serait-il en perdition, à Berne? C'est en tout cas ce que craint le conseiller aux Etats genevois Carlo Sommaruga. Le socialiste a déposé une motion visant à «préserver la langue française», sur laquelle le Conseil national doit trancher mercredi. Il veut s'assurer que les échanges entre la Confédération et les institutions internationales aient lieu dans une langue nationale autant que possible.
La polémique a commencé avec la prochaine évaluation de la Suisse par le Groupe d'action financière (GAFI). Cet organisme international de lutte contre le blanchiment d'argent travaille en anglais et en français. Hors, cette évaluation sera présentée en anglais.
«La Suisse a travaillé avec le GAFI en français sans problème jusqu'à présent. Et tout d'un coup, le Secrétariat d'Etat aux questions financières internationales décide de changer de langue malgré la résistance exprimée par les offices concernés», s'étonne Carlo Sommaruga. La décision est d'autant plus ironique que le secrétariat du GAFI est situé à Paris, au sein des locaux de l'OCDE.
Chose surprenante, en réponse à sa motion, le Conseil fédéral a plaidé en faveur des travaux en anglais avec le GAFI. S'il assure être en faveur du plurilinguisme en Suisse, cela vaut «avant tout sur le plan national». Avec des institutions étrangères, le ton est différent.
Celui qui est vice-président de la délégation du Parlement pour la Francophonie dit son étonnement. «Si on commence à dire que l'anglais est prioritaire pour raisons pratiques ou techniques, c'est un danger pour le français, tant à l'international qu'en Suisse.»
«Je peux comprendre qu'on fasse des exceptions ponctuelles. Mais il faut défendre notre culture et ne pas s'effacer devant l'anglais. Entrer dans cette dynamique de l'utiliser systématiquement, c'est aller vers une érosion de nos langues nationales», ajoute le socialiste.
Dans le cas des travaux avec le GAFI, par définition, les experts de la Confédération travailleront avec (et dans?) cette langue dans les locaux des institutions fédérales. Si des documents sont préparés en français, ils devront ensuite être traduits.
Le Genevois pense-t-il qu'un changement de mentalité est en train de déferler sur Berne? «Je ne l'exclus pas. Le problème avec l'administration fédérale, c'est qu'il s'agit de décisions administratives, sur lesquelles le Parlement n'est pas forcément consulté, ou même informé.»
Et ce d'autant plus qu'à Berne, un petit vent de dissidence plane sur la question du plurilinguisme. Si, dans les mots et les discours, on assure son plein soutien à la cohésion entre les langues nationales, dans les faits, ce n'est pas toujours le cas. A l'image de ces élus fédéraux qui veulent remplacer le français par l'anglais comme première langue étrangère à l'école.
La priorité des langues nationales dans l’enseignement qui ne fait plus consensus? Une situation impensable en 2003, lorsque Carlo Sommaruga est entré au Conseil national.
«Dans les commissions du Conseil des Etats, il faut régulèrement veiller pour que les documents originellement en allemand soient traduits arrivent assez vite en français», souligne Carlo Sommaruga.