La procureure des mineurs tessinoise Fabiola Gnesa n'avait encore jamais eu à traiter un tel cas. Entre janvier et mai, 19 jeunes de la région de Lugano, dont un seul est majeur, ont poursuivi des pédophiles présumés. Ils ont créé des profils fictifs sur les réseaux sociaux, ont convenu de rencontres et ont frappé les hommes.
Les jeunes font l'objet de procédures pénales, notamment pour contrainte et lésions corporelles graves. Dans certains cas, ils auraient également soutiré quelques centaines d'euros à leurs victimes.
La procureure se demande désormais quelles mesures elle doit prendre et comment les jeunes doivent être sanctionnés, a-t-elle déclaré dans l'émission Mise au point de la RTS. Le reportage révèle également que les jeunes Tessinois ne sont pas les seuls à vouloir arrêter les agresseurs présumés d'enfants en Suisse en tant que chevaliers de la justice autoproclamés.
En Suisse romande, il existe une branche suisse de la Team Moore. Ce collectif a été créé en France il y a cinq ans. Ses membres se font passer pour des mineurs sur les réseaux sociaux et attendent que des pédophiles mordent à l'hameçon et demandent à fixer des rendez-vous sexuels. Contrairement aux jeunes Tessinois qui menaient des expéditions punitives de leurs propres mains, la Team Moore signale les suspects à la police.
Selon le règlement interne de la Team Moore, chaque personne qui veut rejoindre le collectif doit présenter un extrait de casier judiciaire et se conformer à certaines règles. Les membres ne prennent par exemple jamais contact de leur propre initiative avec des hommes. Ils ne se présentent pas non plus aux rencontres avec les auteurs présumés. Chaque mois, la Team Moore signale à la police française entre 10 et 18 hommes.
D'ailleurs, une communication d'Eileen* (nom modifié), une membre romande du collectif, a conduit à une arrestation en avril. Le ministère public vaudois a ensuite ouvert une procédure pénale contre un homme, comme l'a confirmé le porte-parole Vincent Derouand à CH Media (dont watson fait partie). Le suspect a tissé des liens en ligne avec des filles prétendument mineures et leur a proposé des rencontres. Il a également interagi avec Eileen*.
Elle a également envoyé à la police bâloise les données d'un autre suspect. On ne sait pas si une procédure pénale en a résulté. Le ministère public fait savoir qu'il ne peut en principe pas se prononcer sur des procédures pénales en cours.
En mars, Eileen a révélé à la RTS qu'elle passait jusqu'à 20 heures par semaine sur Internet, dans le rôle d'une jeune fille de 13 ans, pour démasquer les pédophiles. Elle a également expliqué qu'elle avait été placée et abusée lorsqu'elle était enfant. Lorsqu'elle a lu un livre de Neila Moore sur l'histoire du collectif du même nom, il est devenu clair pour elle qu'elle devait aussi apporter sa contribution. La Team Moore compte une cinquantaine de membres et connaît un succès croissant en Suisse.
La police recherche parfois elle-même des pédocriminels sous couvert de fausses identités sur Internet, sur le Darknet ou sur des plateformes en ligne traditionnelles. Ce faisant, elle doit respecter les règles du code de procédure pénale. Un tribunal des mesures de contrainte doit donner son aval à l'investigation secrète. Les policiers ne doivent pas inciter activement les personnes visées à commettre des infractions.
Les autorités de poursuite pénale considèrent les enquêteurs privés avec scepticisme. «Ce rôle est réservé à la police», rappelle Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police cantonale vaudoise. Il souligne que les enquêteurs amateurs se mettent potentiellement en danger et risquent de devenir eux-mêmes des délinquants. Les délits, tels que la contrainte ou la diffusion illicite de photos et d'enregistrements vidéo, sont au premier plan.
Martin Schütz du ministère public de Bâle-Ville observe:
Les recherches, notamment publiques, sont du seul ressort des autorités de poursuite pénale et sont clairement réglementées par la loi, notamment en ce qui concerne les droits de la personnalité des personnes impliquées dans la procédure. Les jeunes Tessinois ne respectent aucun code de procédure.
Le phénomène de la chasse aux pédophiles dans le cadre de l'auto-justice est bien connu à l'étranger. Tesak, l'extrémiste russe, était tristement célèbre pour cette pratique. En Angleterre, il y a cinq ans, un pédophile présumé s'est suicidé après qu'un groupe a diffusé en direct sur Facebook une rencontre avec lui. Un an plus tard, aux Pays-Bas, un enseignant retraité de 73 ans a succombé aux blessures que des jeunes lui avaient infligées dans un parc d'Arnhem. Les adolescents l'avaient contacté sur un tchat gay.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)